Où en est la présence militaire et policière étrangère en Tunisie ? Nul doute que, depuis le début de la révolution, des espions de toutes les couleurs grouillent dans notre pays ; mais qu’en est-il vraiment des soldats, conseillers militaires et autres experts de la sécurité et de l’anti-terrorisme ? Qu’en est-il des accords qui encadrent leur action sur le sol tunisien ?

Régulièrement, nous pouvons lire dans les médias des enquêtes ou des informations à ce propos sans que l’on puisse distinguer parmi elles celles qui sont fondées et celles qui ne le sont pas. Il paraît avéré cependant que la coopération avec les Etats-Unis – et peut-être les Allemands – notamment pour la protection des frontières soit déjà en œuvre. Si, par ailleurs, se confirment les informations que donnent certains articles publiés par Nawaat, (sous la plume de Ghassen Ben Khlifa et de Mohammed Samih Beji Okkez), la coopération militaire avec les puissances impériales pourrait être encore plus développée qu’il ne semble et destinée à durer. Alors que le jihadisme a le vent en poupe, il est difficile de croire que de la « promotion » de la Tunisie au rang d’« allié majeur non-membre de l’Otan », il ne résulte pas une implication croissante des Etats qui dominent cette institution dans les affaires de notre pays, y compris sous la forme d’une présence militaire directe.

A vrai dire, je ne trouve pas ça très rassurant. J’en ai même des aigreurs d’estomac que le best seller mondial de Guilia Enders ne décrit malheureusement pas. Car où l’Amérique met le pied, c’est la catastrophe à plus ou moins brève échéance. On devrait apprendre ça dans les écoles. Je ne suis pas de tempérament particulièrement paranoïaque mais j’ai tendance à penser que, n’ayant plus guère de touristes à se mettre sous la dent, la fameuse hospitalité tunisienne risque de bénéficier à la multitude des galonnés étrangers qui vont bientôt nous rendre visite.

Beaucoup – ajoutant un « hélas » qui n’est pas toujours sincère – rétorqueront que nous n’avons pas le choix. Nombreux aussi, ceux qui, anti-impérialistes virulents dans d’autres circonstances, ne sont pas sans faire penser aujourd’hui à cet anarchiste, anti-flic obsessionnel, qui, confronté à une bande de voyous qui veulent lui faire la peau, n’a qu’un espoir en tête, c’est que passe un camion débordant de policiers qui le délivrent de sa peur, quitte à recevoir lui-même quelques caresses brodequines sur le récipient qui lui sert de crâne.

C’est peut-être là, l’un des effets les plus pernicieux qui attestent du caractère contre-révolutionnaire du jihadisme. Désormais à la « demande sécuritaire » interne un autre type de « demande sécuritaire » s’ajoute. Au nom de la défense des frontières, nous ne sommes plus très loin de tolérer une présence militaire impériale sur notre territoire voire de la souhaiter. Dieu fasse que je ne tombe pas si bas !

D’autres en sont déjà là qui jabotent des « Je suis Charlie », « Je suis Paris », « Je suis Bruxelles » et ont failli récemment inonder les pages de facebook d’un « Je suis Egypte-Air » alors que le pauvre bougre qui a simulé une opération terroriste n’était qu’un amoureux transi qui espérait faire revenir sa femme.

On aurait tort de voir dans ce type de slogans la simple expression d’une compassion humaniste envers des personnes odieusement tuées pour des raisons qui n’ont rien d’honorable. Chez nous, ils expriment bien plus souvent le sentiment que nous partagerions un même combat pour la « civilisation » et contre le « terrorisme barbare » avec des Etats qui sont pourtant largement responsables de la montée du jihadisme et pour lesquels nous ne sommes nous-mêmes que des barbares « modérés ».

C’est ainsi qu’après nous être félicités de voir la police et l’armée quadriller le pays plus fortement encore qu’avant le 14 janvier, s’insinue progressivement en nous l’idée que nous pourrions être « sauvés » par l’« aide désintéressée » de la sainte alliance mondiale contre le terrorisme, quand bien même cela pourrait conduire à la mise en place de nouvelles formes de protectorat. C’est ce qu’en français fos7a, on appelle se laisser abuser et qu’en français de tous les jours, on appelle tout bonnement se faire couillonner. Cette pensée qui s’infiltre dans nos cœurs, plus que dans nos cervelles, est l’une des conséquences désastreuses d’un traitement exclusivement sécuritaire et militaire de la lutte contre le jihadisme, la seule approche, en vérité, que soient en mesure d’adopter les autorités actuelles.