L’émission 24/7 sur El Hiwar Ettounsi a consacré la majeure partie de son numéro du 15 avril à la crise de Kerkennah. Se poursuivant au moment de la diffusion, les heurts entre policiers et protestataires ont été traités à travers un compte-rendu, aux multiples erreurs factuelles, suivi par une conversation téléphonique avec le syndicaliste policier Sahbi Jouini. Erigé en homme aux multiples prérogatives voire même en correspondant de la chaîne, il a eu libre antenne sans aucun recadrage de l’animatrice Mariem Belkadhi. Elle ne prendra pas non plus de distance avec ses propos. Pourtant, elle affirme que l’émission dispose d’un correspondant sur place.
Erreurs factuelles majeures
L’émission est tombée, d’entrée, dans une erreur factuelle. « Les diplômés chômeurs qui revendiquent l’emploi dans la société Petrofac », avance la voix off du compte-rendu. Comme les protestataires le relèvent dans leurs communiqués et leurs prises de parole publiques, leur principale revendication est la création par l’Etat d’une société environnementale, une demande approuvée par le gouvernement le 16 avril 2015 sans être mise en application. Faisant appel au soutien financier de Petrofac, le rôle de cette nouvelle structure-cadre est de mettre fin à leur emploi précaire sans contrat, ni couverture sociale ou quelconque assurance.
Sombrant encore plus dans la désinformation, le compte-rendu se ridiculise en allant jusqu’à déterminer le nombre de personnes portant une revendication inexistante : « le nombre des chômeurs revendiquant un emploi à Petrofac est estimé à 70 ». Mis à part ces intox, l’émission, qui se veut magazine d’information et de débat, prend parti en relayant un bilan étriqué des blessures des citoyens et un nombre erronée des protestataires. « 3 cas d’asphyxie par le gaz ont été enregistrés parmi les manifestants dont le nombre est de 250 », rapporte la voix off. Or, contacté le jour même par Nawaat, une source médicale de l’hôpital régional de Kerkennah affirme avoir reçu deux blessés, dont un sexagénaire souffrant de contusions au niveau du bassin et un adolescent avec une écorchure à la tête. Quant aux cas d’asphyxie par gaz lacrymogène, il y en a eu plusieurs mais aucun ne présentait un état clinique nécessitant hospitalisation ou suivi. Le nombre des protestataires est enfin bien plus élevé, surtout que la contestation s’est généralisée sur tout l’archipel, de Mellita à El Ataya en passant par Remla.
« Kerkennah, la police menace de se retirer », affiche le carton en bas de l’écran. Cependant, ce que l’émission présente en tant que « menace » est l’une des principales revendications des protestataires largement adoptée par les habitants de Kerkennah depuis l’arrivée des renforts policiers le 03 avril et les violences enregistrées le 04 avril. Autre approximation de 24/7 : « Le bac est aujourd’hui à l’arrêt », avance l’animatrice Mariem Belkadhi, au sujet du ferry assurant la liaison entre Sfax et Kerkennah, en se basant sur les propos de Sahbi Jouini. Contrairement à cette version mensongère, les horaires du bac ont été perturbés parce que des Kerkenniens résidents à Sfax se sont opposés à ce que de nouveaux renforts policiers montent à bord. La bourde prendra plus tard plus d’ampleur quand la chaîne mettra en bas de l’écran un carton affichant une info « urgente » sur le retour du bac à ses activités.
Libre antenne pour Sahbi Jouini
Avant de diffuser le compte-rendu évoqué, Mariem Belkadhi a annoncé que « Sahbi Jouini, secrétaire général du Syndicat des forces de la sécurité intérieure présent sur place, sera avec nous, en direct, pour nous faire part des dernières évolutions ». Un parti pris de l’émission qui n’a fait intervenir aucun représentant de la contestation à Kerkennah, encore moins un membre des institutions qui tentent de l’encadrer comme l’Union des dplômés chômeurs (UDC) ou l’UGTT.
Intervenant par téléphone, Sahbi Jouini, dans la posture d’un correspondant de la chaîne, avance des données jamais évoquées par les canaux de communication officielle du ministère de l’Intérieur : « Des éléments partisans, dont certains sont reconnus et d’autres ne le sont pas, ont trompé la population de Kerkennah. Nous avons observé des éléments terroristes précédemment impliqués dans les événements de Soliman. Ils étaient à la tête de ces gangs », prétend-il, sans aucun recadrage de l’animatrice. « L’union [son syndicat] a été à la hauteur de la responsabilité et nous avons honoré notre accord. Les détenus seront libérés aujourd’hui », affirme Jouini. Après avoir dépassé ses prérogatives syndicales en se substituant aux représentants officiels du ministère de l’Intérieur, ce syndicaliste policier se plait à annoncer des décisions relevant des pouvoirs du ministère public. Pour sa part, l’animatrice n’a pris aucune distance des propos de son interlocuteur. Ce dernier abonde dans la désinformation en parlant de « certains policiers blessés qui risquent de mourir », tout en tombant dans un discours haineux. « Nous allons dénoncer ceux qui ont trahi la Tunisie », lance Sahbi Jouini. Mariem Belakdhi affiche clairement la couleur à la fin de l’interview en renforçant aveuglement la crédibilité du syndicaliste policier. « J’espère que ton message sera entendu », lui souhaite-t-elle avant d’ajouter : « Sahbi Jouini parle au nom de la police mais il parle aussi en tant que citoyen. Il est sur place ».
Ce n’est pas la première fois que l’émission s’intéresse à la crise à Kerkennah. Le 04 avril, elle lui a consacré une brève lors de son récapitulatif de l’actualité du jour : « La région de Mellita dans l’île de Kerkennah a retrouvé le calme, aujourd’hui, après l’intervention des unités sécuritaires pour disperser le sit-in des diplômés chômeurs devant les locaux de la société de forage gazier Petrofac. L’entreprise a donc repris ses activités après un arrêt de plus de deux mois ». Aux yeux de la rédaction d’El Hiwar Ettounsi Tv, l’impact de l’intervention policière ne compte pas. Les avis des citoyens non plus. Idem pour les dépassements en rapport avec l’usage excessif de la violence.
Tout ce qui compte, c’est la mise en exergue de la réussite de l’intervention policière et la reprise des activités de Petrofac. Même si la production n’a repris que « partiellement », selon les termes de son directeur général.. Ratages et approximations.
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