Dans la série des interviews de Nawaat relatives à la Justice tunisienne, nous publions aujourd’hui celle réalisée avec M. Patrice de Charette. Notre invité est “expert en réforme légale”, Chef de mission pour l’Assistance technique au Programme d’appui à la réforme de la justice [tunisienne] (PARJ). Il cumule quarante années de pratique judiciaire, tant au niveau des chambres d’instruction et des prétoires qu’au niveau des instances représentatives de la magistrature.

Version intégrale de l’interview (30min)- (Voir ci-bas pour un résumé de 12min)

Ancien président de la chambre sociale à la Cour d’appel de Toulouse, il fut également juge international nommé par l’ONU pour rendre la justice dans les cours kosovares contre les crimes de guerre. Très tôt, il s’investit dans les instances représentatives de sa profession. Ancien porte-parole du Syndicat de la magistrature (France, jusqu’en avril 2010), il fut par ailleurs secrétaire général de l’association européenne de magistrats (MEDEL).

En tant qu’expert, il dirigea la mission de l’assistance technique au Programme d’appui à la justice au Tchad (PRAJUST) et le projet d’appui à la consolidation de l’État de droit à Madagascar, soutenus par l’Union européenne.

Mais il fut surtout, celui dont le nom fut gravé dans les annales judiciaires françaises avec la célébrissime Affaire Chapron (1975). En l’espèce, il fut celui qui ordonna, pour la première fois en France, la mise en détention provisoire d’un “grand patron” pour homicide involontaire. Il est celui qui va faire intégrer, quasi “aux forceps” la responsabilité de « celui qui a la compétence, les pouvoirs et l’autorité » dans le droit du travail français.

Le parcourt de ce magistrat, atypique, avec une longue expérience et un large éventail d’expertise, le prédestinait tout naturellement à une activité de conseil à la pertinence certaine. Et c’est en tant que chef de mission pour l’Assistance technique au Programme d’appui à la réforme de la justice [tunisienne] (PARJ), qu’il est en Tunisie, depuis deux années.

Le profil et les fonctions actuellement exercées par M. de Charette en Tunisie sont susceptibles de faire de lui une « cible de choix » pour tout travail journalistique sur le thème de la réforme de la Justice en Tunisie. Or, nous devons reconnaître que ce n’était pas ainsi que l’on voyait les choses, avant d’écouter et de rencontrer l’homme.

En effet, avec l’usure du temps, nous avons appris, durant notre travail pour Nawaat, qu’avec les «Officiels étrangers», il est parfois très difficile d’avoir un échange franc et direct, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer, en public, des faits qui peuvent sembler difficiles à entendre. La crainte, certes légitime, d’être mal compris, de blesser ou de tendre le flanc aux détournements de propos malsains, aboutissent souvent à un pur exercice de style de langue de bois de la part desdits «Officiels étrangers». Pour ne pas heurter les sensibilités, on fuit ainsi les réponses en usant d’une langue de coton diplomatique.

Mais qu’elle ne fut notre surprise d’avoir eu en face de nous un « officiel » remarquable par sa franchise en public et par son honnêteté intellectuelle. L’ «Officiel» s’éclipse derrière sa qualité de magistrat, œuvrant pour une justice plus efficace, plus performante, plus humaine… quel que soit le lieu. Des magistrats tunisiens, il en parle en tant que «collègues», qualificatif qu’il utilise d’ailleurs à maintes reprises durant l’interview. Et il évoque les carences et dysfonctionnements de la justice tunisienne comme le ferait tout aussi naturellement un Ahmed Soueb, Raoudha Karafi, Ahmed Rahmouni ou feu Mokhtar Yahyaoui, chacun avec son style et son appréciation, il est vrai.

C’est dire que cette interview fut atypique à l’image de l’invité. Car elle offre un regard à la fois extérieur sur la justice tunisienne, mais de la part de quelqu’un manifestement solidaire de ses collègues magistrats tunisiens, y compris et surtout, par sa franchise.

Aussi, ne faudrait-il pas s’étonner des propos directs de ce magistrat international quand il s’est agi de qualifier les choses par leurs noms.

Et pour cause, notre invité aura l’occasion de revenir sur une multitude de carences qui frappent la justice tunisienne tout au long de ses process, lesquels, par moment, frisent, il est vrai, l’absurde. Il réussit ainsi d’une manière singulièrement éloquente -sans vocabulaire technique compliqué- à formuler des constats désarmants. Il parvient même en quelques phrases à expliquer au commun des justiciables, ce qu’est -et le pourquoi- de la «Mise en état» (il serait vain de notre part d’expliquer ici la signification de cette expression -il suffit de regarder l’interview- d’autant plus que nous serions incapable de le faire aussi simplement).

Répertorier les dysfonctionnements, comme le fait M. de Charette, relève de ce qui est le moins difficile. Le plus laborieux est, sans aucun doute, le fait de réformer ensuite. Le projet de l’Assistance technique au Programme d’appui à la réforme de la justice tunisienne (PARJ) aspire à agir à ce niveau, entre autres.

Mais qu’en sera-t-il des lourdeurs de l’administration, le poids du conservatisme et la facilité du statuquo qui incarnent le côté le plus laborieux des obstacles à affranchir pour réaliser les réformes envisagées ?

À la fin de l’interview, nous vous laissons découvrir l’appréciation de M. de Charette quant à son optimisme ou pessimisme au niveau de la célérité de la mise en œuvre des réformes en question.

Résumé de l’interview en 12min. Voir ci-haut pour la version intégrale