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Le cinéma de Férid Boughedir, c’est connu, s’amène souvent avec ses gros sabots. Passé l’érotisme rose bonbon d’Halfaouine et d’Un été à la Goulette, voici, vingt ans après, le nouvel ingrédient de la recette : un comique gris trianon, fade. Curieux rire, cependant, que celui auquel Zizou veut nous forcer, en faisant de la politique un prétexte à empaillages comiques. Le récit est situé à la veille de la révolution de janvier 2011. Trop naïf, Aziz, surnommé « Zizou », est un jeune diplômé à qui tout peut arriver. Mais ce n’est pas pour les mêmes raisons qu’il arpente les terrasses et les toits, comme le petit Noura dans Halfaouine. Chômeur timide, il quitte le sud pour chercher du travail à Tunis. Sur place, il devient installateur de paraboles. Entre le souk de Moncef Bey et les résidences de Sidi Bou Saïd, Zizou accumule les déboires. Fauché, il se laisse facilement embraquer dans les magouilles des autres : il pêche par excès de bonne volonté. Seulement voilà, Zizou tombe sous le charme d’une jeune fille. Sauver cette « Aïcha » du clan mafieux qui la séquestre, n’ira pas sans lui compliquer les choses.

La politique : un ramassis de piteux clichés

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Si le sujet de Zizou est politique, cet aspect n’est que la peau du film. Le personnage de l’installateur de paraboles se veut un miroir réfléchissant les paradoxes de la société tunisienne sous la dictature. Dans les comédies sociales, que le cinéma italien des années soixante-dix a portées au pinacle, la politique n’est qu’un prétexte pour sonder l’âme humaine. Mais ceux qui réduisent la politique à un ramassis de piteux clichés, risquent de s’y casser les reins. Le comique, chez Boughedir, s’avoue ici nettement hors course. Non que le rire bloque dans la gorge, puisqu’à ce film on ne rit guère. Mais le ver est dans le fruit. Parce que la trame est lâche, inutile de chercher sur l’écran des motifs à réflexions. Expéditive, la caméra de Boughedir ne déserte pas le côté jardin pour nous entraîner côté cour, comme dans les bonnes comédies qui se respectent. À grands renforts de champs-contrechamps des plus scolaires, elle se contente de tergiverser. S’il y a comique dans Zizou, ce serait assurément un comique constipé.

À moins que ce soit le ridicule qui l’emporte ici, et haut la main. D’une part, avec une roublardise un peu voyante, Boughedir veut ratisser large par saynètes interposées. C’est tout le monde qui en prend pour son grade. Cela nous vaut une galerie de personnages confortablement campés sous toutes les latitudes : des partisans mafieux de l’ancien régime aux syndicalistes hors ligne, des islamistes clandestins aux militants des droits de l’homme. D’autre part, pour mettre les rieurs de son côté, Boughedir court au plus pressé. S’il s’efforce de démasquer les hypocrisies pré-révolutionnaires et les lâchetés post-révolutionnaires, le film baigne dans une mièvrerie qui ne fascine pas. Coincés, les personnages se taillent dans l’humour une épaisseur quasi nulle. Le ridicule est sans doute nécessaire au comique, comme les anticorps à la médecine. Sauf qu’ici, le ridicule ne connaît qu’une loi : celle du cliché. Boughedir ne vend pas d’autre mèche.

Le 14 janvier entre el Qahwa el Alia et Sidi Chabaane

En vain Zizou varie les ressorts du comique pour renverser la vapeur. S’il met en scène des faits constamment déviés – la vague des contestations s’étant étendue, paraît-il, entre le Café des Nattes et le Café des Délices –, Boughedir livre un film sans aspérité. Bouffées d’ennui. Entre comique de geste et comique de situation, les clichés les plus lourdingues tirent ici en longueur, sur fond de polarisation politique : de la barbe de circonstance des partisans de l’ancien régime, aux jeunes militantes en herbe, en passant par les petites bourgeoises mal baisées. Se rabattre alors sur un comique de mots ? On connaît les vieilles recettes : si la grillade n’est pas savoureuse, il est possible de pallier sur la sauce. Mais ce n’est pas en se rattrapant sur les grivoiseries qu’on sauve un scénario d’une faiblesse affligeante, ni avec des personnages en situations prévisibles car cousues de fil blanc. Reste peut-être le comique de caractère. Mais là encore, même avec un semblant de liberté loufoque, la sauce ne prend jamais. Avec un jeu et une direction d’acteurs à la ramasse, à l’exception de Fatma Ben Saïdane et dans une moindre mesure Zied Touati, ce film ne déride que les cons. Non sans y grincer des dents.

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Comédie politique qui ne l’est point, Zizou est aussi insipide qu’incolore. Effarant de lourdeur, ce film est nettement plus ridicule que comique : fiasco. Maintenant que la trilogie est bouclée, la recette de Boughedir peut être placardée. Prenez un échantillon biaisé de la société tunisienne : un petit puceau ; quelques adolescents en chaleur ; ou un jeune chômeur diplômé. Jetez l’un dans un hammam de femmes ; gardez les autres à l’œil pendant les vacances d’été ; ou embraquez l’adulte dans un louage à destination de la capitale. Injectez surtout un peu de voyeurisme ici, une petite amourette là, avec une bonne dose de mots salaces. Agitez bien. À tous les coups, les clichés comme les culottes vont s’user et la mièvrerie s’enfler. Que restera-t-il en mémoire ? Peut-être une chéchia dont s’affuble le réalisateur de Zizou. Si le ridicule a ses saints, Boughedir aura désormais sa place dans le catalogue.