Moi, les mecs qui sont mous quand ils serrent la main, j’ai pas confiance Charles Bukowski
Contrairement à ce qu’ont pu affirmer de nombreux commentateurs, ce qui caractérise le discours qu’a tenu le Premier ministre dans l’entretien qu’il a donné mercredi dernier n’est pas la fermeté. Youssef Chahed est mou. Ses paroles sont molles. Sa pensée, si j’ose dire, n’est pas très dure non plus. Cotonneuse, flasque, inconsistante, vide. Vous pourriez me répondre qu’un bon ballon, pour être creux, n’en est pas moins ferme. Certes. Mais là, en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Quoi que ronde et lisse, sans nulle aspérité, la pensée politique de notre Premier ministre évoque plutôt la vieille chaussette roulée en boule que les gamins utilisent parfois pour jouer au foot.
N’a-t-il pas martelé que force serait à la loi ? Que les corrompus seraient jetés derrière les barreaux ? Que ceux qui avaient peur n’avaient qu’à se cloîtrer chez eux ? Oh oui, il l’a dit ! Ce n’était pourtant que vantardise d’un matamore qui bombe le torse pour se rassurer lui-même. Tout son corps n’exprimait-il pas sa détermination à agir, la fermeté de sa volonté et l’assurance de ses moyens ? Oh que non ! Ce n’était que forfanterie et menterie d’un hâbleur qui ne croit pas en lui-même. Pas en lui-même, je précise, en tant que Premier ministre. Avez-vous remarqué que pas une fois, Youssef Chahed n’a souri ? L’heure est grave et le propos sévère, le temps n’est pas à la drôlerie, je l’admets volontiers mais si Youssef Chahed n’a pas manifesté la moindre amabilité pour ses interlocuteurs journalistes, pourtant bienveillants, ni pour nous tous ses auditeurs, ce n’était pas par fermeté. Youssef Chahed n’était pas ferme, il voulait paraître ferme. Il était rigide parce que crispé. Mais mou, indubitablement mou, au point de nous demander sans cesse de lui faire confiance.
Les trois maîtres-mots de ses interventions visiblement apprises par cœur, boniment vendu sous vide, réponses dépourvues de toute spontanéité, sans rapport souvent avec les questions qui lui étaient posées, abstraites quand on lui demandait d’être concret et faussement concrètes quand on ne lui demandait rien du tout, les maîtres-mots, donc, de son propos étaient la loi, je l’ai déjà mentionné, le partage et la confiance. Le partage, vous vous en doutez, n’était pas le partage des richesses mais le « partage des sacrifices ». En tant de crise, on ne s’en prend pas aux responsables de la crise mais à tout le monde à égalité. Le Premier ministre a même osé dire que la responsabilité de l’endettement nous incombait à tous ! Nous avons été FMI-sés parce que nous étions FMI-sables, comme certains affirment que si une femme a été violée, c’est qu’elle était violable. Riches ou pauvres, nous aurions tous mangé à la même table et nous devrions tous payer la facture et même le pourboire du serveur. C’est la notion chahedienne de l’égalité et de la justice. Ainsi, on privera d’un pain par jour le salarié ou le chômeur qui en achète deux quotidiennement et on privera d’un pain par jour également l’homme d’affaire ou l’industriel qui achète quotidiennement un container de pains de toutes sortes. C’est une image, bien sûr, parce que l’homme d’affaire ne mange pas de pain ; il mange de la brioche.
Voilà, en substance, ce qu’a annoncé le chef du gouvernement, feignant d’oublier que pour être ferme dans ses décisions, bonnes ou mauvaises, il ne faut pas être le représentant mou d’un gouvernement mou. Pour être ferme, il faut avoir de la puissance. Or ce gouvernement, en lui-même, n’en a guère, reposant, comme chacun sait, sur des rapports de forces hésitants, fluctuants et instables. Déjà, tant le gel des salaires que la taxe provisoire à laquelle seraient assujettis les patrons sont remis en cause respectivement par l’UGTT et l’UTICA, et même, semble-t-il, au sein du gouvernement. Je fais erreur, dites-vous. Youssef Chahed s’est montré au contraire aussi habile qu’un vieux boutiquier ? Dans la logique du marchandage, il avance ses pions et il les avance bien ? Il procède comme ces marchands qui font monter les enchères pour négocier à leur avantage ? C’est fort possible. D’autant plus qu’à l’instar de ces margoulins d’autrefois, il n’a que le mot « confiance » à la bouche.
La confiance qu’il appelle de ses vœux est l’autre leitmotiv de son discours. Rétablir la confiance, redonner la confiance aux citoyens et donc lui faire confiance à lui, serait la solution à la crise. Dans un dessin paru il y a quelques jours, Hamdi Mazhoudi, le caricaturiste d’Essabah, a très bien représenté le sens de ce propos. On y voit la main tendue et menaçante du gouvernement exiger d’un pauvre zaouali, en culotte et les bras en l’air, qu’il lui accorde sa confiance, bon gré mal gré. C’est assez bien vu. Mais, à cette illustration, il manque une autre dimension, celle qu’on a coutume d’appeler la « carotte », complément indispensable du «bâton ». Sans l’une et l’autre, le menu ne serait pas équilibré. Et la carotte que nous offre, ou feint de nous offrir, Youssef Chahed s’appelle la construction de logements sociaux, la remise en état des routes et quelques machines à ramasser les ordures, ici et là.
Monsieur le Premier ministre, votre souci de gagner la confiance de vos concitoyens – dont je suis – est peut-être une ambition respectable. Mais, pour y parvenir, il vous faut au moins quelques idées. Pour que ces idées suscitent la confiance, il ne suffit pas de froncer les sourcils en les énonçant. Ces idées doivent être crédibles. Au moins un tout petit peu.
Je vous explique. Une idée de Premier ministre, Monsieur le Premier ministre, c’est comme une entrecôte, mais c’est moins cher. Une idée crédible est une idée qui peut être crue. Et, si elle peut être crue, c’est que parfois elle est cuite. Il en existe de toutes sortes. Certaines sont cuites et recuites, d’autres sont à point. Celles-là peuvent attendre. Le problème, c’est que souvent les idées les plus réchauffées sont celles qui sont crues. Mais les idées les meilleures sont assurément les plus saignantes, voire même celles qui sont bleues. Imaginez, pourtant, Monsieur le Premier ministre, qu’à l’Assemblée, à la télévision ou lors d’une quelconque conférence de presse, vous déclariez sur le ton péremptoire que vous semblez affectionner : « J’ai une idée bleue ! ». Vous risquez alors de n’être pas cru et votre avenir politique est cuit.
Si je doit lier cet article de Mohamed Samih
مشروع قانون دفع النمو الاقتصادي غطاء لإرساء ديكتاتورية اقتصادية
Et le votre, je dirai ceci :
Si nous partons du fait qu’en Tunisie nous vivons un temps démocratique ou de construction démocratique, comment peut-on appeler la concentration des solutions (ou des outils de la solution) entre les mains d’une seul et unique personne ? L’absolutisme démocratique ! Ou juste la dérive autoritaire ? Pourquoi donc la démocratie ? Quand une chambre de représentants du peuple, élue démocratiquement et plurielle dans ses couleurs politiques, s’engage à voter des textes des lois qui ramènent la chose (action gouvernementale) dans les mains du chef du gouvernement , on doit penser quoi de ce régime politique ? Ou de cette manière de faire ? Pour moi, je pense qu’il y a bien une inconscience, du diagnostique fait par eux mêmes, « vu l’état exceptionnelle par la quelle passe la Tunisie » ; c’est terrible ! Si nous sommes dans un état exceptionnelle ou un passage historique exceptionnel très dangereux économiquement parlant, il faut surtout dans l’action pilotage, s’assurer que qu’il n y aura pas de dérive ni ouvrir les portes pour des possibles dérives. C’est tout à fait le contraire de ce qui fait Echahed. Si la Tunisie ne gagne pas en mécanismes de transparence, et en outils de contre pouvoir, et de contrôle démocratique et social, les dérives politiques (aller vers l’autoritarisme) sont assurées, ainsi que le risque d’atterrir en fin de parcours (ces trois ans comme le prévoit la feuille en PDF, et même avant), sur une faillite totale du pays, malgré les nouveaux moyens engagés (plus de fiscalité, nouveaux endettements, …), sera garanti par le fait de nature de l’exercice. Est ce que ce de cette confiance que Echahed nous parle et qu’on doit lui accorder ?
Ça devient compliquer avec lui.