Lundi 10 octobre, l’Observatoire des droits et liberté en Tunisie tiendra une conférence de presse à Tunis pour présenter sa dernière campagne, lancée la semaine dernière, sous le slogan Laissez-moi vivre ! qui dénonce l’interdiction abusive à des centaines de personnes de circuler d’une ville à une autre. La campagne de sensibilisation accuse le ministère de l’Intérieur d’abus de pouvoir et d’entrave à la liberté de circulation. En majorité islamistes, les victimes de cette procédure réclament la levée de la restriction de circulation ou la mise en place d’une méthode claire de recours juridique.

Le S17 est une procédure utilisée par le ministère de l’Intérieur pour obliger des personnes suspectes d’informer l’Administration des frontières et des étrangers de leurs voyages en dehors du pays et à les retenir si nécessaire. Contrairement à son utilisation habituelle, le S17 s’applique désormais aux personnes suspectes durant leurs déplacements sur le territoire national. Ainsi un habitant de Sousse en route vers Tunis, s’il est fiché S17, sera conduit au poste de police le plus proche où il y passera en moyenne de 3 à 6 heures entre interrogatoires, tests médicaux et remplissage de fiches de renseignement avant d’être relâché sans aucune preuve de l’arrestation ni explication de son motif.

Prison à ciel ouvert

Selon Marwen Jedda, directeur exécutif à l’Observatoire des droits et libertés en Tunisie « des milliers de personnes sont devenues séquestrées dans leurs quartiers. Elles ont perdu leur travail. Elles ont arrêtés leurs études. Elles sont même interdites de soin et  parfois rejetées par la famille et les amis. Nous avons reçus des centaines de témoignages attestant que ces arrestations S17 peuvent se répéter plusieurs fois par semaine. Il y a ceux qu’on arrête plusieurs fois dans la même journée, chaque arrestation dure plus de 3 heures. Les victimes ne peuvent pas porter plainte et n’ont aucun moyen de mettre un terme à leur harcèlement ».

Mohamed Guerfal, 36 ans et père de trois enfants subit, depuis 2012, la séquestration de la procédure S17. Commerçant entre la Libye et la Tunisie et habitant de Ben Guerdane, il se fait régulièrement arrêter et conduire au poste de police. « Les policiers me disent que je suis fiché S17 parce que j’ai une barbe et je fais la prière. À chaque arrestation, on m’interroge sur la fréquence de mes prières et si ma femme est voilée ou non, le genre de livres que je lis, les gens que je fréquente … après on me relâche avant de me demander pardon parce qu’il y a rien contre moi. À force de passer plus de temps aux postes de police que dans les marchés où je travaille, j’ai fait faillite et maintenant je n’ai plus de quoi nourrir mes petits » témoigne Mohamed. Interdit de rentrer à Djerba et devant l’absence de médecins spécialistes à Ben Guerdane, il est obligé d’emmener sa fille de 8 ans atteinte d’autisme à Zarzis. « À chaque visite médicale à Zarzis, je me fais arrêter. Maintenant, je ne peux plus emmener ma fille chez le docteur. Du coup, elle n’arrive toujours pas à parler et elle ne va pas encore à l’école » se plaint Mohamed.

Impossible de porter plainte

Amna Guellali, directrice du bureau de Human Riaghts Watch en Tunisie, affirme que cette procédure est arbitraire. « Rappelant les pratiques de la dictature, cette procédure ne se base sur aucun texte juridique. Nous n’avons pas, du coup de visibilité sur les procédures à suivre pour faire opposition. Exactement comme l’assignation à résidence où des présumés suspects sont interdits de sortir de leur domicile, cette S17 empêche plusieurs personnes de sortir de leurs quartiers » affirme Guellali avant de préciser que HRW attend encore des explications officielles de la part du ministère de l’Intérieur.

Rima Cheldia, 35 ans, danseuse est suspectée de prostitution. En 2012, elle rentre en Tunisie. Les autorités l’interrogent sur ses activités à Bahreïn où elle avait un contrat de travail de deux ans. « Après cet interrogatoire où ils n’ont rien trouvé contre moi, j’ai découvert que j’avais ce S17. À chaque déplacement, ils m’arrêtent et me conduisent au poste de police. Une fois, on m’a interdit d’accès à Jerba où j’avais une soirée à animer. Quand je suis allée au ministère de l’Intérieur pour demander d’arrêter cette procédure contre moi, un policier a vouut me faire un procès et me tenir derrière les barreaux. Mais je l’’ai échappé belle » témoigne la jeune femme, obligée de rester enfermée dans un hôtel où elle travaille à Hammamet.

Selon l’Observatoire des droits et des libertés en Tunisie, la campagne ne concerne pas seulement les suspects de terrorisme mais différents profils de la société. Marwen Jedda cite l’exemple de Azzedine Sassi, un Tunisien résidant en Belgique, arrêté à maintes reprises à l’aéroport au nom de la procédure S17. « Après vérification, la police découvre qu’il a le même nom qu’un terroriste recherché. Mais on lui dit que tant qu’on n’arrêtera pas la personne recherchée, il sera toujours arrêté. Malgré toutes ses tentatives de recours, Azzedine passe plusieurs heures en état d’arrestation à l’aéroport à chaque visite en Tunisie» explique Marwen.

Comme la procédure d’assignation à résidence, la restriction de circulation S17 est une carte blanche aux mains de l’exécutif. Privés de leur liberté, les suspects sont dépourvus de leur droit de contester ce qui ressemble à une condamnation de prison sans juge, ni jugement.