Les travaux de la COP22 ont pris fin vendredi 18 novembre à Marrakech, sur fond de contestation grandissante du greenwashing de la monarchie marocaine. Alors que le gouvernement tunisien et ses alliés d’une société civile partisane s’alignent avec les multinationales et les Etats pollueurs, d’autres Tunisiens élèvent la voix contre la récupération politique de la lutte climatique. Reportage.
Malgré les réticences des autorités, la marche mondiale pour le climat a eu lieu dimanche 13 novembre 2016 à Marrakech avec une forte présence de slogans anti-Makhzen et anti-COP. De peur d’une dérive contestataire – risque accru après la mort de Mouhcine Fikri, la police politique marocaine a encerclé les quelques 3000 militants présents dans la marche. L’officielle Coalition marocaine pour une justice climatique, qui n’est pas exempte de compromission avec le pouvoir et qui rassemble la « société civile » et les délégations étrangères des organisations internationales, a été devancée par des composantes de la gauche marocaine, notamment l’Association marocaine des droits humains et Attac Maroc, regroupées au sein du réseau RedaCOP22 (réseau démocratique d’accompagnement de la COP22), plus critique vis-à-vis des négociations onusiennes.
À quelques mètres du site officiel de la COP22, nous avons fait la rencontre de Tunisiens qui n’apparaissent pas dans les comptes rendus de la presse nationale sur la conférence onusienne. Boycottant la zone verte pour contester la présence sioniste, ils participent au village autogéré des associations, mouvements sociaux, syndicats et coopératives du monde entier.
Société civile officielle VS société civile réelle
Dans le cadre d’une coalition maghrébine, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et l’Association tunisienne des femmes démocrates font partie des présents. L’UGTT est là aussi. De son côté, le Forum tunisien des droits sociaux économiques organise deux ateliers dans le village autogéré. Le premier porte sur la justice environnementale et les moyens de convergence entre les mouvements sociaux. Le deuxième atelier est centré sur la stratégie de lutte commune pour une justice environnementale et climatique entre les mouvements sociaux et la société civile nationale. Dans les deux ateliers programmés pour les 14 et 15 novembre sont intervenus des militants de Metlaoui (Bassin minier), Gabès, Sfax, Kairouan et Ksibet El Mediouni (Monastir), ainsi que des représentants de la LTDH, de l’UGTT et de l’Observatoire tunisien de l’eau.
Radhouane Fatnassi, président de la section du Kairouan du FTDES, explique que la participation du Forum tend à mettre en relief le rapport entre les mouvements sociaux et la justice climatique. « Les slogans scandés, aujourd’hui, dans la marche ne sont que le reflet des revendications des peuples révoltés depuis 2011. La dignité ne peut pas être dissociée du droit à un environnement sain et à des ressources naturelles équitablement partagées » affirme le militant. Et d’ajouter :
Nous essayons ici de mettre en valeur les efforts des mouvements sociaux pour la justice climatique. Notre objectif est de dénoncer l’absence de dialogue avec le pouvoir en place en Tunisie. Ce dernier a signé l’accord de la COP21 sans pour autant mettre en œuvre des mesures sérieuses pour changer la politique environnementale.
Du 27 au 29 mai, le FTDES et le Forum Maghrébin des alternatives sociales ont organisé à Hammamet (Tunisie) le Forum social Maghrébin pour une justice sociale et climatique, qui a réuni des mouvements sociaux, des associations et des collectifs du Maroc, de Tunisie, d’Algérie et de Palestine en préparation à la COP22.
Zouhaier Ben Abdallah, président de Nomad 08 Redeyef, qui intervenait dans le cadre des activités du FTDES dans le village autogéré pour présenter les dernières activités de l’Observatoire tunisien de l’eau, justifie ainsi la pertinence de l’échelle maghrébine :
Le Maghreb est l’une des régions les plus touchées par le manque d’eau dans le monde. Cette pénurie d’eau, en plus du chômage, de l’émigration et de la pollution, est une conséquence directe du changement climatique. En Tunisie, comme au Maroc ou en Algérie où l’exploitation du gaz du schiste est florissante, l’eau est monopolisée par les industries polluantes, au détriment des communautés locales.
Des Tunisiens qui boycottent la COP22
Samir Mosbah de Redeyef et Safouane Guibibia de Gabès ont refusé de se rendre au Marrekech pour contester la COP22 et ses événements. Invités par Attac Maroc et l’Association marocaine des droits humains, ils ont assisté à une rencontre internationale les 4 et 5 novembre à Safi, jumellé avec Gabès, victime de l’industrie de phosphate. Ils ont ensuite fait le déplacement jusqu’à Imider, village en sit-in, depuis 2004, pour contester l’exploitation minière, qui détruit l’environnement et menace les ressources en eau.
Safouane Guibibia, militant dans le collectif نحب نعيش [Je veux vivre], a déjà refusé d’assister à la COP21 en France. Pour lui, la justice climatique passe impérativement par le changement du système capitaliste. Sous le titre « changer le système, pas le climat », la conférence était l’occasion de montrer que « les peuples du grand Maghreb et de l’Afrique en général souffrent des politiques du capitalisme international, de l’exploitation privée des ressources naturelles et surtout l’eau, du chômage, de la pollution et de l’absence de l’État », explique Safouane, qui milite depuis 2011 pour que l’État reconnaisse Gabès comme une région victime de la pollution industrielle.
Samir Mosbah, militant de l’Association tunisienne pour la justice environnementale et sanitaire à Redeyef, rend hommage « aux habitants du bassin minier, de Safi, d’Imider et de Gabès, qui sont en perpétuelle révolte depuis des décennies pour la dignité et la justice ». Pour les deux militants inscrits désormais dans une dynamique internationale de lutte pour la justice climatique, la solution est dans les mains des peuples. « En plus des dégâts écologiques irréversibles que les multinationales doivent rembourser, nous devons pousser vers une nouvelle économie non polluante. Les pouvoirs en place nous font croire que le capitalisme est inévitable. La vérité est autre. Nous pouvons redistribuer les cartes et instaurer progressivement une économie locale et écologique qui profitera à tout le monde », appelle Safouane Guibibia, qui continue à préparer des actions de mobilisation à Gabès.
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