Sihem Ben Sedrine, présidente de l’IVD, a fait une déclaration magnifique. Elle a dit : « Nous sommes tombés sur des documents français qui nous donnent de nouvelles preuves concernant la violation des Accords de Genève » par la France durant la bataille de Bizerte, « ils ont bombardé des civils et ont commis des crimes de guerre […]. La Tunisie exigera son droit. Je dis la Tunisie et non pas l’Instance, car l’Instance prépare les dossiers et les transmet aux parties concernées qui feront, on l’espère, leur travail, à savoir demander à la France non pas seulement des excuses mais également des réparations pour ces violations en Tunisie, un pays indépendant et souverain ».

Il ne m’intéresse pas de savoir pourquoi Sihem Ben Sedrine a fait cette déclaration ni pourquoi elle l’a faite précisément en ce moment. Ce qui est important en l’occurrence, c’est que les exigences qu’elle a formulées sont parfaitement justifiées et qu’elles ont été formulées par la présidente d’une institution qui a non seulement la légitimité que lui a conférée la Constitution mais également la légitimité de la révolution dont elle est l’un des principaux acquis. En s’engageant à ouvrir le dossier des exactions commises par l’Etat français lors de la bataille de Bizerte, l’IVD n’outrepasse pas, en outre, ses prérogatives légales.

Les faits qui ont été évoqués par Sihem Ben Sedrine se sont déroulés en 1961 et sont envisagés dans le cadre du droit international concernant les crimes de guerre commis à l’encontre d’un Etat souverain. On se doute par ailleurs, et c’est tout aussi important, que la mise au jour de l’ensemble des dossiers concernant cet épisode tragique de notre histoire récente permettra également de faire toute la lumière sur les responsabilités des autorités tunisiennes dans cette affaire et en particulier du président Habib Bourguiba. Autrement dit, d’un point de vue politique, ce n’est pas seulement la France qui risque de se trouver sur le banc des accusés.

Si l’IVD persiste dans sa volonté et agit effectivement dans le sens annoncé par Sihem Ben Sedrine, on imagine sans difficulté les obstacles de toutes sortes qui lui seront opposés par un Etat qui demeure encore largement bourguibien. Les campagnes ignobles dont elle est régulièrement l’objet et qui ont connu une brutale aggravation au lendemain des auditions publiques des victimes de l’ancien régime et de la discussion du budget de l’IVD au parlement risquent de plonger encore plus bas dans l’ignominie. De même que la bataille contre l’impunité des responsables de la torture, des emprisonnements arbitraires, du harcèlement, des humiliations et de toutes les souffrances imposés aux opposants politiques et à leurs proches sous Bourguiba et Ben Ali, celle qui doit être menée pour que le gouvernement prenne en charge l’exigence de réparations pour les crimes de l’Etat français ne peut incomber à la seule IVD sous peine d’être perdues. Il est donc indispensable que la « société civile », les partis politiques et leurs députés se mobilisent à leur tour pour faire triompher ce combat qui, au-delà de la mémoire des victimes, est un combat pour notre dignité. C’est à cet engagement aussi que se mesure la fidélité à la révolution.