Pourrait-on m’expliquer ? Je voudrais comprendre pourquoi la gauche tunisienne, et plus étonnamment encore la tendance qui se considère comme radicale, voue-t-elle une hostilité apparemment sans limite à Moncef Marzouki. Quand je dis Moncef Marzouki, j’entends aussi le parti qu’il a fondé, Harak Tounes El Irada, mais également d’autres formations politiques à l’instar Attayar Eddimocrati ainsi que la flopée de groupes, de tendances, de courants idées, issus pour certains de l’explosion du CPR, des marges d’Ennahdha, ou, plus généralement encore, de cette large et instable mouvance populaire (instable dans le sens où un produit chimique est instable) qui s’est plus ou moins reconnue dans Moncef Marzouki lors de la dernière élection présidentielle.
On veut (pour de mauvaises raisons, à mon avis) reprocher à l’ancien président de la République son alliance avec Ennahdha dans le cadre de la Troïka. On le soupçonne (avec malveillance et mauvaise foi) de n’être que le pantin de l’islamisme. Pour sa défense, outre la résolution et le caractère irréprochable de son engagement contre le régime de Ben Ali, qualités que peu d’opposants – y compris de gauche – ont partagé, on pourrait lui reconnaître d’avoir été l’un des rares à avoir compris que l’enracinement populaire d’Ennahdha n’était pas qu’une histoire de « conservatisme religieux » ou de manipulation, qu’il était, que l’on s’y reconnaisse ou non, l’une des expressions de la révolution – la révolution réelle, belle et moche à la fois – et non de la contre-révolution. A ces titres, le docteur, comme il aime qu’on s’en rappelle, mérite très certainement tout notre respect.
Installé à Carthage, Marzouki s’y est pris comme un benêt. « Maladroit avec la gauche, gauche avec la droite » comme disait le bon Fernandel, il a bien souvent semblé obsédé par le désir de scier la branche sur laquelle il était assis. Il a manœuvré – et mal – au lieu de puiser sa force dans la révolution. Maintes autres critiques – plus substantielles – pourraient encore lui être adressées concernant la politique qui a été la sienne. Mais de quel courant ou de quel dirigeant pourrait-on ne pas en dire autant ?
Là n’est pas, en effet, ce qui lui est vraiment reproché. Ce qui est reproché à Moncef Marzouki, c’est le principe même d’une alliance avec Ennahdha, un reproche d’autant plus impudique, gonflé si j’ose dire, que ceux-là mêmes qui le vouent aux gémonies n’ont pas hésité à s’allier avec les héritiers du régime benaliste et autres restaurationnistes pour renverser la Troïka. Pour une partie d’entre eux au moins, c’est toujours le cas, quand bien même ils adoptent une posture publique d’opposants et agitent – dans la limite tolérée par l’UGTT – l’alibi de la « question sociale ».
En tout état de cause, si cette gauche conteste aujourd’hui l’alliance gouvernementale dans toutes ses composantes, son principal ennemi ne sont ni les forces restaurationnistes, politiques, sécuritaires ou économiques, ni le libéralisme (quoi qu’elle prétende) mais toujours et encore Ennahdha ainsi que la nébuleuse qui a soutenu la Troïka, les courants qui ont appuyé la candidature de Marzouki à la présidentielle et ceux qui persistent à le soutenir.
Or, nous ne sommes plus du tout dans la configuration qui était celle de la Troïka et de la Constituante. Ennahdha est bien ancrée, et durablement semble-t-il, dans l’Etat tandis que la galaxie que j’appelle par commodité « marzoukiste » s’y oppose vigoureusement, cultivant, à juste titre, l’héritage de la révolution contre l’ancien régime. De manière confuse et politiquement brouillonne, incohérente parfois, sans projet ni alternative, idéologiquement difficile à cerner, certes. S’y croisent des personnalités aux principes aussi rigides qu’extravagants et des dirigeants opportunistes et ambitieux auxquels j’hésiterais à prêter un dinar. Mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, je dis bien aujourd’hui, dans les conditions qui sont les nôtres, cette galaxie représente ce qu’en d’autres temps on définissait politiquement comme étant la « démocratie petite-bourgeoise », inscrite dans la dynamique de la révolution et non de la réaction. Et, même si mon propos peut choquer certains militants de gauche ou sembler complètement fantasque à d’autres, je ne suis pas loin de penser que, dans l’équation politique actuelle, cette mouvance est plus « radicale » que les courants de gauche qui occupent les médias.
J’ajouterais même cette hypothèse : l’acharnement de cette gauche contre la Troïka, alors même qu’elle appartient à un passé révolu et que sa principale composante est engagée dans une nouvelle stratégie, viserait peut-être moins Ennahdha que Moncef Marzouki qui est en mesure – s’il sait y faire – d’étendre son influence sur des secteurs populaires que la gauche pourrait considérer comme son espace « naturel » d’expansion. Aux élections municipales à venir, cette gauche, dépourvue d’une véritable implantation populaire, jouera son véritable enracinement institutionnel, plus décisif sans doute que sa présence actuelle au parlement. Et on peut imaginer que rien ne lui serait plus agréable que d’apparaître comme la seule force d’opposition. Ce n’est là qu’une hypothèse mais ce type de calculs est tout à fait dans la tradition des formations historiques de la gauche tunisienne. Une autre solution existerait pourtant : construire des ponts avec le courant Marzouki et les forces similaires pour tenter de développer en commun une dynamique démocratique qui renoue avec les aspirations exprimées par la révolution.
Si cette gauche conteste aujourd’hui l’alliance gouvernementale dans toutes ses composantes, son principal ennemi ne sont ni les forces restaurationnistes, politiques, sécuritaires ou économiques, ni le libéralisme (quoi qu’elle prétende).. c’est le problème même de la gauche radicale tunisienne, c’est une sorte de corruption idéologique , qui vit en elle même . Dommage ! Comment comprendre çà ? Je ne sais pas ..
et puis Hamma aujourd’hui conforte votre idée, lors de son passage sur radio Mozaique..
حمة الهمامي: كيف ما نهاجموش النهضة أش تحّبونا نعملوا؟
Analyse RE-MAR-QUABLE ! à pleins d’égards. Pour ce qui est des scenarii d’avenir, je crains que notre “gauche” actuelle est quelque peu “outdated” et ferait plutôt penser à “Don Quichote” qu’au “Che” et de toute façons, dans les deux cas, elle devrait se réduire/résoudre à jouer le rôle, au mieux d'”appoint”, au pire de “supplétif”. Pour ce qui est du Dr Marzouki, la première partie de ma phrase s’appliquerait également. Peut etre même la deuxième également.
Il en est qui,par anticommunisme, sont portés à s’allier au “diable”; d’autres préfèrent un gouvernement de droite…
Monsieur Marzouki était le poulain des islamistes, majoritaires à l’Assemblée et gouvernant quasiment seuls, voilà qui fait une différence non négligeable avec la situation actuelle où ils sont associés minoritaires. D’où leur relative discrétion.
Ils ne dictent plus leurs conditions, et ne remettent aucunement en cause les choix politiques ni les orientations stratégiques, car rien ne les distingue de la Droite sinon leur fanatisme religieux et la propension à guider les âmes, sinon commander aux conscieces.
Voilà qui peut faire comprendre notre défiance à l’endroit de monsieur-ex, qui fit beaucoup pour la démocratie en plaidant pour la liberté de se voiler.
Pour mémoire, on peut rappeler l’enthousiasme d’un Michel Foucault pour la Révolution Iranienne, à mettre en parallèle avec son hostilité au PCF qui le poussa à déclarer préférer la Droite à un gouvernement d’union de la Gauche.
Votre analyse repose sur la réaction d une gauche tunisienne qui n ‘ a jamais existé. Certes , il y a en Tunisie, des bassistes, des nasseriens, des khaddafistes, donc des soutiens à des juntes militaires pro soviétiques appelant à l ‘unité et au nationalisme arabes, mais on ne peut ces gens La Gauche. ..? Et la raison est toute simple : en Tunisie, il n’y a pas de gauche parce que l’Ugtt est une éponge qui liquéfie toute force de gauche dès sa naissance. L ‘ Ugtt est un syndicat de fonctionnaires – ce n’est pas un syndicat d’ouvriers – qui a une capacité extrêmement forte pour ” amadouer” les gens de gauche. .? Il n’y a jamais eu une enquête ou une étude sociologique à l américaine ( sociologie opérationnelle) sur le lien entre la super puissance de l’Ugtt ( voir aussi son volet diplomatique) et l ‘inexistance d’une gauche en Tunisie.
Habib Achour avait tenté de résoudre l’équation, mais Habib Bourguiba l’avait arrêté. Enfin on ne peut qualifier tous les défenseurs des droits de l’homme de gens de gauche. Il y a aussi des néo libéraux qui font le même job
Vous parlez de la gauche mais sans préciser votre définition de la gauche.On peut assimiler la gauche à toute opposition.Cette gauche est floue et se concentre dans les centres urbains. Les partis se proclamant de gauche n’ont aucune idéologie précise. Mais ils croient à des principes idéalistes copiés sur les pays démocratiques? Ils ne sont fort que dans la phraséologie, et n’ont aucune connaissance des contradictions du réel et des problèmes sociaux. Ils refusent même toute analyseidéologiques des luttes sociales et politiques.C’est donc un épiphénomène sans consistance et sans avenir politique sahf de jouer les opposant de service
On dirait que l’auteur écrit au sujet d’un pays comme la France, la Belgique ou n’importe lequel des pays européens dits démocratiques ou récemment « démocratisés » comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal. Et quand il écrit à propos de Marzouki comme si le personnage aurait été un opposant acharné de la dictature, alors qu’il ne s’opposait en réalité que tout juste à une personne et qu’il se considérait comme ayant plus de mérite d’occuper le Palais de Carthage que lui.
Immédiatement en arrivant à ce palais il a tout de suite sorti le portrait jeté dans les caves de l’oubli, disait-il, du fondateur-même de la dictature. Comme il n’a jamais laissé une seule occasion pour le glorifier et prétendre que c’est grâce à lui qu’il est devenu médecin, lui pauvre enfant d’une famille de déshérités !!!
Enfin ce n’est pas la seule folie politique ou réelle qui n’a jamais cessé d’être le signal le plus marquant de Marzouki. Quant à Annahdha et son enracinement dans la société c’est réellement une hallucination impardonnable… Puis il ajoute que le contexte actuel n’est plus celui du passé, celui de la « troïka » et que la gauche se tromperait d’époque !
En effet le temps, les six ans passés ont bien fini par clarifier les choses et permettre à tout le monde de comprendre non seulement la nature du « Printemps Arabe », mais aussi la nature de tous les personnages qui se sont présentés comme les « grands sauveurs » du peuple en Tunisie mais aussi des autres peuples arabes. Et devant la dévastation générale de la région et de tout un monde, que tous ces personnages ont appelée à corps et à cri, aucun d’eux ne s’est senti le moindre repentir ni remord. Et comment allaient-ils le faire quand ils se trouvent tous en connivence totale avec tous les plans de destruction de leurs propulseurs sur la scène politique. Pour ne citer que quelques exemples, rappelant que les félicitations parvenus à tous ces personnages sont venues d’un certain John McCain, d’un certain Erdogan ou d’un certain « émir » qu’il n’est point nécessaire de nommer. Et beaucoup d’autres personnages du même calibre qui n’ont pas cessé de rendre visite à leurs créatures.
Rien qu’en pensant à tous ces « amis » des peuples ça donne à tout être humain une profonde nausée. Au moins.
À propos de la gauche, il est fort possible, qu’elle n’ait pas pu faire grand-chose. Et indépendamment des dirigeants actuels ou historiques, elle reste le seul espoir non seulement pour le peuple tunisien, mais pour tous les peuples du monde y compris les peuples des sociétés occidentales dont les dirigeants n’ont jamais accumulé tant des richesses du monde, depuis les siècles lointains et jusqu’à l’heure actuelle, qu’à travers les guerres, les invasions, les pillages, le sang et la sueur de l’Afrique, de l’Asie et d’Amérique. Une longue liste de crimes contre l’humanité qui avait commencé avec le premier embryon du cannibalisme occidental, en passant par des siècles d’esclavage appelé, non sans vergogne, encore de nos jours les siècles de civilisation. C’est la droite à laquelle appartiennent tous ces personnages politiques de la Tunisie d’aujourd’hui, comme celle d’hier. Rien n’a semblé émouvoir l’auteur de l’article que l’acharnement de la gauche contre Marzouki et ses associés dans l’ignominie, l’imposture, la duperie et l’escroquerie dans le sens littéral comme dans celui politique qui ne compte en rien devant leur ignoble effroyable égoïsme…
C’est la deuxième fois que je lis un écrit de l’auteur, pourtant j’avais une autre idée de lui du temps où il était en France et animait le groupe des Indigènes de la République. Je ne sens plus aucune curiosité pour le lire une troisième fois. Je suis bien servi. Basta.