« Une idée de Sami Fehri », cette mention aux génériques de plusieurs émissions d’El Hiwar Ettounsi a toujours attiré à la chaîne privée offenses et sarcasmes des internautes. Et pour cause, les concepts sont plagiés. Le chef du gouvernement s’est soumis à la doctrine de la chaîne lors de son interview de dimanche dernier en calquant un vieux numéro de l’émission de France 2, « Des paroles et des actes ». Pourquoi ? Et pour quel résultat ?

La dernière sortie médiatique de Youssef Chahed semble avoir été programmée dans l’urgence. Annoncée par El Hiwar Ettounsi la veille à 19h07, l’interview a été enregistrée et diffusée dimanche 26 février à 21h. Le besoin de réactivité est clair surtout que le chef du gouvernement, d’après nos sources à la Kasbah, prévoyait déjà il y a plus de deux semaines une interview télévisée. Où ? Qui ? Et comment ? La réponse à ces questions n’était pas encore définie, même si la balance penchait déjà vers El Hiwar Ettounsi. L’urgence s’est imposée après le remaniement ministériel. Encore plus quand le ministre chargé de la réforme de la fonction publique Abid Briki, limogé samedi vers 14h30, s’est retrouvé sur Attessia le soir même à 19h. Youssef Chahed a fini par réagir dans les 24 heures.

Un choix confortable

Précédé par un teasing marquant avec une photo de Youssef Chahed entouré par des membres du gouvernement postée environ 6 heures avant l’émission, le rendez-vous télévisuel s’est voulu un événement, au-delà d’une simple interview. Une telle entreprise ne se fait pas sans la collaboration étroite d’un partenaire. Le chef du gouvernement l’a trouvé en El Hiwar Ettounsi. Le gradin des ministres est installé. Youssef Chahed a son équipe en arrière-plan. Un choix confortable car la chaîne privée a un grand audimat. Elle dispose de la réactivité nécessaire et elle est douée pour trouver les compromis satisfaisants. En témoigne la rassurante diffusion en différé de l’interview, la logistique rapidement mise en place pour accueillir les membres du gouvernement et l’ordre des questions posées par l’intervieweur. Les deux premières questions, sur « des sujets qui font l’actu » selon les termes de Hamza Belloumi, ont porté sur des thématiques confortables : la polémique sur la déclaration de Béji Caid Essebsi sur la Loi 52 et la Circulaire n°4, qui interdit aux fonctionnaires de donner des déclarations aux médias sans autorisation préalable de la hiérarchie. Or, les deux font l’actu depuis une semaine. Du froid comparé au remaniement ministériel d’il y a 24 heures. Ce qui a permis à Chahed de désamorcer la bombe à retardement qu’est le limogeage de Briki à travers des effets d’annonce à succès. L’intervieweur annonce son ambition de faire « le bilan des six premiers mois ». Une manière de classer en bas de la pile des dossiers, un remaniement ministériel aux multiples implications politiques, économiques et sociales.

Couacs et contradictions

Les ministres révérencieux en arrière-plan est une image qui exprime, avec force, la solidarité de l’équipe gouvernementale, la discipline de ses membres et surtout leur obéissance au chef.  Mais l’absence de certains membres dont le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi et le ministre de l’Agriculture Samir Taieb relativise l’image de la cohésion. D’autres aspects viennent entacher cette opération de communication. Avoir copié le coup du premier ministre avec les membres du gouvernement en background par exemple. L’émission « Des paroles et des actes » sur France 2 l’a déjà fait avec Manuel Valls et son équipe ministérielle en septembre 2015, à la différence que les ministres français n’étaient pas écrasés par une lumière tamisée qui les anonymise.

Un tel événement en présence de tous les membres du gouvernement devait avoir lieu sur une chaîne du service public et non pas sur une chaîne tv privée. Dans une logique républicaine, le gouvernement devrait être plus soucieux de la compétitivité du service public plutôt que celle de ses concurrents. D’autant plus que Cactus Prod, dont les studios ont accueilli l’interview, est une entreprise privée confisquée par l’Etat mais exclusivement exploitée par des boites privées. La plus importante d’entre elles est Eight Productions de Sami Fehri, encore poursuivi par l’Etablissement de la Télévision Tunisienne pour près de 25 millions de dinars.

Tous ces aspects sont en contradiction avec l’image que Youssef Chahed a tenté de renvoyer. Il voulait donner l’image d’un créatif. Or, son plagiat est manifeste. Il voulait montrer solidarité et discipline gouvernementale. Or, des membres de son équipe sont absents. Il voulait envoyer des messages rassurants aux citoyens soucieux de la perte des acquis sociaux et du retrait économique de l’Etat. Or, il choisit le secteur privé plutôt que le service public.