Le 3 mars 2017, la chancelière allemande et le chef de l’Etat Béji Caid Essebsi ont scellé le sort des 1500 Tunisiens demandeurs d’asiles déboutés en Allemagne. Selon un « protocole conjoint », la Tunisie s’engage désormais à identifier dans « les trente jours »ses ressortissants en situation irrégulière et à leur délivrer en une semaine les documents nécessaires à leur rapatriement par vols spéciaux sur l’Aéroport d’Ennfidha. Plus inquiétant, sous couvert de coopération technique, nos consulats en Allemagne risquent de perdre une partie de leur souveraineté et les Tunisiens qui y sont enregistrés, leurs droits constitutionnels à la protection de leur vie privée.
Cet accord est arrivé trois semaines après la visite de Youssef Chahed à Berlin, où la chancelière allemande Angela Merkel avait appelé à accélérer le rapatriement des Tunisiens en situation irrégulière. Son argument : Anis Amri, responsable de l’attaque du marché de noël à Berlin en Décembre 2016, avait été débouté de sa demande d’asile dès le mois de juin. « Les autorités tunisiennes n’ont fait aucune erreur », avait affirmé Chahed en estimant que ce sont les autorités allemandes qui ralentissent la procédure d’expulsion, qu’elles doivent fournir la documentation adéquate pour confirmer la nationalité des individus en question.
Mais en venant en Tunisie début mars, Merkel avait fini par obtenir ce qu’elle voulait, les résultats allant peut-être même au-delà de ses espérances. Loin des formalités diplomatiques, la chancelière avait osé déclarer que « ceux qui ne sont pas habilités à bénéficier de la protection de l’Allemagne devront quitter le pays, si possible pacifiquement, et au besoin par la force », devant des députés plus irrités par l’accent égyptien du traducteur que par la tonalité du discours de la chancelière. Le 14 mars, 16 associations tunisiennes sont montées au créneau pour protester contre « l’accord tuniso-allemand pour organiser des expulsions massives de migrants tunisiens ». Les signataires, parmi lesquels la Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) et la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH), ont souligné que l’accord remet en cause la liberté de circulation ainsi que la dignité et l’intégrité physique des migrants. Les signataires ont dénoncé « des pressions inacceptables notamment relatives à la conditionnalité de l’aide publique au développement ». Et d’exiger des « autorités tunisiennes la publication immédiate de cet accord et tous les autres accords signés avec les pays européens, conformément aux principes de transparence ».
Nawaat a obtenu une traduction française non officielle du texte de cet accord, rédigé en allemand.
Un par un ou par groupes de 25, les expulsés arriveront à l’Aéroport d’Ennfidha
Les signataires de ce « protocole conjoint » ne sont ni les deux chefs de l’exécutif, encore moins les deux ministres des Affaires étrangères, mais Mohamed Mezghani, chargé des Affaires européennes, côté tunisien et Michael Niemeier, chef de la division internationale du Bureau fédéral de la police judiciaire [Bundeskriminalamt] côté allemand. Niemeier s’est déjà rendu en Tunisie à plusieurs reprises, où il a plaidé pour le renforcement du volet sécuritaire de la gestion des flux migratoires dans les palais de la République, mais aussi dans les médias dominants.
Dans ce document de cinq pages, c’est le chapitre 3, intitulé « Renvoi des ressortissants en séjour illégal », qui inquiète le plus les défenseurs des droits humains. Même si le gouvernement allemand s’engage à respecter les « voies de recours garanties par la loi », les deux signataires ont trouvé un accord sur l’accélération des procédures d’expulsion. Ainsi, « la direction des frontières et des étrangers au ministère de l’Intérieur » s’engage à répondre dans un délai de 30 jours à toute demande de vérification d’identité de ressortissants tunisiens formulée par « les autorités allemandes ». De même, « les autorités tunisiennes compétentes sont dans l’obligation, dans les 5 jours suivant les résultats de la vérification d’identité, de délivrer un document de voyage avec une validité de 3 mois à la personne à réadmettre ».
Sur le transport des expulsés, l’accord prévoit que « la partie tunisienne réadmet les ressortissants tunisiens qui seront renvoyés individuellement sur des vols commerciaux ou par groupe sur vol spécial (jusqu’à 25 personnes) ». Procéduriers dans les moindres détails, les rédacteurs du texte ont prévu que « les Tunisiens réadmis par vol spécial seront accompagnés [escortés] par les autorités allemandes. Les forces de sécurité tunisiennes assurent l’accueil de ces personnes à l’aéroport international d’Enfidha-Hammamet ou, le cas échéant, au Terminal 2 de l’aéroport international de Tunis-Carthage ». Cependant, le texte de l’accord est moins loquace sur les « moyens particuliers » qui seront mis en place au cas où « une personne constitue un danger significatif pour l’ordre public, la santé publique et la sécurité nationale » allemande !
Plus inquiétant que les clauses relatives aux procédures d’expulsion, l’offre de coopération technique ouvre la porte à des formes inédites d’atteinte à la souveraineté. Dans ce même chapitre, intitulé « Renvoi des ressortissants en séjour illégal », l’alinéa 13 prévoit l’engagement de l’Allemagne à contribuer au projet tunisien de Fichier automatisé des empreintes digitales, AFIS (Automated Fingerprint Identification System). Concrètement, « la partie tunisienne donne son accord [pour] que des scanners instantanés soient installés au sein de toutes les autorités tunisiennes compétentes en Allemagne », c’est-à-dire l’ambassade et les consulats, pour lutter contre les réseaux de passeurs, renforcer les contrôle aux frontières et la sécurité des documents de voyage. Mieux, l’Allemagne offre ses services de « formation pour les personnels consulaires » et le personnel administratif chargé de l’immigration en matière de « fraude documentaire ».
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