La crise du Golfe est grave. Très grave. Depuis que l’Arabie saoudite et ses alliés ont décidé de réduire le Qatar par la force, la Tunisie semble avoir en effet une activité diplomatique intense. Nos responsables au plus haut niveau, le président de la République et le ministre des Affaires étrangères en premier lieu, ne cessent d’avoir des entretiens avec les représentants des Etats les plus impliqués dans le conflit, qu’ils soient d’un bord ou de l’autre. Que des pays comme l’Iran, la Turquie, l’Egypte, les Emirats arabes unis, le Koweït, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Bahreïn et d’autres encore, prennent la peine de solliciter la Tunisie est le signe indéniable que la crise est profonde. Ou, en tous cas que les enjeux sont à ce point décisifs que même la Tunisie ne peut plus être considérée comme négligeable.
J’ai lu quelque part que le président du conseil de la choura d’Ennahdha, Abdelkarim Harouni, avait appelé le chef de l’Etat à lancer une initiative pour résoudre la crise dans la région du Golfe, en tant qu’« expert en diplomatie et président d’un pays fortement respecté dans le monde ». On pourrait se demander si cette déclaration n’est pas un tant soit peu ironique. N’insistons pas sur les qualités d’expert en diplomatie prêtées à notre président. Chacun sait cependant que la Tunisie n’a aucune puissance ou que sa seule puissance réside dans le fait d’exister. Ce qui n’est pas grand-chose. On peut surtout se poser la question : la Tunisie a-t-elle une diplomatie ? La réponse est non ou peu s’en faut.
Au lendemain de l’élection de l’Assemblée Constituante, sous le gouvernement de la Troïka, les partis au pouvoir ont tenté, non sans conflits, de construire une politique extérieure en s’appuyant sur l’autorité acquise par l’élan donné à la révolution dans le reste du monde arabe. C’était uned iplomatie ancrée en partie dans la dynamique révolutionnaire régionale, bien que déterminée en priorité par le choix de renforcer l’autorité locale d’Ennahdha et de privilégier ses partenaires idéologiques dans les autres pays arabes. Ce n’était pas une diplomatie orientée par la volonté de battre un tant soit peu en brèche l’ordre politique mondial.C’était une diplomatie bien ambivalente et fort contestable sur de nombreux points, mais c’était une diplomatie. Vient l’élection de Béji Caïd Essebsi et le nouveau gouvernement. Beaucoup se sont félicités alors du retour de la Tunisie aux constantes de la diplomatie tunisienne, en d’autres termes à la politique étrangère sous Ben Ali.Ce n’était pas complètement vrai dans la mesure où, d’une part, la diplomatie de la Troïka n’a dérogé que partiellement aux choix habituels de la politique internationale antérieure à la révolution et, d’autre part, dans la mesure où Béji Caïd Essebsi, bien que président, n’est pas libre de faire tout ce qu’il veut.
Mais interrogeons-nous un moment sur ces fameuses constantes de la diplomatie tunisienne. En dehors de brefs moments dans les vingt premières années de l’indépendance, on peut,il est vrai,reconnaître un certain nombre de permanences dans la diplomatie de l’Etat tunisien. La première d’entre elles est, sinon l’alignement systématique, du moins la construction de liens privilégiés avec les Etats impérialistes (Etats-Unis et France, en particulier) et avec leurs alliés les plus solides dans le monde arabe. La seconde est la passivité, l’abstentionnisme, l’indifférentisme, la politique de l’autruche, la volonté d’échapper aux tensions et aux conflits, de grignoter à droite et à gauche sans trop se mouiller, d’être ami avec les amis de ses amis sans se fâcher avec les ennemis de ses amis,de préférer -sans le dire- le fort au faible et le faible à l’extrêmement faible, de ne pas prendre position officiellement sauf quand on y est contraint ou que les dés sont jetés et qu’il n’y a plus rien à perdre ni à gagner. En un mot, une diplomatie de commerçant qu’on ne peut appeler, à proprement parler, une diplomatie.
C’est l’un de nos médias électroniques qui, avec un humour involontaire, en résume le mieux le discours officiel. En visite au Maroc, notre habile chef du gouvernement aurait réussi,ces jours derniers,une nouvelle prouesse. Il aurait déjoué un piège diabolique tendu par les diplomates marocains dans l’intention de lui faire approuver une déclaration de soutien à la marocanité du Sahara occidental alors que la Tunisie s’en est toujours tenue à la « neutralité dans ce vieux conflit entre les deux frères arabes », en l’occurrence le Maroc et l’Algérie. La « neutralité » ! Voilà le mot clé qui est censé définir le principe de la diplomatie tunisienne alors qu’il définit au contraire l’absence de diplomatie.
Avec la crise qui oppose actuellement le Qatar à l’Arabie saoudite, les choses ne seront pas aussi simples à régler. La diplomatie tunisienne est confrontée en effet à des enjeux qui ne sont pas seulement externes. La crise du Golfe est également une crise tuniso-tunisienne. La politique extérieure de la Troïka continue de peser sur la Tunisie. Les liens avec le Qatar restent lourds. Une exacerbation du conflit ou la capitulation de ce dernier aurait,par conséquent, des implications immédiates sur la situation politique et déstabiliserait, avec bien sûr le parti de Ghannouchi, l’ensemble de la configuration actuelle du pouvoir.C’est de toute évidence le souhait de certaines forces comme Machrou Tounes, le Front populaire et une large frange du mouvement démocratique. Dans l’espoir d’affaiblir durablement Ennahdha et de négocier de nouvelles alliances de pouvoir, ils prennent, de manière à peine voilée, une position qui converge avec celle défendue par l’Arabie saoudite, pourtant bien plus dangereuse que le Qatar. Un opposant comme Moncef Marzouki, par contre, fait le choix inverse et glorifie la politique qatarie pour des raisons qui ne sont certainement pas très glorieuses. La crise du Golfe réactive ainsi des lignes de conflits internes et influe sur les rapports de force politiques locaux dans un contexte de fragilisation du pouvoir central et d’élections municipales dans des délais rapprochés.
La neutralité, comme principe diplomatique, apparaît dans ces conditions comme totalement inopérante. Ou plutôt, elle risque d’apparaître pour ce qu’elle est dans son essence : un principe de subordination à la raison du plus fort et d’acceptation du fait accompli. Elle n’est très certainement pas la politique extérieure d’un Etat qui œuvre pour la dignité des classes populaires et la libération des peuples du monde arabe.
N’avoir pas de politique étrangère c’est en avaliser une, celle du camp gagnant. Et, de fait l’endosser comme sienne.
La Tunisie a toujours aligné sa politique sur celle de l’Occident, E.U.et France en tête. Elle ne donne pas de signe de nature à laisser penser au changement y compris depuis sa révolution…
En aurait-elle les moyens qu’elle ne l’eùt pas fait, par choix conforme aux lignes politiques des diverses majorités ayant gouverné jusqu’alors.Marzouki peut bien choisir le Qatar contre l’Arabie, les Nahdhaoui opter pour celui qui paie plus, c’est en tout un non-choix puisque l’un comme l’autre sont les alliés de ceux qui sont encore les maîtres du monde…et qui se fichent bien du sort des tunisiens et de la Tunisie, petite sous-préfecture à l’échelle de leurs projets.
Le non-alignement serait convenable si encore vivait ce mouvement.
Est-ce bien cohérent avec les discours pro-palestiniens que de choisir l’Arabie qui a des liens de plus en plus forts avec Israël, tortionnaire de nos frères?
Est-ce mieux de se rapprocher d’un Qatar soupçonne de financer la terreur islamiste, et gourmand au point d’étendre ses tentacules urbi et orbi assis sur une manne financière démesurée par rapport aux dimensions de cette presqu’île?
Dans un tel conflit complexe, où l’arrogance se pose comme le mettre mot, un pays comme la Tunisie qui a de l’intérêt avec eux tous.. Sa position de médiation douce pour ne froisser personne, se voit la plus intelligente… Puis la société tunisienne est tellement divisée entre des orientations très divergentes, le pouvoir actuel ne pourra jamais travailler sur une diplomatie dans l’intérêt de la classe populaire.. Et puis les éléments des conflits en Syrie, au Yémen évoluent tellement, que la Tunisie ne pourra se permettre de faire un virage de valeur pour appuyer des causes qui semblent justes… Le non choix est des fois la position la plus sécurisante.. Qu’a dit BCE aux représentants des émirats égyptiens et saoudiens? Sûrement, il faut laisser le temps au temps. Et aux Qataris? La même chose, je suis certain. Donc aux uns, et bien avec le temps le Qatar va plus la chose au sérieux. Et au Qatar, et bien avec le temps ils vont eux mêmes se poser des questions… D’ou la déclaration de l’ambassadeur du Qatar: nous avons remarqué une grande sagesse de la part du président tunisien… Et voilà le tour est joué… L’embargo a plus foutu la merde aux saoudiens… Les émirats ils n’ont rien à glander des saoudiens, ils continuent leur match au Yémen, et le Qatar a trouvé le soutien effectif presque du monde entier. Et puis ce regroupent de ces 6 pays ne plus de l’ère du temps… La menace iranienne n’est plus identifié comme à l’époque de Saddam… Si la menace iranienne était d’empêcher le chiisme de se propager dans les pays du proche orient, et bien. C cuit… Les chiites ont gagné en pouvoir en Syrie, en Irak et au Yémen. Si le danger iranien était une invasion des pays des pays du Golf, à mon avis ceux qui gouvernent l’Iran ne sont pas une puissance folle ou hystérique.. La folie n’est pas à l’ordre du jour en Iran.
Pour moi le grand perdant dans ce conflit, c’est la famille Saoude.