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Le Jasmin Noir est d’un goût littéraire qui sent le classique mais il ne faut pas le confondre avec le célèbre parfum industriel moderne. Nabeul Book Club est un groupe de lecteurs amateurs qui ne se soucient guère des exigences du roman, ne prêtent pas beaucoup d’attention à sa logique ou ses postulats. En contre partie, ils sont exigeants dans le domaine de la clarté car c’est à partir du moment où la pensée de l’auteur prévaut sur le style que les lecteurs de ce groupe envahissent le roman, l’acceptent et s’y attachent tendrement. Ils auront tout le temps de discuter de l’œuvre en présence de l’auteur, mais pour leur donner l’eau à la bouche, il convient de leur présenter quelques propos nécessaires pour alimenter la discussion de l’œuvre.

Le titre non réaliste annonce la couleur de l’œuvre ou mieux : le goût. On va dire le parfum du livre. A priori, ce n’est pas du bon goût. Vous allez dire désagréable, je vous répondrai que les créations sublimes n’échappent pas à cette règle. L’homme a été crée à partir d’une matière qui ne sentait pas bon. C’est toujours une affaire de parfum. Ainsi, d’entrée de jeu, l’auteur commence à fustiger notre bêtise ou notre compréhension pour nous imposer sa propre conception des goûts et des valeurs. Par courtoisie, on va accepter pour deux ou trois heures l’obscurité de ce jasmin et continuer à explorer le livre pour déchiffrer l’image enfouie du texte. Et comme il ne sera pas facile aux amateurs de cerner l’essence de cette image, de cette pensée de l’auteur, il ne nous reste plus qu’à encenser la vanité de l’auteur en attendant sa réplique et ses arguments pour mieux sentir le parfum du jasmin noir.

Le Jasmin Noir de Wafa Ghorbal est un parfum triste d’un viol de première jeunesse. Un parfum désagréable. J’aurai dû dire odeur, mais le jasmin rime avec parfum même si les propos ne sont pas réalistes. Ce viol, ou mieux, ce voile noir a inspiré toute l’histoire racontée par une narratrice qui n’est pas Wafa Ghorbal mais qui lui ressemble en plusieurs points. On sent un parfum de révolte d’une jeunesse qui s’insurge contre les valeurs d’une société faisandée, contre les tabous imposés par une vieille génération qui n’aperçoit aucun voile à l‘horizon et qui s’entête à voiler sa nudité et violer l’âme de sa jeunesse. L’auteur se révolte contre les coutumes avec beaucoup de courage en mâchant longuement les propos et en s’étendant largement sur les scènes sentimentales, chose qui n’est pas habituelle chez nos auteurs. Une forme de transgression de l’interdit, un comportement qui n’est pas réaliste dans nos traditions. C’est aussi une manière de refus des conventions dans le domaine moral imposé par notre société.

Ce style d’écriture qu’on a pu noter chez d’autres jeunes auteurs tunisiens tourmentés et révoltés après la Révolution de janvier 2011, est-il annonciateur d’un courant surréaliste tunisien d’un type nouveau ? On remarque des thèmes communs de Cauchemars de Khaoula Hosni, de Rêves perdus chez Mohamed Harmel. Chez Wafa Ghorbal, la nuance est vive. Le jasmin est couvert d’une burqa. La thèse sur le mal de Georges Bataille, les règles d’écriture, le ton qui frôle la vulgarité et la provocation et le penchant pour la musique, sont-ils des indices forts de son engagement dans ce courant littéraire et artistique qu’on croyait fini et qu’on appelait surréalisme ? Bonne chance à Wafa Ghorbal.