Après une semaine de préparation intense, tout est fin prêt à Tunis pour recevoir, mercredi 31 janvier et jeudi 1er février, Emmanuel Macron. Sur son chemin, les pelouses ont été tondues, les trottoirs repeints, les drapeaux accrochés et l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) nettoyée. Mais outre l’habituelle pulsion de propreté qui précède toute visite de chef d’Etat étranger « important », la visite d’Emmanuel Macron en Tunisie est annoncée dans les médias et par l’ambassade française comme un évènement tout à fait spécial. Il s’agirait de la visite qui marquerait le renouveau tant attendu des relations franco-tunisiennes, du moins c’est ainsi que l’annonçait dès le 9 janvier dernier l’ambassadeur de France en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor, qui s’est fendu à l’occasion de la visite, d’une tribune où il se dit « frappé » et « impressionné » de l’intérêt que Macron porte à la Tunisie

Grandes rafales de communication

En termes de communication, l’équipe de Macron a mis les bouchées doubles par rapport aux visites de chefs d’Etat français précédents. Un bataillon d’hommes d’affaires accompagne le président français (aucune femme n’est présente dans cette de 20 personnes conviée par Business France, l’agence publique qui aide les entreprises françaises à s’internationaliser). Une délégation de cinq membres du gouvernement français fera le voyage à Tunis, pour signer des accords avec des ministres tunisiens, notamment en matière d’éducation et de numérique. La visite de Macron coïncidera enfin avec la tenue d’une journée franco-tunisienne de la société civile, une manifestation qui semble avoir été forgée sur mesure pour la visite d’Etat de Macron puisqu’elle sera inaugurée par deux ministres : Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale français et Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’homme.

A l’équipe imposante s’ajoute l’emploi du temps particulièrement chargé de la visite. Emmanuel Macron tient à donner l’image d’un président jeune et hyperactif, c’est pourquoi plus d’une dizaine d’activités sont au programme de sa visite de 26h. Se côtoient pêle-mêle un hommage aux martyrs tunisiens au mausolée de Sijoumi, une interview sur El Hiwar Ettounsi, des signatures de contrats, un discours de 45 minutes à l’ARP, un autre en clôture du Forum économique franco-tunisien en compagnie de Youssef Chahed. Toutefois, derrière l’effervescence que suscite Macron a chacun de ses déplacements du fait de son hyperactivité, c’est sur une pente plutôt descendante que se situent les relations franco-tunisiennes aujourd’hui.

La France dépassée par l’Allemagne

Tour à tour accusé d’ingérence, de paternalisme et d’amateurisme, les actions et propos de l’Ambassadeur de France en Tunisie ne sont pas étrangers à cette trajectoire. Olivier Poivre d’Arvor, en poste depuis septembre 2016, s’est distingué par des coups d’éclat particulièrement remarqués en Tunisie, à commencer par ses déclarations dès sa nomination jusqu’à la polémique suscitée par ses photos dans le Sud tunisien, sur lesquelles il posait à dos de dromadaire, guidé par un soldat d’un régiment saharien. Il n’est d’ailleurs pas le premier ambassadeur français post-2011 à s’être fait remarquer. Boris Boillon, ambassadeur de France en Tunisie de février 2011 à août 2012, qui a été condamné récemment à un an de prison avec sursis pour « blanchiment de fraude fiscale » et « manquement à l’obligation déclarative de transfert de capitaux » n’a pas été avare en déclarations déplacées et en mises en scènes ridicules.

A ces couacs diplomatiques s’ajoute la perte de terrain manifeste des Français en matière de coopération bilatérale et d’aide au développement. En effet depuis 2011, la France se fait damer le pion par d’autres pays. L’Allemagne, en particulier, a su mettre à profit les changements politiques en Tunisie pour gagner du terrain depuis 2011. Les chiffres de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont très clairs à ce titre : si en 2016, l’Allemagne a déboursé quelques 124 millions de dollars (constants) en aide publique au développement, la France n’a mobilisé que 68 millions de dollars. Il est à noter que ces chiffres ne reflètent pas forcément la réalité des sommes décaissés, puisque très souvent, les autorités tunisiennes se montrent incapables de dépenser l’argent qui leur est prêté, stoppant de fait les versements.

Désengagement croissant et politique migratoire inchangée

Cette perte de terrain française s’illustre également au niveau de l’éducation. En effet, l’élection d’Emmanuel Macron a renforcé les politiques d’austérité budgétaire en France, ce qui s’est traduit par une baisse de 10% des budgets de l’Agence pour l’Enseignement du Français à l’Etranger (AEFE). Par conséquent, plusieurs grèves dans les établissements français en Tunisie ont été organisées pour protester contre les suppressions de postes et l’augmentation des frais de scolarité qu’entrainent la baisse de la dotation d’Etat, mais aussi, contre le recours de plus en plus fréquent à des contrats locaux moins couteux, au détriment de professeurs français détachés à l’étranger. Ces établissements, qui sont au nombre de 13 en Tunisie et qui comptaient en 2017, 8566 élèves, se sont prononcés d’ailleurs pour une journée « école morte » jeudi 1er février pour protester contre la politique d’austérité entérinée par Macron. Les lycées français, qui au Maghreb, scolarisent depuis les indépendances les enfants des classes supérieures et notamment, les enfants de ministres et de présidents sont des lieux particulièrement centraux de la construction de l’hégémonie culturelle française au Maghreb et notamment en Tunisie.

En matière de migration, sans doute l’aspect qui touche le plus directement les Tunisiens, aucun changement n’est à attendre de la part des français, aidés en cela, il est vrai, par la mollesse des autorités tunisienne sur la question, qui ne contestent pas la politique migratoire européenne, et semblent au contraire, vouloir l’entériner au détriment de la majorité des Tunisiens, de facto inéligibles aux visas Schengen. Tout comme le reste de l’Europe d’ailleurs, la France ne compte pas se défaire de l’approche sécuritaire en la matière, privilégiant la migration des cerveaux (médecins, professeurs universitaires) à la libre-circulation des personnes. Le tout récent programme « Retour Volontaire » lancé par l’Office Française de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) donne particulièrement bien le ton de cette approche, puisqu’il encourage les migrants tunisiens légaux et illégaux à rentrer chez eux, en leur offrant une aide pour lancer un projet. Il n’y a que les valeureux cerveaux en fuite de la Tunisie qui ont de la place en France. Le fameux projet sarkozyste d’« immigration choisie » est en marche avec subtilité, discrétion et surtout beaucoup d’entourloupes communicationnelles.