Les autorités tunisiennes les avaient transférés depuis le camp de Choucha à la maison des jeunes de la Marsa en juin 2017. Rien n’a changé huit mois plus tard, et les 34 réfugiés, en majorité déboutés, dénoncent le désengagement de l’Etat et le refus des organisations compétentes de réexaminer leurs demandes de protection internationale. Pour l’UNHCR, les dossiers sont clos, tandis que l’hébergement supposé temporaire s’éternise et que leurs conditions de vie sont de plus en plus préoccupantes. L’attente se fait aussi sentir pour le personnel de la maison des jeunes qui, comme le rappelle un communiqué du Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES), avait organisé un sit-in le 23 janvier pour dénoncer l’abandon des autorités face à cette situation exceptionnelle.

Hébergés entre la résidence de l’ambassadeur de France en Tunisie et les locaux temporaires tunisois de l’ambassade de France en Libye, au cœur de l’un des quartiers les plus aisés du pays, la vie de ces exilés aurait pu s’améliorer après 6 ans d’attente dans un camp du désert tunisien. Ils sont à présent réduits à la survie et à la mendicité.

La salle commune de la maison des jeunes, où le groupe passe une partie de son temps

Des conditions de vie de plus en plus inquiétantes

« On se nourrit deux fois par semaine », résume Ibrahim, « grâce aux restes des repas laissés à la fin des événements à côté [au centre des jeunes], et quand il y a des clients de l’auberge qui acceptent de partager ce qu’ils sont en train de manger ». L’homme de 45 ans, originaire du Darfour, a fui le conflit armé libyen pour se réfugier en Tunisie en 2011. Il fait partie des 300 déboutés, selon l’UNHCR, qui n’ont pas été identifiés comme réfugiés à Choucha, une décision qu’il conteste. « Je ne suis pas parti pour trouver un travail, mais pour trouver un refuge, une vie tranquille », explique Ibrahim, soudeur de profession et dresseur de chevaux, « j’ai exercé mon travail au Soudan puis en Libye, et j’avais des chevaux. Je cherche seulement la sécurité ».

Opéré 2 fois en Tunisie, Ibrahim montre les détails de son dossier médical. Il a des problèmes cardiaques et respiratoires

L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) subvenait à la majeure partie de leurs besoins quotidiens, mais en novembre 2017, elle leur coupe brutalement les vivres. Plus de nourriture, ni de produits d’hygiène. Entre-temps, l’association Médecins Sans Frontières, qui effectuait des visites médicales régulières, a terminé ses missions sur le territoire tunisien. Médecins du Monde les ont remplacés mais, pour Ibrahim qui souffre de sérieux problèmes de santé et a déjà dû être opéré plusieurs fois en Tunisie, la situation est loin de s’arranger. « Tu peux lire la fatigue dans les démarches, l’amertume sur les visages », ajoute Mohamed, 55 ans, également originaire du Darfour. « C’est vraiment difficile d’être laissés là comme des enfants… même les criminels on les nourrit, et nous sommes innocents », déplore-t-il.

 Mohamed a fui le Darfour il y a 14 ans. Réfugié du conflit armé libyen, sa vie est en suspens en Tunisie, où il n’a jamais pu reprendre son métier de soudeur ou avoir des nouvelles de sa famille

Contactée par Nawaat, la cheffe de mission de l’OIM en Tunisie, Lorena Lando explique cet arrêt par l’absence de budget destiné à une aide d’urgence : « 30 personnes ne déclenchent pas de moyens économiques ‘façon crise’ comme on le fait dans d’autres pays de la région. Nos fonds sont basés sur des projets, mais pour la nourriture par exemple, la Tunisie n’entre pas dans ce cadre de réponse aux urgences ». Le Croissant Rouge Tunisien (CRT), qui dispose d’un mandat de volontariat dans leur cas, a également arrêté de fournir repas et aide sociale 3 mois après l’arrivée des exilés à La Marsa. Selon Wajdi Ben Ahmed, médecin chargé du dossier au CRT, « ce sont les autorités à travers le Ministère des Affaires Sociales, qui sont en train de faire la distribution de nourriture ». Mais depuis le désengagement des organisations, personne n’a pris le relais.

Réfugiés sans statut : l’UNHCR ne reconnaît pas d’erreurs

Ils étaient plusieurs centaines de milliers à avoir fui la Libye pour Choucha en 2011. Parmi eux, beaucoup de migrants travailleurs, qui ont pu ensuite retourner dans leurs pays d’origine. L’UNHCR indique avoir alors identifié 4500 demandeurs d’asile et réfugiés, dont 3800 ont pu démarrer une nouvelle vie à l’étranger. A La Marsa, 4 personnes ont également obtenu ce statut, mais ne bénéficient pas de programmes de réinstallation ni d’aide matérielle ou financière. Les 30 autres, déboutées, estiment qu’il y a eu des erreurs lors de leurs entretiens individuels avec les officiers de protection de l’UNHCR, une position soutenue par le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) depuis 2012.

Pour Nebil Benbekhti, administrateur principal de l’unité de protection du l’UNHCR à Tunis interrogé au sujet d’éventuelles erreurs, « ça reste à prouver et ça n’a pas été fait ». Seulement quelques dossiers sur les 30 refus contestés ont été vérifiés au sein même de l’agence onusienne, sans réexamen approfondi en présence de la personne concernée, ni possibilité d’autre recours. Les besoins de protection sont établis lors des entretiens, explique Nebil Benbekhti, notamment à la lumière « des situations dans les pays d’origine, qui peuvent être de notoriété publique. Par exemple à Choucha, il y avait des Somaliens, des Erythréens, des Soudanais, qui viennent de pays où il y a des situations tout à fait génératrices de réfugiés et qui ne sont pas les pays d’origine des personnes de La Marsa ». Mohamed est pourtant originaire du Darfour au Soudan, où les violences avaient entraîné 2,4 millions de réfugiés et plus de 300 000 morts lorsqu’il a fui son pays. Il ne connait pas les raisons du refus de sa demande d’asile, mais Mohamed considère qu’ « il y a eu de très mauvaises interprétations » lors de son entretien.

Ikélé assis dans sa chambre de la maison des jeunes de la Marsa qu’il partage avec Abrousi et Bright, ses compatriotes nigérians

Sans recours, pas d’avenir

Les options laissées aux 34 exilés de La Marsa sont maigres. Ils refusent le retour volontaire dans le pays d’origine proposé par l’OIM, leurs histoires individuelles ne leur permettent pas selon eux d’espérer la protection de leurs pays de nationalité, alors que les plus âgés se trouvent à l’étranger depuis déjà 15 ou 20 ans et ne peuvent rentrer, même si on les y aide. Quant à l’intégration locale, elle est extraordinairement difficile à imaginer pour le petit groupe, qui ne connaît du pays que l’impasse dans laquelle ils sont. Beaucoup évoquent le racisme qu’ils subissent aux abords du centre. « Nous sommes reconnaissants pour ce que la Tunisie a fait pour nous. Mais ici on n’a pas d’avenir. On a peur de sortir. Après 7 ans de souffrance, on veut seulement partir et reprendre nos vies », admet Abdelkader, un Ghanéen de 38 ans, tout en pointant du doigt un tas de pierres au sol, que leur lancent des adolescents depuis la corniche.

Bright Kelly, Nigérian de 36 ans, en exil depuis qu’il a 15 ans

« Je prie beaucoup. Ça me donne de l’espoir et ça occupe mes journées », se confie Bright, qui a quitté le Nigéria à 15 ans. Même si leurs conditions s’enlisent, les réfugiés sont déterminés à être pris en considération. L’UNHCR et l’OIM se renvoient la responsabilité avant d’insister sur les contraintes de leurs mandats, exercés « au sein de l’Etat souverain », et estiment que c’est désormais aux autorités tunisiennes de prendre le relais. Le projet de loi sur l’asile n’a toujours pas été soumis l’assemblée tunisienne ; les 34 exilés ne savent pas si l’Etat tunisien se préoccupera de leur cas en entamant effectivement des négociations avec des pays tiers ou bien en appliquant à la lettre les dispositions législatives concernant les étrangers en Tunisie, auquel cas ils seront confrontés à de nouvelles difficultés.