Nida Tounes a salué, dans son dernier communiqué, la pression exercée par son bloc parlementaire, visant à empêcher la prolongation des travaux de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) pour une année supplémentaire. Le bloc de députés a fermement incarné la position du parti, a souligné le communiqué. Une position qui s’inscrit dans le cheminement politique qu’il a suivi depuis son accession au pouvoir fin 2014. Dans un premier temps, ce positionnement s’est traduit par son opposition à Sihem Ben Sedrine, la présidente de l’IVD. Dans un deuxième temps, la présidence de la République a proposé en juillet 2015, la loi de réconciliation économique, paraphée le 24 Octobre 2017, retirant ainsi à l’IVD une partie de ses prérogatives d’arbitrage et de réconciliation.
D’autre part, l’appareil du pouvoir a également contribué à entraver l’activation des décisions de l’IVD. Un processus qui s’est particulièrement manifesté dans la crise entre l’instance et le chargé du contentieux de l’Etat, concernant le dossier de l’arbitrage et de la réconciliation avec Slim Chiboub. A ce sujet, le différend entre l’IVD et le nouveau pouvoir s’est exacerbé, tandis que les présumés faits de corruption attribués au gendre de l’ex-président ont été brouillés. Une affaire que l’IVD a abordé selon une approche publicitaire, dans une tentative de démontrer sa disposition à traiter les dossiers des hommes d’affaires corrompus, laissant au second plan la question de la reddition des comptes. A cet égard, on notera qu’aucun verdict d’arbitrage n’a été émis sur le dossier depuis le 5 août 2016.
Nida Tounes et l’instrumentalisation des symboles
Les dossiers de la corruption financière et économique ont constitué autant de facteurs de dissensions entre Nida Tounes et l’IVD. Les audiences publiques des victimes de la dictature sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali ont constitué le cadre d’un conflit d’un autre type. Les tiraillements ont ainsi opposé des personnages et des symboles du passé, mais avec des enjeux ancrés dans le présent. Avec la parole donnée à des victimes, l’exhumation des crimes du passé a constitué un antidote au discours du pouvoir. Nida Tounes a en effet largement fait appel, dans sa propagande, aux symboles bourguibistes, les instrumentalisant dans les enjeux actuels. Ainsi, la figure d’Habib Bourguiba a-t-elle été utilisée en tant que symbole de la « puissance de l’Etat » et de « l’unité nationale ». Dans ce contexte, toute critique affecte la portée positive du symbole, et remet en cause la légitimité des nouvelles velléités autoritaires. Des visées qui aspirent à modifier le système politique pour revenir au système présidentiel, sous prétexte de « stabilité politique ». En outre, il s’agit dans ce contexte de raboter l’indépendance des organes constitutionnels afin d’imposer l’hégémonie du pouvoir exécutif sous couvert de promouvoir l’efficience de l’État.
Dans son dernier communiqué, Nida Tounes a dévoilé en partie ces enjeux où se chevauchent passé et présent. Le mouvement a ainsi considéré que « le processus de la justice transitionnelle a dégénéré en divisant les Tunisiens, en semant la discorde, et en allant jusqu’à remettre en doute l’indépendance nationale et des symboles fondateurs tels Habib Bourguiba ». Le différend avec l’IVD s’inscrit également dans le cadre du retour sur la scène politique des symboles du régime de Ben Ali, à l’instar de Hatem Ben Salem et Ridha Chalghoum, respectivement ministres de l’Education et des Finances du gouvernement Chahed. En outre, on aura noté, dans le même contexte, l’influence croissante de personnalités telles Borhan Bsaies, Samir Laabidi, et Iyadh Ouedherni, au sein de la nouvelle direction de Nida Tounes. Or les uns et les autres ne perçoivent aucun intérêt dans le processus de justice transitionnelle, en particulier en ce qui concerne la reddition des comptes. Ils seront donc particulièrement critiques à l’égard des travaux de l’IVD, et notamment quand il s’agit des auditions des victimes du régime de Ben Ali.
Ennahdha lâche l’IVD
Avec son communiqué du 28 mars 2018, le mouvement Ennahdha a manifesté son abandon politique de l’IVD, en se déclarant « attaché au processus de justice transitionnelle, indépendamment de celui qui est chargé du dossier ». En revanche, le parti islamiste a réaffirmé son respect des « institutions et des symboles de l’Etat, et son rejet de tout ce qui est susceptible de les affecter ». Une position qui reflète l’évaluation politique du nouvel équilibre des forces, sur fond de pression grandissante exercée par Nida Tounes, frère ennemi d’Ennahdha. Alors qu’au cours des dernières années, le parti de Ghannouchi se considérait comme le parrain du processus de justice transitionnelle, qui en a ainsi hérité des gènes autoritaires. Le mouvement islamiste a traité le dossier de la justice transitionnelle selon une approche partisane. Lors des années de la domination nahdhaouie, la question de la reddition des comptes a subi une logique de chantage, notamment dans les affaires de corruption économique et financière.
Avec l’avènement au pouvoir de Nida Tounes, Ennahdha a été un partenaire du processus de réconciliation. Une démarche ayant même abouti, en septembre 2017, au vote du bloc parlementaire nahdhaoui en faveur de la loi sur la réconciliation, traduisant ainsi essentiellement la volonté politique des dirigeants de l’après 2014. C’est suivant cette approche, que le parti islamiste a traité avec l’IVD, qui a mené sa mission en concordance avec les intérêts d’Ennahdha, sans être en mesure de se transformer en outil de reddition des comptes, ni de s’intégrer dans un nouveau processus alternatif de règlement politique sur la voie du consensus. Dans ce contexte, le communiqué du mouvement islamiste favorise l’émergence de nouvelles initiatives visant à achever le processus de justice transitionnelle, en mettant à l’écart l’IVD, tout en réaffirmant l’attachement au consensus comme cadre de prédilection pour le règlement des différends politiques.
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