Entre les murs d’une ancienne imprimerie fraîchement reconvertie en lieu d’exposition, une poignée d’œuvres, de médiums et de factures différents, donne à J’emporterai le feu un aspect éclectique. Il faut dire que le lieu s’y prête : dans ce local géant à impression qu’était la « Salle machine » de Cérès, la première imprimerie tunisienne offset crée en 1971, rarement le visiteur se sera senti à la fois libre et contraint d’alterner courtes stations et grandes enjambées. Mais de l’élément prométhéen dont l’exposition veut se faire l’écho, il est peu question ici : à peine quelques pièces ou clins d’œil jouant avec sa proximité iconoclaste. Pour le reste, des gestes hors sujet.
Il y va en effet de deux problèmes. Le premier est que la proposition de la curatrice Amel Ben Attia se prend elle-même dans les filets de ses propres métaphores. Entre « feu du foyer », et « foyer du feu », le propos revient à chercher midi à quatorze heures. Le deuxième problème relève du corpus des pièces: on se demande si l’intérêt intrinsèque de tout un lot d’œuvres suffisait à justifier leur inscription sous le signe du feu. On se demande ainsi ce que viennent faire dans ce pavillon des œuvres comme la vidéo Al Nissa et la sérigraphie The Lion’s Share d’Ymane Fakhir qui interrogent la question de l’héritage dans la culture arabo-musulmane. Pareil pour les épreuves à la gomme bichromatée monochrome dans Echo et le daguerréotype dans Ellios du franco-marocain Mustapha Azeroual, remarquables esthétiquement, mais ne collent point au thème. Et si l’on passe sur d’autres travaux relevant du déjà-vu, à l’instar de Réverbère de Mohssin Harraki, on se dit qu’avec ces métaphores brouillant vaguement le jeu de piste, on n’est pas plus invité à se réchauffer au feu qu’à en attiser les flammes. On nous propose plutôt d’avaler la couleuvre.
En revanche, si certaines propositions échappent à ces velléités d’horizon, ce n’est pas tout à fait simple. À moins d’y chercher un rapport au feu matériellement sublimé. C’est le cas avec le très fragile Équilibre à l’Encensoir du franco-marocain Mehdi-Georges Lahlou, ou la compression des barils d’huile dans les Oil Candides de l’artiste saoudienne Maha Malluh. C’est aussi le cas avec la terre cuite polychromée qui permet à la tunisienne Sonia Kallel de fabriquer sa Robe Idole de Sejnane en la composant de petits carreaux de céramique en alliage ferreux.
Entre le dessin d’un bâtiment brûlé et sa maquette en bois, répondant aux « normes d’insécurité », Les Combustibles du jeune artiste Younès Ben Slimane n’en tournent pas moins autour de leur objet avec l’impression d’arriver après-coup. Si ces œuvres sont inégales, deux s’en distinguent. Quand elle laisse une chance au regard qui construit ce qu’il observe, la vidéo Mother Tong de l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira reformule ce qu’on fait au coin du feu, et s’en tire en détournant les latitudes du foyer par la parole féminine intergénérationnelle.
Non moins intelligemment, l’artiste koweitienne Monira Al Qadiri, dans Behind the Sun, filme des champs de pétrole en flammes. Sur fond de paysage apocalyptique, terre en cendres et ciel sombre, c’est une voix-off extraite d’un programme tv islamiste qui s’élève, comme si elle attisait le feu.
Au prisme de cet accrochage, le propos de l’exposition s’empare du feu pour pétrir une rhétorique enflammée mais peu convaincante. On n’est pas sûr que l’on puisse se fier au texte poétique d’Amel Ben Attia pour saisir la portée de sa proposition curatoriale. On se demande surtout s’il ne faut y voir que du feu. Entre les travaux qui convoquent des pyromènes et d’autres démangeaisons qui en prennent prétexte, J’emporterai le feu recule deux fois sur l’essentiel. En oubliant d’une part que l’œuvre ne saurait faire l’économie de son énoncé, et devant des pièces qui résistent d’autre part à rentrer au chausse-pied dans un propos thématique qui ne leur sied pas, la démarche de l’exposition paraît si projective que le parti pris en devient flippant.
Parce qu’elle a rattrapé la balle au bond, on peut deviner que des problèmes de temps auraient empêché la curatrice de mieux penser ses choix en amont. Et l’on verrait peut-être plus clair dans J’emporterai le feu, si Amel Ben Attia avait su encadrer au plus près son choix des œuvres et se passer des extrapolations pour frayer à sa proposition une certaine lisibilité. Mais là, on quitte le pavillon sans pécher par impatience. La proposition s’effiloche, et malheureusement le parti pris avec.
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