« C’était un jeune homme à la forte personnalité, audacieux et éloquent. Après ses cours au lycée de Radès, il se rendait à la Maison de la culture de Djebel Jelloud, où les débats idéologiques s’enflammaient et les différences s’exprimaient. La politique en Tunisie et dans le monde entier était passée au crible. C’était à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Nous étions actifs à la Maison de la culture et tentions de créer des cellules du parti communiste tunisien. Aujourd’hui, il nous manque énormément. Tous ceux qui ont une culture politique, même sommaire, aiment Chokri Belaid. Certains le détestent encore à ce jour. Mais cette catégorie ne nous importe guère. La majorité des gens ordinaires de la région aurait voulu qu’il soit encore en vie ».
C’est ainsi que Khemais Saqra, un syndicaliste retraité de la Société Nationale des Chemins de Fer et ancien membre de l’ex-Parti Communiste Tunisien, évoque la relation entre Chokri Belaid et Djebel Jelloud, le quartier qui l’a vu naître en 1964. On ne parlerait pas autant de Djebel Jelloud si ChokriBelaid « n’avait pas offert sa vie lors d’un attentat », déclare pour sa part Hédi, un retraité de la cimenterie locale. « Le père de Chokri, le défunt Salah Belaid et moi-même, prenions place au café près de la Maison de la culture. A son retour du Lycée de Radès, le soir, Chokri se rendait directement à la Maison de la culture. Son père me disait, voici venir les problèmes avec les discussions politiques », ajoute le retraité. La colère reste vive dans le quartier parce que les autorités n’ont toujours pas fait la lumière sur l’assassinat de Belaid, souligne Hédi, dont l’opinion est largement approuvée par les personnes présentes interrogées.
Walid, ouvrier à la minoterie locale, intervient: « nous avons organisé ses funérailles qui ont démarré à la Maison de la culture locale. Et depuis, les discussions ne tarissent pas sur les responsables de son assassinat et sur la responsabilité de l’État et du pouvoir judiciaire dans les retards et les atermoiements de l’enquête ». C’est dire que le souvenir de Chokri Belaid est toujours ardent à Djebel Jelloud. Des slogans à sa gloire fleurissent sur les murs du quartier. La Maison de la culture locale porte désormais le nom de l’opposant assassiné, tout comme l’école primaire. Les deux institutions arborent en outre sur leur fronton des portraits de Belaid.
« Sa culture de gauche a mûri dans cette région qui compte de nombreuses usines », déclare le syndicaliste Khemais Saqra. Il croisait quotidiennement des ouvriers. Ils se connaissaient bien mutuellement. De nombreux travailleurs ainsi que ses modestes voisins avaient également recours à ses services d’avocat sans qu’il ne perçoive le moindre honoraire. Belaid aimait les gens d’ici et ils le lui rendaient bien. Saqra ajoute: « Abdelmajid, le frère de Chokri Belaid, menait aussi avec nous des activités à la Maison de la culture de Djebel Jelloud. Il a mis en scène plusieurs pièces de théâtre que nous avons joué à la fin des années 70. Nous avons grandi ensemble comme des frères, en dépit de nos divergences intellectuelles et politiques. Nos disputes se terminaient autour d’un café, avec de grands éclats de rire ».
A noter que la Maison de la culture ChokriBelaid a organisé un événement portant le nom du martyr, du 6 au 10 février 2019, à l’occasion de l’anniversaire de son assassinat. Une manifestation culturelle et artistique qui fait désormais figure de tradition annuelle locale. Confirmant que la mémoire de l’homme de gauche est toujours brûlante à Djebel Jelloud.
This feature was supported by the Rosa Luxemburg Stiftung with funds from the German Federal Ministry for Economic Development and Cooperation.
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