Le quartier de Hay Hlel situé à moins de 4 kms du centre de Tunis, est à un jet de pierres du Parlement, et à deux pas de la Kasbah, où siège le gouvernement. Selon le dernier recensement, la cité compte 9688 habitants répartis sur 2599 logements légaux ou anarchiques. Le quartier devrait être traversé par le Réseau Ferroviaire Rapide (RFR) en 2020, selon l’étude du projet annoncé par l’État tunisien depuis l’ère de Ben Ali. Mais depuis décembre 2010, Hay Hlel ne comprend aucun poste de police ni aucun point sécuritaire permanent.

Stigmatisation et marginalisation

L’image de la localité est ternie par de nombreux  préjugés négatifs. D’aucuns relèvent ainsi le taux de la criminalité, la violence, la délinquance et les constructions anarchiques. Les chauffeurs de taxi refusent d’entrer dans le quartier, jugé similaire aux favelas et autres cités d’Amérique Latine contrôlées par les cartels de la drogue, et où l’Etat brille par son absence. C’est dire que les habitants de Hay Hlel souffrent de cette stigmatisation tant au niveau professionnel, que social et économique. Cependant, l’État tunisien a contribué à consolider cette image par son absence quasi totale dans cette zone. Ainsi, on ne relèvera aucun poste de police, ni transport en commun, encore moins de centre de loisirs ou de santé.

Le poste de police local est fermé depuis qu’il a été incendié lors de la Révolution en 2011. Plusieurs autres établissements policiers avaient à l’époque été incendiés dans diverses régions tunisiennes. Or la plupart d’entre eux ont depuis rouvert leurs portes, tandis que celui de Hay Hlel demeure fermé. Ainsi, les habitants du quartier sont privés depuis huit ans des services sécuritaires ou administratifs prodigués habituellement par les postes de police. De son côté, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Hayouni, a indiqué que le poste de police de Hay Hlel est inexploitable depuis qu’il a été totalement incendié lors des événements de la révolution. Toutefois, il a relevé que les services du ministère assurent la sécurité dans la région grâce à ses agents présents sur place, et aux patrouilles permanentes menées au niveau des issues du quartier.

Difficultés sur le terrain

A noter que nous avons tenté en vain pendant un mois et à de multiples reprises de contacter le porte-parole afin d’obtenir davantage de précisions à ce sujet. Hayouni avait pourtant dans un premier temps fait part de son accord de principe. Restés sans réponse de sa part, nous avons donc dû nous rabattre sur une précédente intervention du porte-parole diffusée par Mosaïque FM, pour présenter la version officielle.

Selon Hayouni, le ministère assure la sécurité dans la région par le biais d’un poste situé dans une zone qu’ils appellent Bathat Al-Athath (Place des meubles) adjacente au quartier de Mellassine, relevant administrativement de Hay Hlel. Et c’est donc ce poste qui est chargé d’assurer la sécurité des habitants du quartier et de leur permettre d’obtenir les documents administratifs et officiels. Concernant les obstacles à la réouverture du poste sécuritaire incendié en 2011, Khaled Hayouni a souligné que « le ministère de l’Intérieur a rencontré de nombreuses difficultés sur le terrain, en particulier car Hay Hlel est un quartier d’habitation où il est difficile de trouver un local pouvant faire office de poste de police ». Selon le porte-parole, un tel local est « soumis à des spécifications et conditions précises liées à la protection des policiers, du poste sécuritaire,  ainsi que celle des citoyens ». Autant de conditions qui ne peuvent être remplies dans un quartier résidentiel tel que Hay Hlel, a relevé Hayouni. Il a fait part de « l’attachement » du ministère de l’Intérieur à identifier un siège approprié, relevant que « d’importants fonds financiers » ont été alloués à la construction d’un poste sécuritaire répondant aux normes et aux besoins des citoyens.

De son côté, Lassâad Kheder, le président de l’arrondissement municipal de Sejoumi dont relève Hay Hlel, a considéré que le poste situé actuellement dans la zone Bathat al-Athath est très éloigné. Dans une déclaration accordée à Nawaat, Kheder a relevé qu’il est difficile pour les habitants de Hay Hlel de s’y rendre pour les formalités administratives. « La question dépasse les prérogatives du conseil municipal et relève du ministère de l’Intérieur, qui a fixé un certain nombre de critères pour la construction d’un poste de police », a déclaré Kheder. Et de souligner : « l’ancien commissariatest situé dans une zone difficile à sécuriser et ne pouvant accueillir un poste sécuritaire ». Kheder a indiqué que la municipalité a aidé à trouver une solution à ce problème en discutant avec les services concernés et en mettant à leur disposition un terrain  situé à côté du stade, à l’entrée de Hay Hlel. « Il s’agit d’une zone très proche des habitants du quartier, ce qui leur permettra d’obtenir  les services administratifs dans de bonnes conditions », a-t-il précisé.

Lassâad Kheder, le président de l’arrondissement municipal de Sejoumi

« Nous vivons en marge »

Les habitants de Hay Hlel sont unanimes : leur relation avec l’État se limite à la carte d’identité et aux poteaux électriques. Mais ce qui les affecte le plus, c’est la stigmatisation qui les afflige et les stéréotypes concernant leur quartier, présenté comme un haut lieu du crime, de la violence, et de l’abandon scolaire. Or non seulement l’Etat  n’a pas résolu ces problèmes, mais il a même contribué à renforcer cette image délétère, par l’absence des services de base à Hay Hlel. « Dans ce quartier, nous vivons complètement en marge. Je ne parle pas de l’absence de centres de loisirs, mais de celle des services de base, tels qu’un poste de police, des routes valables… En cas d’averse, nous sommes noyés parce qu’il n’y a pas de réseaux d’égouts pour évacuer les eaux de pluie. Et il y a des zones qui n’ont même pas accès à l’eau potable. La situation dans laquelle nous vivons est indescriptible », déclare Hassan à Nawaat.

Un tableau brossé par ses soins, lui qui habite près du cimetière des martyrs, où se rendent le 9 avril de chaque année, les politiciens et les responsables de l’État. Son ami Oussama, étudiant à l’Institut Supérieur de Gestion, déplore à son tour : « Qu’attend l’État d’une zone où il n’y a pas ni centre de loisirs, ni maison de jeunes, ni  bibliothèque publique ? Il n’y a qu’un seul terrain de foot pour des milliers d’habitants. Qu’attendre d’autre dans la région que la criminalité, la prolifération des drogues et de la violence ? Quand quelqu’un sait que je suis de Hay Hlel, il évite de me parler. Je ne trouve rien qui me relie à l’État, même le poste de police n’a pas été rouvert depuis qu’il a été incendié lors des événements de la révolution ».

Quant aux relations avec la classe politique, elles paraissent quasi-inexistantes. Les promesses faites par les politiciens ont plutôt renforcé leur ressentiment et leur réticence à voter. L’ancien ministre de l’Éducation Néji Jelloul avait promis en 2016, l’ouverture d’une école de base et d’un complexe éducatif, culturel et sportif à Hay Hlel. Mais à ce jour, rien n’a été accompli. Le défunt président Béji Caid Essebsi avait de son côté visité le quartier pendant sa campagne électorale. Il s’était également fendu de moult promesses après avoir constaté les conditions de vie des habitants de la zone. Il avait promis du changement, une meilleure distribution des fruits du développement, une vie digne pour les habitants. Cinq plus tard, l’Etat n’est toujours pas en mesure de fournir les services de base à Hay Hlel.