Faut-il y insister encore une fois ? Quand un court résiste, dans ce tir groupé de nourritures de vidéoclub que forment, à deux exceptions près, les remakes projetés en ouvertures des Journées Cinématographiques de Carthage, c’est déjà un exploit en soi. Si Le Réverbère ne joue la carte du vrai-faux décalque, il n’en regagne pas moins ici ses pénates. Ce court-métrage de Tarak Khalladi entend soumettre à son propre style le matériau d’origine du film éponyme de Hamouda Ben Hlima, tourné en 1976, lui-même adaptation d’une nouvelle d’Ali Douaji. Que raconte Le Réverbère première version ? L’échec d’une tentative de séduction, par un coiffeur de la rue du Pacha, la nuit venue, d’une mystérieuse passante voilée qui attend sous un réverbère. Repassé au vernis d’aujourd’hui, le remake frôle de près la surenchère de répétition.
Si le vernis est pourtant glacé, c’est que Le Réverbère version Khalladi affiche sans fard sa volonté de fidélité. En procédant par petites inversions, tout en conservant le langage allusif du dialogue lexicalisé, où le jeu du grave et du léger ne cède à aucune hiérarchie, le film met le duo de protagonistes sur les rails d’une aventure d’un soir. Aux manœuvres du séducteur, ici rajeuni, l’inconnue de Khalladi reste de marbre, puis hésite à le mettre à l’abri de la pluie, avant d’accepter de l’accompagner chez lui, à condition qu’il ne pose pas de questions. Est-ce bien le charme du coiffeur qui pousse l’inconnue vers la chambre exigüe de celui-ci, ou bien une tout autre raison ? Parce que la caractérisation des deux personnages offre une matière suffisamment forte en soi, l’oscillation entre ces hypothèses fait que le duo joue des partitions parallèles qui finiraient par se croiser. Et c’est des ressorts de ce possible nouage que se tisse l’énigme persistante.
Toutefois, c’est sans s’éloigner de la trame basique que le remake change peu de chose au programme d’origine. Et ce, deux fois : en substituant d’une part à l’inconnue voilée une femme fatale, coincée dans les convenances du jeu avec ses talons aiguilles et rouge à lèvres couleur sang ; et en délogeant d’autre part la déambulation dans les ruelles de la Médina vers le huis-clos mobile d’une voiture. Khalladi ne casse pourtant pas le moule de la dramaturgie, qui se pare d’effets d’attente dépliés au fil des plans comme autant de détails jalonnant un fil dégrossi. S’il change peu de chose au programme, disions-nous, il multiplie néanmoins les ressorts de sa mise en scène pour trouver l’angle qui rachète, le regard qui attire le chaland et l’insert qui tue. Or en rajoutant une couche de glaçage aux codes du genre, le remake laisse l’impression d’une rétention sous l’application soignée du cinéaste, plus soucieux de contrôler ses effets que de tenir en haleine son spectateur.
À la limite de l’exercice de style, Le Réverbère est certes sans prétention, bien qu’il s’essaie à de petits élans pour ne pas jouer le subordonné conciliant. Cependant, malgré les quelques libertés qu’il s’est autorisées, il reste dans les limites du cahier des charges imposé. Retenant ses coups, le film s’enlise dans un suspens pâteux, gommant toute aspérité au lieu d’en creuser l’ambivalence. Peut-être est-ce en cela que la chute, qu’on ne dévoilera pas, peine à convertir son hypothèse, l’expédiant au gré d’un malheureux insert comme l’enfonçage d’une porte ouverte. Le remake aurait gagné à ne pas se contenter d’une certaine pudibonderie comme d’un maigre os à ronger, pour s’approprier son matériau et le transformer. S’il évite difficilement le repli timoré sur l’œuvre reprise, on regrette surtout qu’il lui manque l’impertinence qu’il faudrait.
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