Le 30 mai 2013, l’avocat et ancien prisonnier politique Mohamed Abbou, qui vient de démissionner du secrétariat général du Congrès pour la République – à l’époque parti présidentiel – annonce la création d’un nouveau mouvement. Il s’agit de la troisième scission du CPR qui a payé cher son alliance avec Ennahdha. Moncef Marzouki, qui voulait dépasser le clivage islamistes-sécularistes, a échoué dans cette entreprise et dès son arrivée à Carthage, son mouvement est devenu un satellite de parti islamiste. Pour éviter qu’Attayar ne subisse le même sort, Abbou lui a fixé une identité politique claire : social-démocrate en économie, séculariste (le mot laïque était même assumé en conférence de presse) sur les sujets de société et s’inscrivant dans le camp de la révolution.
Difficiles alliances
La création d’Attayar est intervenue entre les deux assassinats politiques qui ont rythmé l’année 2013. Si le parti s’est déclaré dans l’opposition à la Troïka, il n’a pas pour autant soutenu le sit-in du Bardo et a refusé la dissolution de l’Assemblée nationale constituante.
Durant l’année électorale 2014, des convergences ont été tentées avec d’autres formations social-démocrates (Al Jomhouri, Al Chaâb, Ettakattol, l’Alliance démocratique) mais les egos d’une part et le dissensus quant au positionnement par rapport à Nida Tounes d’autre part ont fait voler en éclat tout processus de rapprochement. Face à un Béji Caïd Essebsi triomphant et à un mouvement Ennahdha résistant, les législatives de 2014 ont été une bérézina pour la famille sociale-démocrate. Attayar n’a réussi qu’à reconduire sa figure de proue Samia Abbou et à faire élire Ghazi Chaouachi et Noômane Elleuch. L’Alliance démocratique et Attayar fusionnent en 2017.
Bien que ne disposant que de trois élus, la législature 2014-2019 va être profitable au parti. Ses députés, emmenés par Samia Abbou, vont imposer la thématique de la lutte contre la corruption à l’Assemblée, transformant les séances d’audition du gouvernement en tribunes pour traquer les écarts de certains responsables administratifs, parfois dans un style confinant à l’outrance. Alors qu’Attayar siège dans l’opposition, ses responsables ont donné un préjugé favorable à « l’opération mains propres » du gouvernement Chahed. Ces actions ont ainsi donné au parti une crédibilité sur la question de la lutte contre la corruption et lui permettent d’arriver troisième aux élections municipales de 2018.
Attayar est également un des rares à organiser une alternance à sa tête. Ainsi, en mars 2016, Ghazi Chaouachi succède à Mohamed Abbou au secrétariat général, même si ce dernier et son épouse Samia Hammouda Abbou demeurent des figures centrales du mouvement. L’avocat reprendra son poste au prochain congrès et sera le candidat d’Attayar à l’élection présidentielle de 2019.
Se différencier du CPR
L’une des raisons de l’échec du CPR est dû au fait que le discours de Moncef Marzouki ait essentiellement trouvé un écho favorable auprès d’un électorat conservateur voire islamiste, déçu par les choix politiques d’Ennahdha depuis son arrivée au pouvoir. L’ancien président de la République s’est alors retrouvé prisonnier de ce segment et a dû adapter son discours sur les sujets de société pour lui plaire, quitte à se renier sur des questions comme l’égalité successorale que le président Caïd Essebsi a portée par le biais des travaux de la COLIBE. Comme le dit l’adage, l’électeur préférant toujours l’original à la copie, cette course au conservatisme a nui au CPR (et à son successeur le Harak) et a brisé la promesse originelle d’un mouvement transcendant les idéologies.
Dans ce contexte, Attayar a cherché à éviter cet écueil à travers son positionnement pour l’égalité successorale en s’appuyant sur la Constitution de 2014 qui consacre l’égalité entre les citoyennes et les citoyens. En se référant à la loi fondamentale et en proposant que les légataires puissent toujours appliquer la règle coranique (qui stipule que la fille hérite de la demi-part du garçon), le parti a voulu éviter les passions identitaires. Si ce choix a permis de clarifier les positions d’Attayar, il ne s’est pas fait dans le calme : la partie la plus conservatrice des sympathisants et des élus locaux du parti ont préféré partir et Mohamed Abbou, constamment attaqué sur ce point durant la campagne présidentielle, n’a réussi à recueillir que 3,63% des suffrages, dépassant tout de même Moncef Marzouki.
A l’épreuve du pouvoir
A contrario, les élections législatives ont constitué une séquence plus favorable au parti qui a vu ses députés septupler. Avec 21 élus, Attayar a envoyé le troisième contingent le plus important au Bardo. Une alliance a même été passée avec Al Chaâb pour former le deuxième bloc parlementaire à l’Assemblée, le Bloc démocrate.
Mais cette victoire ne va pas tarder à provoquer d’importantes secousses au sein du parti et à faire émerger deux lignes distinctes. Pendant toute la campagne électorale, Abbou a refusé toute alliance avec Ennahdha si le parti islamiste était en tête de la coalition au pouvoir. Mais cette position n’était pas majoritaire au sein du bureau politique. En effet, Ghazi Chaouachi a poussé à un accord de gouvernement. C’est ainsi que le parti a accepté de prendre part aux discussions pour la formation du cabinet de Habib Jemli. Finalement, les députés d’Attayar contribueront à empêcher la formation dudit gouvernement.
Sous l’éphémère gouvernement Fakhfakh, le parti deviendra une pièce maîtresse de l’Exécutif. Mohamed Abbou retrouve le ministère de la Fonction publique (qu’il a déjà occupé en 2012) avec des pouvoirs élargis. Ghazi Chaouachi s’occupe des Domaines de l’Etat et doit ferrailler avec le très puissant Marouane Mabrouk. Tandis que Mohamed Hamdi gérera l’épineux dossier de l’Education au temps du premier confinement. Cette première expérience du pouvoir est une occasion pour mettre en pratique les valeurs tant défendues par le parti. Un exercice d’autant plus périlleux qu’il intervient en pleine crise du Covid-19. En dépit des innombrables attaques venant aussi bien de la coalition au pouvoir que de l’opposition, Attayar a bon an mal an conservé sa ligne inflexible sur le dossier des malversations et de la corruption. Mohamed Abbou s’enorgueillit de ne pas être intervenu lorsque ses services ont instruit le cas Fakhfakh qui a abouti à la chute du gouvernement.
Retour à l’opposition
De retour sur les bancs de l’opposition, le parti s’est rapproché de Kaïs Saïed bien que contrairement à Al Chaâb, il ne soit pas aligné sur les positions du président de la République. Mais cette sortie du pouvoir a mis en lumière les divergences qui le traversent. Mohamed Abbou a démissionné de toutes ses responsabilités et s’est engagé dans une lutte sans merci contre Ennahdha. Il se dit, sans que ce ne soit établi, qu’il ait l’oreille de Saïed. Chaouachi, qui a repris les rênes du mouvement, est sur une ligne plus conciliante et n’exclut pas une future alliance avec le parti islamiste.
Et la question, pourtant cruciale, des alliances n’est pas la seule. Alors que le parti a perdu le monopole de la lutte contre la corruption, se faisant concurrencer notamment par un Yassine Ayari qui ne ménage pas ses attaques, les questions identitaires refont surface. Une personne symbolise ce malaise : Mohamed Ammar. Le journaliste, basé à Doha et très influent auprès de la diaspora tunisienne au Qatar, s’est illustré par plusieurs dérapages verbaux dont des attaques antisémites. Il s’est même fait le relai de théories complotistes au sujet du Covid. En outre, il a mis en difficulté son parti dans l’affaire dites des enregistrements clandestins de Rached Khiari. Autant d’éléments qui le rapprochent davantage des positions d’Al Karama que d’un parti qui se dit social-démocrate. Or, Mohamed Ammar a été élu à la tête du bloc démocrate pour l’année parlementaire 2020-2021. Et en vertu de l’accord passé avec le mouvement Al Chaâb, seuls les députés Attayar sont habilités à désigner le chef dudit groupe. Il existe donc une majorité de parlementaires Attayar qui ont préféré Ammar à Nabil Hajji dont le profil correspond mieux à l’image que voudrait promouvoir le parti. Les sorties de Mohamed Ammar éclipsent l’engagement de parlementaires comme Zied Ghanney, engagé en faveur de la légalisation du cannabis ou de Majdi Karbai qui lutte contre la politique migratoire que l’Italie et l’Europe imposent à la Tunisie.
Le 29 mai 2021, Ghazi Chaouachi a indiqué au journal Al Maghreb que le bureau politique d’Attayar a demandé à Mohamed Ammar de démissionner de la présidence du Bloc démocrate. Une requête qui est restée lettre morte. La confusion des genres a de beaux jours devant elle.
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