Après avoir prévu une augmentation de 100 millimes sur le kg de sucre en janvier 2021, le gouvernement a décrété une deuxième hausse de 250 millimes en juin 2021. Désormais, le sucre est vendu à 1400 millimes le kilo, au lieu de 1150 millimes. Cette augmentation a affecté le prix du café, et des autres produits pâtissiers, qui ont à leur tour augmenté. En somme, le prix du sucre, une denrée subventionnée par l’Etat, ne cesse d’augmenter.

En Tunisie, la caisse de compensation a été créée en vertu d’un décret beylical datant de juin 1945. Le but étant de maitriser le prix des produits de base et de palier aux augmentations. A l’époque, la Tunisie a connu une grave crise économique et sociale due à la deuxième guerre mondiale, engendrant une hausse des prix des produits de base dans les marchés internationaux. Le système de compensation a donc été mis en place afin de préserver le pouvoir d’achat  des habitants, d’alléger l’impact de l’inflation, et de promouvoir la production nationale. Après l’Indépendance, l’Etat tunisien a maintenu les mêmes choix en créant la caisse nationale de compensation en vertu de la loi de finance de 1971, avec une enveloppe initiale de 7 millions de Dinars. Cette caisse était destinée à subventionner les produits de base, à savoir le blé dur, le blé tendre, le sucre, le lait, etc. Pour l’année 2021, le montant alloué à la caisse de compensation est de 3.100 Million de Dinars, contre 750 MD en 2010. Selon le rapporteur de la commission des finances au parlement, 2.200 MD sont destinés aux produits de base, 500 MD au transport et 400 MD orientés vers les carburants. La charge de compensation pèse de plus en plus sur la finance publique, d’où le recours à l’endettement pour combler les dépenses. De ce fait, les institutions monétaires, telles que le Fonds Monétaire International exigent « des réformes » pour octroyer des prêts à la Tunisie, dont la révision du régime de compensation, et ce depuis 2013.

Dérapages et dysfonctionnements

La caisse est conçue comme étant un instrument économique mettant en œuvre la politique sociale de l’Etat. D’après une étude élaborée par l’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES), le système de compensation s’insère dans une logique socialiste, à travers la gratuité de l’enseignement, la généralisation des services de la santé publique, la mise en place du système de couverture sociale, etc.

C’est le discours officiel qui prône cette idée. Mais la compensation est essentiellement un instrument économique et non pas un outil social et solidaire,

confie l’économiste Abdeljalil Bedoui à Nawaat.

Pour lui, «la compensation n’a pas réalisé ses objectifs sociaux», vu que les classes favorisées en bénéficient largement, au détriment des classes pauvres, dont 12% seulement en tirent profit, selon l’économiste.

Le rapporteur de la commission parlementaire des finances, Fayçal Derbel, abonde dans le même sens.

Est-ce que les subventions de ces produits profitent exclusivement aux familles nécessiteuses et aux couches défavorisées? La réponse est négative. Les restaurateurs, les hôteliers, les familles nanties bénéficient également de la compensation, ce qui est réellement injuste,

déclare le député nahdhaoui.

De son côté, l’économiste Abdeljalil Bedoui admet que «la compensation est la pièce maîtresse» du modèle économique tunisien, malgré ses dérapages et ses dysfonctionnements. «Il faut chercher des alternatives sérieuses au système de compensation en place», souligne-t-il. Pour lui, le modèle économique actuel est «extensif», et exploite une main d’œuvre non qualifiée contre un faible revenu. La subvention des produits de base par l’Etat est un instrument économique mis à la disposition des classes moyennes et ouvrières, auxquelles appartiennent la majorité de main d’œuvre, à des fins de subsistance.

Mais c’est aussi un outil dont profitent les patrons pour ne pas augmenter les salaires. Si les produits de base comme le pain, le lait et le sucre n’avaient pas été subventionnés par l’Etat, leurs prix auraient exponentiellement augmenté, aboutissant à une hausse des salaires. Or ceci est en contradiction avec l’intérêt des détenteurs du capital,

note Bedoui.

Fayçal Derbel explique les dysfonctionnements qui caractérisent le système de compensation :

Les familles aisées ou relativement aisées bénéficient en moyenne d’une subvention de 89 dinars par individu. Alors que les familles pauvres ne profitent en moyenne que de 68 dinars par individu.

A cet égard, le député préconise le passage «d’un système de compensation des produits vers un système de subvention profitant aux vrais bénéficiaires».

Esquisses de solutions

Pour déterminer les vrais bénéficiaires des produits subventionnés par l’Etat, le député de l’opposition et membre de la commission des finances Hichem Ajbouni propose « la mise à jour de la base de données des familles nécessiteuses et celles à bas revenu, et l’estimation du revenu minimum permettant aux individus de bénéficier de la compensation. Selon lui, «une famille composée de cinq membres, dont le revenu mensuel est de 1500 dinars, peut bénéficier de la compensation». En outre, il considère que le système de compensation est «déséquilibré» et n’est pas orienté vers les personnes nécessiteuses, à cause de «la corruption et du gaspillage».

Quant à Derbel, il trouve que le ciblage des catégories concernées par la compensation «est une tâche très délicate».

Il faut interdire l’utilisation des produits subventionnés en dehors de la consommation familiale, tout en renforçant le contrôle et en durcissant les sanctions,

affirme-t-il à Nawaat.

Et de poursuivre : «Il est possible de tendre progressivement vers la réalité des prix tout en servant parallèlement une indemnité équivalente à tous ceux qui en font la demande et qui se considèrent comme démunis ou nécessiteux. Entre-temps, la généralisation de l’identifiant unique ainsi que les enquêtes sur terrain, permettraient de mettre à jour la liste des «vrais» bénéficiaires de la subvention».

Pour sa part, le député d’Attayar Hichem Ajbouni prévoit la même solution. Il ajoute : «il faut penser à des cartes comme les tickets alimentaires distribués aux Etats-Unis et en Egypte en faveur des classes nécessiteuses, ou transférer de l’argent aux personnes bénéficiaires en fonction de leurs revenus».

D’après Fayçal Derbel, «la refonte doit nous permettre de passer d’un système de subvention alimentaire universelle vers un programme auto-ciblé. Cela permettrait de préserver le pouvoir d’achat des couches défavorisées et de réduire, dans la mesure du possible, les coûts budgétaires de la compensation ». Sur ce point, il précise que la loi de finances 2021 a alloué une dotation de 2,2 milliard de dinars pour la compensation des produits de base.