Après l’annonce des résultats des élections législatives d’octobre 2019, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les infractions enregistrées lors de la campagne électorale. De flagrants dépassements ont été ainsi relevés, dont le financement étranger, la publicité politique masquée et le recours aux médias diffusant illégalement pendant la campagne. La Cour des comptes a constaté dans son rapport relatif au contrôle des campagnes législatives et présidentielles de 2019 des infractions à la loi électorale et au décret régissant les partis politiques. Ces infractions risquent d’aboutir à l’invalidation des sièges de certaines listes représentées au parlement.
Et les interrogations fusent sur le rôle de l’Instance constitutionnelle chargée d’assurer le bon déroulement des élections. Conformément à l’Article 2 de la loi organique qui la régit, l’Instance Supérieure Indépendantes des Elections (ISIE) est chargée d’assurer des élections démocratiques, libres, pluralistes, intègres et transparentes. Mais les critiques fusent. « On a l’impression que le rôle de l’ISIE est limité au contrôle des urnes. Elle n’est plus concernée par tout ce qui se passe ailleurs», constate le constitutionnaliste Mootez Gargouri.
Le financement étranger pluridimensionnel
Depuis le virage 80 et le gel des activités du parlement, l’ISIE s’est retrouvée sur la sellette. Des observateurs lui reprochent la non application de la loi face aux infractions enregistrées pendant la campagne électorale législative. Ces critiques lui ont été déjà adressées après la publication du rapport de la Cour des comptes en novembre 2020, qui a recensé des cas de financement étranger, concernant notamment les listes d’Ennahdha, QalbTounes et 3ich Tounsi. Il s’agit de contrats de lobbying signés avec des agences américaines spécialisées, dans le but d’attirer les électeurs et influencer leur comportement et leurs choix. L’ancien candidat aux présidentielles de 2019, Nabil Karoui, arrêté fin août en Algérie, a ainsi bénéficié en 2019 des services d’une agence de «relations publiques» appartenant à un lobbyiste franco-tunisien. La société a assuré la promotion via Facebook de l’homme d’affaires accusé de corruption à travers des pratiques frauduleuses.
«La législation électorale est dépassée. Elle n’a pas prévu le recours aux médias sociaux pour faire de la promotion en période électorale. On n’a pas de règles de conduite par rapport à l’usage des médias sociaux, et on ne dispose pas de texte de loi régissant les sondages d’opinions », a affirmé Nabil Bafoun, président de l’ISIE sur les ondes de Mosaïque FM, le 12 novembre 2020.
En vertu de la loi électorale, « les membres de la liste ayant bénéficié d’un financement étranger perdent leur mandat au sein du conseil élu. Le candidat aux élections présidentielles ayant bénéficié d’un financement étranger est condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Là, on est face à un processus judiciaire. Le ministère public devrait intervenir et entamer les procédures d’enquête », explique Bafoun. Et de rebondir : « L’annulation de sièges au parlement n’est pas aussi facile qu’on le pense, car le contrôle des financements étrangers est délicat ».
Pour sa part, le professeur en Droit Mootez Gargouri confie à Nawaat que l’ISIE a essayé de contacter Facebook pour avoir une trace des différentes transactions effectuées et des sommes versées pour la promotion des pages en faveur de certains candidats. Mais la plateforme a refusé la requête. « Le ministère des Affaires Etrangères est le seul organe compétent pour représenter l’Etat tunisien, selon Facebook », ajoute Gargouri.
Le recours aux médias sociaux en période électorale et la reconversion des pages Facebook dans le soutien de listes ou de personnes candidates pose un double problème : d’une part, le financement suspect de ces pages qui fournissent un contenu sponsorisé, et d’autre part, la publicité politique masquée qui peut circuler via les médias sociaux.
Médias illégaux: discordes entre la HAICA et l’ISIE
Pour le président de l’ISIE, la nuance entre publicité politique et propagande électorale n’est pas claire. « Il faut absolument repenser la terminologie électorale et préciser davantage les concepts liés à la campagne électorale», préconise t-il.
Cependant, Hichem Snoussi, membre du conseil de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA,) considère que le problème n’est pas d’ordre terminologique. Selon lui, il dépend d’abord de la volonté d’appliquer la loi : « La loi est claire : la publicité politique est interdite. Mais nous avons des médias mis à la disposition des candidats, et diffusant un contenu relevant de la campagne électorale». Il s’agit de trois médias diffusant de manière illégale : Zitouna TV dont le propriétaire est Oussama Ben Salem, membre d’Ennahdha, Nessma TV détenu par le candidat aux présidentielles Nabil Karoui et son frère Ghazi élu à l’ARP ainsi que la radio Quran Karim du député gelé Said Jaziri.
En phase préélectorale, l’ISIE et la HAICA ont signé une décision commune régissant la couverture médiatique des campagnes législatives et présidentielles par les médias audiovisuels. En vertu de l’Article 5 de la décision, il est interdit aux médias qui ne se sont pas conformés aux dispositions du décret- loi 116 de diffuser un contenu relevant de la campagne électorale. Le membre de la HAICA rappelle que l’ISIE était sur le point de refuser l’intégration de cette disposition. Et c’est ce qui a attisé davantage les dissensions entre les deux instances :« Les élections ne peuvent être intègres, tant que l’élection des membres des instances constitutionnelles incombe au parlement», martèle Hichem Snoussi.
A rappeler que l’ISIE avait annoncé l’annulation du siège du parti Errahma au parlement, représenté par Said Jaziri, propriétaire de la radio Quran Karim, pour publicité politique. Après avoir présenté un recours auprès du Tribunal Administratif, Jaziri a récupéré son siège. « Il y a un grand problème au niveau de la Justice qui rend des verdicts en faveur des personnes qui piratent des appareils de diffusion et des médias qui reçoivent des fonds en devise », regrette Hichem Snoussi.
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