Marine Le Pen, candidate au second tour des élections présidentielles françaises, a affirmé, mardi 12 avril, sur les ondes de la radio France Inter, que «Bourguiba avait interdit le voile en Algérie».
La dirigeante du Rassemblement national (extrême-droite), entendait ainsi réagir à son intervieweuse, la journaliste Léa Salamé sur l’interdiction du port du hijab (voile islamique) dans les espaces publics en France, figurant au programme électoral de la candidate. Les contrevenants devraient être ainsi passibles d’une contravention.
«On serait le seul pays à interdire le voile dans la rue», a ainsi lancé la journaliste. Ce à quoi Le Pen a répondu : «Bah non excusez-moi mais Bourguiba avait interdit le voile en Algérie». La journaliste franco-libanaise s’est contentée de commenter: « Ce n’est plus le cas aujourd’hui », sans pour autant relever l’erreur de la candidate. Habib Bourguiba étant en effet le premier président de la Tunisie indépendante.
Quelques jours plus tôt, Le Pen avait déclaré le 8 avril, dans une émission diffusée par France Info : «Le voile est inclus dans cette loi parce que c’est un uniforme islamiste donc c’est au titre de l’uniforme islamiste que j’interdirai le voile dans l’espace public».
Néanmoins, l’allusion de la cheffe du Rassemblement national à l’interdiction du port du voile par Bourguiba parait pour le moins fallacieuse. La circulaire 108/81 émis par le ministre de l’Éducation le 18 septembre 1981, sous la présidence de Bourguiba, entendait interdire «l’habit sectaire» dans les établissements éducatifs. Mais il aura fallu attendre la prise le coup d’Etat putsch médical du 7 novembre 1987, pour que ces mesures atteignent leur paroxysme. Ainsi, dans les années 90, la police tunisienne harcelait couramment les femmes portant le hijab, sans aucune justification légale.
Le 27 décembre 2002, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique de l’époque, Sadok Chaâbane, émettra à son tour la circulaire n° 70, enjoignant les directeurs des établissements d’enseignement à « interdire l’entrée de quiconque porte des vêtements à connotation sectaire ou arborant tout signe distinctif de ce type ». A noter que le ministre ne mentionnera pas explicitement la question du hijab.
En 2006, la circulaire 108/81 sera réactivé pour viser les élèves et les étudiants. Cependant, le régime de Ben Ali, s’est également servi de la circulaire n° 102 du 29 octobre 1986, contraignant le personnel enseignant et les élèves à adopter «une tenue vestimentaire appropriée, ne suggérant pas l’extrémisme ou s’écartant de la norme».
Avec l’accès désormais facilitée des chaînes de télévisions satellitaires, la Tunisie connaitra une importante montée du port du voile, durant la première décennie des années 2000. Le régime de Ben Ali ripostera en réactivant la circulaire 108. Tandis que grandira la vague de colère, avec le nombre croissant d’étudiantes voilées interdites d’entrer dans leurs établissements.
En octobre 2006, en réponse aux critiques suscitées par la circulaire 108, Ben Ali a déclaré que la Tunisie « demeure attachée à l’Islam authentique et aux valeurs de pudeur. En attestent les traditions vestimentaires de nos villes et campagnes ». Et de souligner qu’il faut «différencier l’intrusion de l’habit sectaire de l’habillement authentiquement tunisien et dépositaire de notre identité ».
Cependant, le flou et l’ambiguïté entourant la notion d’habit sectaire et les textes qui s’y réfèrent, ont pu laisser à l’administration le soin de trancher concernant certaines questions épineuses. Ainsi, en décembre 2006, le Tribunal Administratif a rendu un verdict en faveur d’une enseignante d’une école technique de Hammam-Lif, renvoyée et privée de son salaire, pour avoir porté le voile durant ses cours. L’enseignante avait intenté un procès au ministère de l’Éducation. La Cour a ordonné d’annuler son licenciement, se basant sur l’ambiguïté de la circulaire n° 102 le motivant.
En somme, les déclarations fumeuses et les menaces voilées de la candidate de l’extrême-droite française trouvent de curieux échos dans les errements de la dictature tunisienne déchue. A croire qu’outre-méditerranée, l’histoire commence vraiment à bégayer.
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