«Access denied» raconte l’histoire de Ramzi, un homme de 32 ans souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette, qui se bat pour avoir accès légalement à la cannabis afin de calmer ses tics. Le problème ? En Tunisie, la loi 52 condamne les consommateurs à un an de prison. Une loi qui a traumatisé toute une génération, marquée par les nombreuses arrestations et condamnations, dont la plus récente est celle du réalisateur Issam Bouguerra. Ce cinéaste croupit en effet en prison depuis un an, à cause de la plante de cannabis retrouvée sur son balcon. Ironie du sort, avant son arrestation le réalisateur avait obtenu une subvention de l’Etat -celui-là même qui l’a enfermé- pour réaliser un long-métrage.
Dès la scène d’ouverture, «Access denied» annonce la couleur sur un ton tragicomique. Avec le personnage principal, Ramzi, oscillant entre dépression profonde et résilience. Il est affecté par une maladie neurologique considérée comme rare. Toute sa vie en est chamboulée: ses relations, sa famille et sa santé mentale, sont ainsi touchées. A 32 ans, il est au chômage et vit aux crochets de ses parents dans un appartement minuscule. Dans le film, son père apparaît comme une statue silencieuse. Alors que la mère paraît à la fois impuissante et aimante. Elle ressemble à tant de mères tunisiennes, pleurant le destin tragique de leurs gamins écrasés par un pays sourd aux cris et protestations de ses minorités et de sa jeunesse.
Le premier défi était d’expliquer ce qu’est le syndrome de Gilles de la Tourette. Le réalisateur s’appuie sur le témoignage de Ramzi et sur un montage rapide de “plans de tics”. Un procédé simple mais efficace. Toutefois, Heifel Ben Youssef ne va jamais jusqu’à filmer les moments sombres de la maladie. Ainsi, les crises de panique ou les moqueries que subit le protagoniste au quotidien, sont seulement racontées. On peut le considérer comme un choix du documentariste qui ne souhaitait pas faire un film sur la maladie mais sur le traitement des minorités dans notre pays. D’où l’objet politique et le symbole qu’incarne le personnage central.
Ramzi parle de ses souffrances avec pudeur, avec des phrases simples qui nous touchent parce qu’elles sont communes et devenues infra-ordinaires. Ses mots sont aussi les nôtres. Le spectateur ne s’identifie pas à lui par pure empathie, parce qu’il est malade, mais pour ce qu’il subit, face à l’absurdité du système. Dans le contexte des difficultés que traverse le pays, l’histoire de Ramzi fait figure de symbole politique. Et sa maladie n’est plus qu’un support. Comme beaucoup de gens de son âge, il est en colère envers lui-même et envers le pays. Les journées passées au café, le chômage et la honte, les tentatives ratées de ralliements à sa cause, son désir de quitter la Tunisie, sa démystification des symboles nationaux notamment dans l’excellente séquence où il tourne en dérision l’hymne national sont autant d’éléments qui font du protagoniste le miroir de nos propres tourments. Ramzi fédère les spectateurs non autour de sa cause mais autour du sentiment de colère, celle qu’on éprouve envers l’État. Un État qui au lieu de réguler interdit, qui au lieu de soigner enferme et qui au lieu de dialoguer s’isole.
«Access denied» est un documentaire verbal. Tous les personnages, à l’exception du père muré dans le silence, existent d’abord à travers la parole. L’approche du réalisateur est simple : il n’y a pas d’esthétisation du réel sauf pour les séquences musicales où le découpage et la mise en scène sont présents. Quant à l’approche politique, elle est prédominante à travers l’interview du juriste, la présence de Kais Ben Halima fondateur du parti Hezb Il War9a, la confrontation avec la police. En somme, Ramzi se révèle dans l’intersection des luttes, celle des handicapés, des jeunes et du précariat.
La pertinence du film est donc étroitement liée au contexte actuel où toute parole dénonciatrice est suivie d’applaudissements par des spectateurs redevenus citoyens dans la salle de projection.
«Access denied» est un film important parce qu’il témoigne d’un instant T sociopolitique dans le pays. On en ressort encore plus en colère qu’en entrant. Dans nos têtes, résonne encore la voix de Ramzi criant « qui gouverne dans ce pays» ? Le documentaire met en évidence le fossé qui se creuse entre la réalité de la population et l’autisme de l’État. Au final, la Loi 52 sert de révélateur, celui de l’absurdité de notre réalité.
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