Crédit: Seif Koussani. Tunis, 17 décembre 2022.

Comme son nom l’indique, l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) est chargée de superviser les élections. Et en vue d’assurer sa mission, l’ISIE déploie des agents de contrôle assermentés chargés de constater les infractions aux règles de financement de la campagne. «Ils ont qualité d’officiers de police judiciaire et procèdent, dans les limites de leur compétence, à la rédaction des rapports et des procès-verbaux au cas où les participants ne respectent pas lesdites règles », précise l’article 36 de la décision de l’ISIE n° 2022-17 du 1er juillet 2022.

Depuis 2011, nombreuses organisations non-gouvernementales (ONG) ont vu le jour en Tunisie dans le but d’accompagner l’ISIE dans la surveillance du processus électoral, dès le dépôt des candidatures jusqu’à l’annonce des résultats. Parmi ces ONG, on compte l’Association Tunisienne pour l’Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE), Mourakiboun et l’observatoire Chahed. Et en l’occurrence, ces ONG tiennent des propos pour le moins mitigés concernant les législatives anticipées du 17 décembre.

Le contrepoids des ONG

«Nos remarques ont été prises en considération par la Cour des comptes en 2019, et nous avons été cités dans son rapport relatif au financement des campagnes électorales législative et présidentielle anticipée», nous confie Bassem Maater, président d’ATIDE. Cependant, Maater ne cache pas ses réserves face à l’ISIE et la manière dont elle a supervisé les élections. «L’ISIE mettait à notre disposition tous les moyens pour faciliter la mission des observateurs. Mais actuellement, notre relation avec cette instance a changé. On a constaté que nos observateurs ont été harcelés dans certains bureaux de vote», relève le président d’ATIDE.

En revanche, Saif Abidi, chargé de la communication de Mourakiboun, brosse un tableau plus nuancé. «Honnêtement, nos observateurs n’ont rencontré aucune difficulté dans le recensement des données le jour du scrutin», déclare-t-il à Nawaat. Et d’ajouter : «Il est vrai que la collaboration avec l’ISIE a été limitée depuis la lecture critique qu’on a publiée deux jours avant le référendum. Mais nous avons bien travaillé dans les bureaux de vote».

Le jour du scrutin, ATIDE a déployé 678 observateurs dans les différents bureaux de vote. Quant à Mourakiboun, elle a mobilisé 1110 observateurs. «Le nombre d’observateurs variait entre 4000 et 5000 lors des élections précédentes (depuis les élections de l’ANC, ndlr). Mais compte tenu de l’abstentionnisme et du désintérêt pour la chose publique, le recrutement des observateurs est de plus en plus difficile», note Bassem Maater.

Critiques du processus

Contrairement aux agents de contrôle de l’ISIE, «les observateurs des ONG sont bénévoles», assure le président d’ATIDE. «On leur fournit des indemnisations pour les repas et les cartes de recharges des téléphones. Notre objectif ultime est de protéger le processus et de relever les infractions», poursuit-il.

De son côté, l’observatoire Chahed a publié un rapport préliminaire dévoilant les différentes infractions détectées le jour du scrutin, dont la violation du silence électoral, l’utilisation des véhicules administratifs par des candidats, et la distribution de l’argent pour influencer les électeurs. L’observatoire a déployé 1000 observateurs dans les différents bureaux de vote. «Les bureaux régionaux de l’ISIE ont été beaucoup plus coopératifs que l’ISIE centrale», constate Oula Ben Nejma, présidente de Chahed.

Depuis le changement de la composition de l’ISIE et l’amendement de la loi électorale, les ONG tunisiennes ont remis en question le processus dans son intégralité, notamment la condition d’obtention de 400 parrainages légalisés, l’interdiction du financement public de la campagne électorale et l’élimination de la parité homme-femme.

«On a conçu un système électoral mixte et une nouvelle répartition territoriale des circonscriptions, et nous comptions déposer notre proposition au parlement. Mais après le 25 juillet 2021, à qui adresser notre plaidoyer ?», s’interroge SaifAbidi de Mourakiboun. Oula Ben Nejma de l’observatoire Chahed a exprimé les mêmes préoccupations et a rappelé des différentes défaillances de la loi électorale, évoquant au passage les sièges vacants de la prochaine Assemblée législative.

A l’échelle internationale, l’Union Européenne n’a pas déployé une Mission d’Observation Electorale (MOE), contrairement aux rendez- vous électoraux précédents. De son côté, The Carter Center a dépêché une équipe d’observation à long terme. Une délégation d’observateurs de la Chambre civile de la Fédération de Russie est venue observer les élections, et le président de la Commission de l’Union Africaine a déployé une Mission d’Observation Electorale (MOEUA) afin de suivre et de procéder à une évaluation objective des législatives du 17 décembre 2022. «L’absence des observateurs de la MOE aura forcément un impact sur l’opération électorale»,relève le chargé de la communication de Mourakiboun.

En dépit des changements politiques ayant lieu depuis le coup de force du 25 juillet 2021, les ONG tunisiennes déploient des efforts pour limiter les abus du système. «Si les médias sont considérés comme étant le quatrième pouvoir, nous représentons le cinquième», lance Bassem Maater.