A deux heures de Tunis, du côté d’Ain Drahem, un groupe de Tunisiens s’est lancé dans l’aventure de la vie en communauté et de la permaculture. Nous suivons religieusement le point GPS et nous nous retrouvons au milieu de la forêt de Homrane en face d’un grand portail. Il n’y a pas de doute, c’est là. Une maison apparaît au milieu d’un terrain encerclé par les montagnes. Et voici qu’un trentenaire arrive de loin suivi par un chien.
Loin du romantisme et des clichés, ce n’est pas un groupe de hippies ou de militants écologistes qui nous attend, mais une petite famille : Omar, Mariem et leur bébé de quatre mois. Omar est un ingénieur agricole formé en Tunisie et en France, tandis que Mariem est chercheuse en hydraulique. En 2019, Slim Baccar, artiste et designer produit, troisième membre fondateur de Homrane Community, découvre un terrain et encourage le couple à l’acheter pour y fonder leur projet de permaculture. Le couple abandonne alors leur carrière bien établie en France pour fonder le lieu, malgré la réticence de leur entourage. En trois ans, le travail accompli est titanesque. Le groupe a construit en autofinancement deux habitations de ses propres mains et grâce à la solidarité d’amis. « On était 15 pour faire cette toiture », nous dit Omar en nous faisant visiter.
Chaque bâtisse est pensée pour être autonome en énergie. L’eau de pluie est récoltée, le chauffage se fait avec le bois, et la terre autour a donné ses premiers trésors, garantie zéro pesticides, zéro OGM. On plonge la main dans la terre et c’est un sol vivant qui nous caresse. « Le quotidien est rythmé par le travail. Nous dormons avec des douleurs dans tout le corps mais avec une vraie satisfaction », nous confie Mariem. Travailler un hectare et demi de terre n’est pas de tout repos. L’été est sans doute la saison la plus difficile. « L’eau est le plus grand défi auquel nous sommes confrontés. Nous avons une réserve limitée. Cela nous oblige à en tenir compte dans notre mode de consommation et à développer des solutions », explique Omar. Huile d’olive, farine, semoule, oignons, ail, miel, tomates, chaque mètre carré est un trésor en soi avec une gestion d’eau drastique. « Notre objectif n’est pas encore atteint. Nous voulons être autonome à 100%, ce qui demande des années de travail et d’expérimentation », ambitionne Omar.
Une vision du monde
La permaculture a été fondée en 1970 par Bill Mollison et David Holmgren. Ses principes éthiques sont simples : prendre soin de la terre, prendre soin des gens, et partager équitablement les ressources. La vie en communauté est quasi indissociable de la permaculture. Au-delà de l’activité, il s’agit d’avoir une conscience profonde du lien entre les choses et entre les Hommes. « Il y a une domination du récit catastrophiste qui présente l’individualisme et le survivalisme comme seules issues aux crises à venir. La solidarité et le collectif ne sont pas mis en avant bien qu’ils présentent plus d’avantages », lance Omar.
Attelé à la paperasserie et à la gestion du lieu, le couple a dû désenchanter après avoir présenté son projet au ministre de l’Agriculture. « Il nous a conseillé de nous lancer dans l’élevage de poulets, beaucoup plus rentable. Nous nous sommes sentis isolés politiquement et socialement. Il a considéré que c’était une vision bisounours de l’agriculture », raconte Omar. Ce n’était pas le seul défi auquel ils ont dû faire face. Une fois arrivé à Homrane, il fallait aussi s’intégrer au village qui a sa structure sociale et ses propres codes. Leur maison a été cambriolée à trois reprises. On ira jusqu’à leur saccager les guitares comme pour passer un message. « On croyait que ça allait être plus facile. On est en conflit judiciaire avec un voisin, exploitant d’un élevage de poulets. Il n’hésite pas à nous menacer, car nous avons dénoncé son non-respect des règles environnementales. Il nous a traité de ”vendus à la France”… Aujourd’hui, nous ouvrons nos portes à ceux qui le souhaitent mais nous sommes moins naïfs », relate Omar. Mais la coexistence se construit avec d’autres qui, petit à petit, s’intéressent à leur labeur. « Cette année, notre voisin, Aam Salah, a essayé notre méthode en voyant les résultats que nous avons obtenus avec le blé. Au lieu de labourer, il a semé », déclare Mariem.
Partage des connaissances
Le partage est un pilier fondateur de Homrane Community. Ce n’est pas par hasard que la discussion s’est poursuivie autour d’un déjeuner. Omar se dirige vers le potager pour y cueillir les légumes qui seront les ingrédients d’un couscous produit à partir de leur propre blé. « J’ai vécu le moment cliché en mordant dans la première tomate juteuse qui a poussé. Ça reste un beau souvenir », nous dit-t-il en sortant ses oignons de terre. Et en goûtant à ces produits, nous prenons conscience non seulement de la notion de partage, mais aussi d’un rapport différent à la nutrition.
« Nous avons eu des moments de doute. Mais c’est grâce à l’ATP (Association Tunisienne de Permaculture) que nous avons été revigorés. Nous nous sommes sentis moins seuls. Faire partie d’un réseau nous renforce », reconnaît le couple. Omar et Mariem évoquent l’ATP comme étant un tournant majeur dans leur parcours. L’association fondée en 2015 est constituée d’un noyau solide de Tunisiens qui partagent les mêmes valeurs environnementales et éthiques.
Homrane community ouvre ses portes à ceux qui souhaitent découvrir « cet autre possible » à travers des ateliers participatifs liés à la construction durable, à la permaculture ou même à la méditation. Une deuxième bâtisse peut être louée pour ceux qui souhaitent y passer une nuit ou quelques jours. L’ambition est d’en faire une résidence artistique dans le futur.
Depuis quand appelle-t-on “une petite famille” (sic) composée d’un papa, d’une maman et d’un bébé une communauté ? Ne s’agit-il pas, en réalité, “loin du romantisme et des clichés” (sic), d’une petite famille ?