Mise à jour 23-03-2023
« Très grave », c’est par ces termes que le Haut-représentant de l’Union Européenne (UE) pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a qualifié la situation en Tunisie, lundi 20 mars, à l’issue de la réunion du Conseil des ministres européens des Affaires étrangères. Et de poursuivre : « l’ Union européenne s’inquiète de la détérioration de la situation économique et politique de la Tunisie et redoute un effondrement du pays ». Des « propos disproportionnés » selon le ministère des Affaires étrangères tunisien qui a réagi mardi. Une semaine entamée sur une mauvaise note avec l’UE après une autre marquée par une tension avec la Libye.
En visite à l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières, jeudi 16 mars, le président Saied a déclaré que « la Tunisie n’a reçu que des miettes du champ de Bouri ». Et il a poursuivi : « il y avait l’intention de partager ce champ en 1975 entre la Tunisie et la Libye. Ce qui aurait pu subvenir à tous les besoins de la Tunisie si ce n’est plus ». Or le litige autour de cette exploitation pétrolière au large des côtes tunisiennes et libyennes, finalement porté devant la Cour internationale de Justice en 1982, a été tranché en faveur de Tripoli. De quoi susciter de vives réactions en Libye. Le ministère du Pétrole et du Gaz libyen a considéré que le président tunisien était « dans l’erreur », tout en rappelant les faits. Pour sa part, le président de la commission de l’énergie au sein du Parlement libyen, Aïssa Aribi a déclaré : « Les richesses de la Libye appartiennent au peuple libyen ».
La Banque mondiale a annoncé, lundi, la suspension des discussions avec la Tunisie sur le cadre de partenariat pays définissant les orientations stratégiques des engagements opérationnels à moyen terme (2023-2027). Et ce, suite aux propos tenus par le président Kais Saied sur les migrants subsahariens, le 21 février, et la campagne de violences racistes qu’ils ont engendrée. Une réaction qui vient dix jours après la ferme condamnation des propos de Saied par le président de la commission de l’Union Africaine. Dans la foulée, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Mali se sont dépêchés d’organiser des rapatriements de leurs ressortissants. Des campagnes de boycott des produits tunisiens sont lancées au Sénégal. Et en Guinée, les importateurs ont décidé de suspendre leurs opérations avec la Tunisie.
Et ce n’est pas le premier revers essuyé par la Tunisie face à une instance continentale. Le 22 septembre dernier, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a appelé la Tunisie à abroger le très controversé décret 117 attribuant à Kais Saied les pleins pouvoirs. Fidèle à lui-même, le chef de l’Etat n’a pas revu sa copie. Et il ne fait qu’aggraver son cas, puisque le 30 mai 2022, il a déclaré les membres de la Commission de Venise personae non gratae en Tunisie. A l’origine de cette décision, un rapport émis par cet organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, le 27 mai. La Commission de Venise y a souligné l’incongruité de l’annonce d’une date de référendum avant la publication du texte du projet de la nouvelle Constitution, tout en critiquant l’absence de règles claires établies à l’avance.
Expulsions et personae non gratae
Quand il s’agit de s’isoler, Saied est plutôt doué. Le 18 février, il a déclaré Esther Lynch, la secrétaire générale de la Confédération des syndicats européens, persona non grata. Le 2 mars, Marco Perez Molina, chargé de la coopération avec l’Afrique et l’Asie au sein de la CEC UGT Espagne, a été refoulé à l’aéroport Tunis-Carthage. Quatorze autres représentants d’organisations syndicales internationales ont finalement été empêchés de venir exprimer leur solidarité avec l’UGTT en pleine mobilisation contre les politiques de Kais Saied. D’après le porte-parole de l’UGTT, Sami Tahri, le gouvernement a notifié l’UGTT, via le ministre des Affaires sociales Malek Zahi, de l’interdiction d’accès au territoire tunisien à ces responsables syndicaux. Et les expulsions deviennent coutumières. Ainsi, le 19 janvier, Hicham Alaoui, chercheur à l’Université de Harvard et prince dissident marocain, venu intervenir dans une conférence de l’édition arabe du Monde diplomatique a été refoulé. Encore un témoignage fort de l’autoritarisme de Saied drapé dans une cape souverainiste.
Erosions diplomatiques
A l’ouest, crispations diplomatiques avec l’Algérie. A l’est, la Libye se construit toute seule, sans participation tunisienne notable, y compris dans les efforts de pacification. Et ce, après certaines phases de turbulence. Les relations avec le Maroc demeurent tendues depuis la crise éclatée fin aout. La France est de plus en plus distante. Quant à l’Union européenne (UE), elle « suit avec préoccupation les développements récents en Tunisie », selon les termes du Haut-représentant de l’UE Josep Borrell, le 23 février. Le non-déploiement d’une mission d’observation électorale lors des législatives en dit long sur la crispation européenne. La situation est assez préoccupante pour que les ministres des affaires étrangères européens inscrivent la situation en Tunisie à l’ordre du jour de leur prochain conseil prévu le 20 mars 2023. Pour leur part, les Etats-Unis sont carrément critiques. Le nouvel ambassadeur Joey R. Hood, nommé le 27 juillet dernier, a annoncé parmi ses priorités « le rétablissement rapide d’une gouvernance démocratique ». Et manifestement, on en est bien loin.
Seul à Carthage
Kais Saied s’avère de plus en plus seul à Carthage. Dans la foulée de ses mésaventures diplomatiques, il a perdu un de ses rares collaborateurs durables : le ministre des affaires étrangères, Othman Jerandi, en poste de septembre 2020 à février 2023. Et ce après avoir connu de nombreuses démissions et limogeages au sein de son cabinet. Des alliés à la rédaction de la nouvelle constitution dont les constitutionnalistes Mohamed Amine Mahfoudh et Sadok Belaid, ont même fini par le désavouer.
Au niveau des partis politiques, il a perdu tous les soutiens de son coup de force du 25 juillet. Y compris les soutiens critiques et les plus attentistes, à l’exception du Mouvement du Peuple. La rupture semble consommée avec l’UGTT qui a réussi ses mobilisations régionales ainsi que sa marche fédératrice de samedi dernier. Il ne lui reste plus qu’à espérer que les députés (individuellement élus) de la nouvelle assemblée puissent se structurer pour constituer des blocs pouvant lui apporter un soutien politique, pour l’instant, cacochyme.
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