Sur un total de 17 candidatures à l’élection présidentielle, prévue le 6 octobre prochain, trois seulement ont été initialement retenues, en l’occurrence celles du président de la République Kais Saïed, de Zouheir Maghzaoui et Ayachi Zammel.

En revanche, 14 autres ont été rejetées en raison du nombre insuffisant de parrainages ou d’absence de caution financière requise ou encore pour non-éligibilité liée aux conditions de nationalité, a indiqué Farouk Bouasker, président de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), samedi 10 août.

Ce dernier a soutenu que le rejet des candidatures avait « des fondements juridiques solides ». Et que contrairement aux informations relayées, il n’était pas dû à « l’absence de l’extrait du casier judiciaire (bulletin n°3) ».

De son côté, le candidat Mondher Zenaidi, redoutable concurrent de Kais Saied, a rendu public un communiqué, dimanche 11 août, affirmant qu’il allait contester la décision de l’ISIE le concernant devant le tribunal administratif.

Zenaidi a souligné qu’il a rempli toutes conditions requises par la loi pour que sa candidature soit éligible. Pour lui, la décision de l’ISIE à son encontre est « un crime » et « une tentative d’altérer la volonté du peuple ».

La candidature de l’ancien cadre du mouvement Ennahdha, et actuel président du parti « Aamal et Injez »,  Abdellatif El Mekki a été également rejetée. Ce dernier a déclaré qu’il va aussi s’opposer à la décision de l’instance électorale auprès du tribunal administratif.

Idem concernant le président de la Coalition nationale tunisienne et ancien ministre de l’Education, Néji Jalloul. Ce dernier a annoncé, le lundi 12 août, qu’il compte protester contre la décision de l’ISIE, ayant rejeté sa candidature, auprès du tribunal administratif.

D’autres candidats n’ont pas attendu la décision de l’ISIE et ont jeté l’éponge, à l’instar de Nasreddine Shili, Nizar Chaari, Kamel Akrout, Nachêet Azzouz et Safi Saïd. Ils ont dénoncé une course à la présidentielle malhonnête.

Une mascarade

Des candidats aux élections présidentielles ont dû traverser un chemin semé d’embûches pour finaliser leur dossier. À l’exception de quelques noms ayant choisi le silence comme tactique, la plupart des candidats, dont le président Kais Saied lui-même, se sont plaints des tentatives de blocage et de déstabilisation. Ces agissements avaient comme but, selon eux, de les exclure de la course ou d’envenimer le climat électoral.

Face aux obstacles dressés par les ministères de la Justice et de l’Intérieur, des candidats ont été confrontés à une épreuve difficile semblable à une course de haies.

Lesdits ministères ont fait tomber la plupart des candidatures, ce qui ressemble à des éliminatoires pré-électoraux.

En moins de deux semaines, plusieurs anciens candidats potentiels étaient amenés à recueillir des parrainages populaires et à obtenir également le bulletin numéro 3. Ils ont subi, d’après eux, un harcèlement de la part du ministère de l’Intérieur, qui aurait refusé sciemment de leur livrer le bulletin numéro 3. Des candidats, à l’instar de Nasreddine Shili, Nizar Chaari, Kamel Akrout, Nachêet Azzouz et Safi Saïd ont jeté l’éponge, dénonçant une course à la présidentielle malhonnête.

Des jugements, allant de l’emprisonnement à l’interdiction à vie de se présenter aux élections présidentielles, ont été rendus à la veille de la clôture du dépôt des candidatures contre des candidats potentiels et un certain nombre de leurs collaborateurs.

Campagnes de harcèlement contre les collecteurs de parrainages

Contactée par Nawaat, Amel Houli, responsable de la collecte des parrainages dans le gouvernorat de Jendouba ayant soutenu la candidature de Karim Gharbi, alias K2rym, a affirmé qu’elle avait été la cible d’une campagne de diffamation lancée, dès le deuxième jour de l’Aïd Al-Adha, par une page de supporters du président de la République, Kais Saied. En cause : un commentaire posté sur la page de Karim Gharbi, dans lequel elle lui déclarait son soutien. Elle raconte :

J’ai écrit ce commentaire parce que Karim Gharbi m’avait aidé à soigner ma mère, atteinte d’un cancer. Et puis, j’estime que la Constitution garantit à chaque citoyen la liberté de soutenir le candidat de son choix. A cause de ce commentaire, j’ai été convoquée au centre de sécurité de Jendouba. On m’a interrogé sur ma relation avec Karim Gharbi et sur mes moyens de subsistance. Avant de me relâcher, ils m’ont demandé de leur montrer mon compte Facebook.

Et de poursuivre : « Mais près d’un mois après cet incident, les forces de police ont fait irruption dans ma maison à Jendouba. Après l’avoir perquisitionnée, elles ont saisi des copies de cartes d’identité jointes aux dossiers de participation de quelques artisanes aux expositions que j’avais organisées en coordination avec le gouvernorat en 2020 ».

« Les policiers ont arrêté ma mère, âgée, et ma fille de 5 ans, et les ont interrogées jusqu’à 4 heures du matin sur ma relation avec Karim Gharbi, sur le lieu où se trouveraient les parrainages, et l’argent que j’aurais reçu de sa part, selon leurs allégations.

 Je n’étais pas présente, mais ma mère m’a parlé de l’état de terreur dans lequel se trouvait ma fille à l’intérieur du commissariat pendant son interrogatoire, ce qui l’a amenée à uriner involontairement. Ma mère a dénoncé auprès des policiers cette interrogatoire faite à une fillette atteinte de diabète. Mais elle a eu droit à une avalanche d’insultes et d’obscénités. Ma fille en est sortie traumatisée. »

La section de Jendouba de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH) a porté plainte auprès du juge de la famille contre l’équipe judiciaire qui avait soumis la fille d’Amel Houli à l’interrogatoire.

La mère de la fillette ignore encore les suites données à la plainte. En revanche, le tribunal de première instance de Jendouba s’est empressé de prononcer une peine de 4 années de prison, avec effet immédiat, contre Amel Houli, assortie d’interdiction de dix ans de se présenter aux élections. Ceci s’ajoute à la condamnation de trois femmes lors de la compagne de collecte des parrainages pour Karim Gharbi à Jendouba, à deux ans de prison avec, également, une interdiction pour une durée de dix ans, de se présenter aux élections.

« Je n’ai pas été interrogée. Tout ce que je sais est que le jugement rendu concernait des accusations relevant de crimes électoraux. Je suis en ce moment très inquiète car je nai pas assisté à laudience correctionnelle car mon avocat n’avait pas pu préparer le dossier de défense », explique Houli.

Août 2024, au siège du Syndicat des journalistes : des militants des droits de l’homme et des représentants d’organisations et de syndicats sont de plus en plus préoccupés par le climat de peur qui règne à l’approche des élections présidentielles – Page officielle du Syndicat tunisien des journalistes.

À leur tour, trois collecteurs volontaires de parrainages au profit du candidat Nachêet Azzouz ont fait l’objet de harcèlements. Ils ont été arrêtés par la police avant d’être relâchés à l’aube du 28 juillet dernier.

Interrogé par Nawaat, Nachêet Azzouz indique que « des amis ont pris l’initiative de recueillir des parrainages à mon intention, mais trois volontaires ont été arrêtés et des policiers les ont interrogés sur des supposés fonds en leur possession. Ensuite, une partie des parrainages qu’ils avaient recueillis a été saisie, en plus de formulaires vierges, avant qu’ils soient relâchés à 4 heures du matin. Les formulaires et les parrainages étaient restés au commissariat », dénonce notre interlocuteur.

L’ancien candidat Nachêet Azzouz a appelé le numéro vert mis en place par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) pour recevoir les plaintes concernant l’octroi d’argent ou de cadeaux en échange de parrainages, afin de signaler les restrictions imposées à ses collaborateurs. Azzouz indique que l’employée qui a répondu à son appel a assuré qu’elle transmettrait son message à qui de droit.

L’une des volontaires de la campagne du candidat Nasreddine Shili a évoqué des intimidations qui avaient également ciblé des membres de sa campagne. Dans son témoignage à Nawaat, elle affirme que les forces de sécurité avaient demandé à un groupe de volontaires de partir au moment où ils entamaient leur tournée à Ariana pour collecter des parrainages.

Interrogée par Nawaat au sujet du harcèlement policier ciblant les collecteurs de parrainages, Salsabil Klibi, spécialiste du droit constitutionnel, souligne que, en vertu de la loi, l’ISIE a le droit de faire appel à la force publique pour assurer la sécurité du processus électoral. Et d’enchaîner : « La question qui se pose est, néanmoins, de savoir dans quel but l’instance a recours à la force publique. Certes elle doit faire respecter la loi. Mais elle doit clarifier également les limites de son recours à la force publique pendant les élections.»

Août 2024, le président de l’instance électorale en visite au centre de traitement des parrainages recueillis au profit des candidats à l’élection présidentielle – Page officielle de l’ISIE.

Course derrière les barreaux

A la veille de la clôture des candidatures, cinq candidats aux élections ont été condamnés à huit mois de prison : Abdellatif Mekki, Nizar Chaari, Mohamed Adel Daou, Leila Hammami et Mourad Messaoudi.

Par ailleurs, six anciens candidats ont annoncé qu’ils n’avaient pas pu retirer le bulletin numéro 3 de leur casier judiciaire, à moins de 48 heures avant la clôture des candidatures.

Il s’agit de Karim Gharbi, Nasreddine Shili, Imed Daimi, Mondher Znaidi, Kamel Akrout et Nizar Chaari. Certains d’entre eux avaient, auparavant, signé une déclaration dénonçant ce qu’ils qualifiaient de «mesures arbitraire» et de «harcèlement sécuritaire» ciblant les collecteurs de parrainages, tout en tenant l’ISIE pleinement responsable des «graves violations» enregistrées, étant donné qu’elle exerçait une autorité totale en matière d’élections.

En réponse, le président de l’instance, Farouk Bouasker, a affirmé le 4 août qu’il n’y avait eu aucune restriction quant à l’octroi du fameux bulletin numéro 3, et qu’une grande partie des candidats potentiels n’auraient pas déposé de demandes de retrait de celui-ci. De son côté, le porte-parole de l’ISIE, Tlili Mnasri, a déclaré que l’instance, en coordination avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice, a fait en sorte de faciliter l’accès des candidats au bulletin numéro 3. Il explique qu’il faut que le rejet de la demande d’obtention de ce document soit justifié par des motifs légaux et objectifs. D’après lui, le tribunal administratif est qualifié pour examiner les oppositions faites contre les décisions de l’Instance.

Août 2024, Palais de Carthage. Le président Kais Saied souligne, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité qu’il a présidée, la nécessité d’appliquer la loi contre toute personne cherchant à perturber le fonctionnement normal de l’Etat – Présidence de la République.

Depuis l’ouverture des candidatures à l’élection présidentielle, 114 formulaires personnels ont été retirés. Sept postulants seulement ont pu déposer leur candidature.

 La raison est que la plupart des candidats n’auraient pas pu recueillir les parrainages requis ou n’auraient pas pu obtenir le bulletin numéro 3, dans un climat de peur dû aux arrestations et interpellations des personnes qui collectaient les parrainages au profit de candidats en compétition avec le président Kais Saied.

D’autre part, le président sortant, candidat à sa propre succession, a accusé à maintes reprises des concurrents, qu’il n’a pas nommés, de provoquer des crises et de comploter afin de perturber le processus électoral et influencer les électeurs. Ceci intervient alors que des députés et des membres de conseils locaux ou régionaux se sont mobilisés pour recueillir des parrainages à son profit.