Il est 7 heures du matin, heure à laquelle des centaines d’habitants du gouvernorat de Manouba ont l’habitude de prendre le bus n°460. Le bus arrive au centre de la capitale, si tout va bien et s’il n’y a aucune panne l’obligeant à s’arrêter ou, parfois, à annuler le voyage, aux environs de 8 heures 30. Habitués à l’entassement et à la chaleur suffocante à l’intérieur de cet autobus qui, souvent, dépasse largement sa capacité d’accueil, les passagers ne s’en plaignent plus. Car, depuis plus d’un mois, leur bus se fait rare, après la décision prise par la Société tunisienne de transport (Transtu) de réduire son activité sur une quarantaine de lignes dans les principaux gouvernorats du Grand Tunis, selon une déclaration du directeur central de l’exploitation des bus au sein de la Transtu, Nabil Masmoudi. Or, la direction de la société n’a fait aucune annonce officielle, ni fourni le moindre détail supplémentaire à ce sujet.
Selon le dernier bilan publié par la Transtu sur son site officiel en 2019, le nombre de lignes de bus dans le Grand Tunis a atteint 232, couvrant plus de 1 650 stations pour des trajets quotidiens assurés par une flotte de bus vétustes, dont certains ont plus de vingt ans, et des rames de métro qui n’ont pas été renouvelées depuis près de cinquante ans sur la ligne Tunis -La Goulette.
Les chiffres contradictoires qui apparaissent, de temps à autre, dans les discours du président de la République, d’une part, et les déclarations de différents titulaires du département des Transports ou dans les rapports de la Transtu, d’autre part, au sujet du nombre d’autobus et l’état de la flotte, attestent de l’existence d’une crise des transports publics qui s’aggrave d’année en année. Les déclarations les plus marquantes à cet égard ont été faites par Kais Saied, lors de sa visite à l’entrepôt de la Transtu à Bab Saadoun, le 25 novembre 2023, au cours de laquelle il a clamé que « toutes les excuses pour justifier la situation déplorable dans laquelle se trouve le secteur des transports dans le pays sont inacceptables. » Le chef de l’Etat a attribué la situation financière calamiteuse de la Transtu à la corruption, au pillage et au vol de pièces de rechange commis, selon lui, par « certaines parties qui tentent de nuire aux transports publics dans le but de les détruire et de les céder ensuite à des particuliers ».
Un discours dont le chef de l’Etat a le secret, en rejetant systématiquement la responsabilité sur des inconnus tapis dans de mystérieuses chambres obscures. Un an après cette visite, des mesures ont été prises et plusieurs réunions ont été tenues. Mais elles n’ont abouti qu’à l’acquisition d’un lot supplémentaire d’autobus d’occasion et hors d’usage auprès de la régie de transport française.
Des bus français d’occasion : une solution illusoire
Face à la détérioration de la situation des transports publics dans la capitale et sa banlieue, le ministère des Transports et la Société tunisienne des transports cherchent tous azimuts des solutions palliatives. C’est ainsi qu’ils ont conclu des accords d’acquisition d’autobus d’occasion en provenance de France pour renforcer une flotte déjà vétuste, dans l’espoir d’endiguer la vague d’indignation et de critiques qui ciblent leurs services ces dernières années. La plus importante transaction a eu lieu en août 2023. Le ministère avait reçu 122 bus français d’occasion, ce qui a, aussitôt, déclenché une vague de protestation chez les Tunisiens trouvant inacceptable le recours de l’entreprise à la « ferraille française », constituée de vieux bus, hors d’usage et réformés en Europe. Le ministre des Transports de l’époque, Rabie Majidi, avait balayé d’un revers de la main ces accusations, soulignant que ces bus étaient conformes aux normes internationales et qu’il s’agissait, dit-il, de « bus écologiques, équipés d’un filtre à particules conforme aux spécifications européennes, et adaptés aux personnes handicapées. » Ce choix est aussi justifié par le faible coût de ces bus, par rapport aux bus neufs. C’est tout ce que permettrait le budget de l’entreprise qui connait des problèmes financiers et cumule des dettes depuis des années, en raison du phénomène des resquilleurs, qui empruntent les lignes sans tickets en bonne et due. L’ex-ministre cite également la baisse du prix des billets et des abonnements. Le ministère a affirmé avoir dépensé « seulement » 16 millions de dinars dans cette transaction, qui aurait coûté plusieurs fois cette somme s’il avait choisi d’acquérir des bus à l’état neuf.
Interrogé par Nawaat, l’observateur des services publics et expert en gouvernance, Charfeddine Yakoubi, explique que, malgré le succès relatif qu’ont eu les bus français d’occasion ces dernières années, ces accords ne respectent pas dans tous ses aspects la réglementation des marchés publics qui sont soumis à la règle de l’offre et de la demande. Et d’ajouter : « On opte pour une seule partie pour conclure des contrats d’achat, sans s’astreindre à des normes de transparence suffisantes, alors qu’il serait plus judicieux et plus commode de conclure des contrats pour acheter des bus neufs, avec une longue durée de vie et garantissant des prestations confortables. » Notre interlocuteur rappelle à ce sujet :
Il existe une vielle circulaire datant des années 1970 interdisant toute acquisition d’outils ou d’équipements usagés dans des marchés publics, sauf dans des cas exceptionnels soumis à une dérogation du chef du gouvernement. Or, l’exception est devenue la règle dans les marchés de bus de la Transtu.
Charfeddine Yakoubi, observateur des services publics et expert en gouvernance
L’expert souligne que les politiques adoptées par l’Etat s’inscrivent toujours dans cette optique de solutions de rafistolage et de réparation, sans aucun objectif précis, soit en cédant le secteur des transports publics aux particuliers, soit en le subventionnant et en essayant de l’améliorer.
Ces solutions n’ont eu aucune incidence sur la situation du transport public dans la capitale, qui ne fait que s’aggraver, avec la réduction du nombre de lignes et de bus, et les pannes de plus en plus fréquentes des bus d’occasion importés de France, lesquels ne seraient pas adaptés au climat tunisien, notamment en été, où les températures sont très élevées.
« Nous n’exigeons plus qu’il y ait des climatiseurs dans les bus. Notre seule exigence, depuis le remplacement des vieux bus par des soi-disant neufs, est qu’il y ait une fenêtre que nous pourrions ouvrir pour nous aérer ! », lance une quadragénaire qui attendait l’arrivée du bus à la station Jeanne-d’Arc, au centre de la capitale. Celui-ci est fraichement importé, mais, en effet, dépourvu de grandes fenêtres pour laisser entrer l’air, au motif que l’on s’en passerait, en présence de climatiseurs à l’intérieur. Cette option aurait été curieusement désactivée dès l’arrivée du véhicule en Tunisie, sans que les autorités compétentes n’aient fourni la moindre explication sur les motifs de cette décision.
L’absence de climatisation en été, comme en hiver, est une chose courante dans les transports publics de la capitale. Le passager ne recherche plus les conditions de confort, l’arrivée à l’heure du métro ou du bus, ou avec un retard qui ne soit pas exagéré, étant le maximum qu’il puisse espérer.
Interrogée sur cette question par Nawaat, la vice-présidente de l’Organisation tunisienne de défense du consommateur, Thouraya Tabessi, affirme que l’organisation reçoit, en permanence, un grand nombre de plaintes inhérentes aux prestations fournies par les transports publics. Ces plaintes portent essentiellement sur la mauvaise qualité de ces prestations et l’irrégularité des horaires des départs, mais aussi, de plus en plus, sur des problèmes liés au respect des normes de sécurité et à l’insécurité dans certaines stations de bus. Notre interlocutrice poursuit :
Nous sommes bien conscients des souffrances qu’endure le citoyen tunisien avec les transports en commun, en raison du vieillissement de la flotte, de l’absence de maintenance et des conditions humaines, et du peu d’intérêt accordé à la sécurité du passager. Mais, nous cherchons toujours, à travers des commissions paritaires avec le ministère, à signaler ces insuffisances en attendant des solutions pour sortir de cette crise.
Thouraya Tabessi, vice-présidente de l’Organisation de défense des consommateurs
Notre interlocutrice soutient que les solutions préconisées actuellement, telle que l’acquisition d’autobus d’occasion en provenance des pays européens, peuvent être un moyen d’atténuer la crise, mais elles restent insuffisantes pour en sortir. Elle met l’accent sur la nécessité de procéder à des révisions générales, susceptibles d’accélérer le renouvellement de la flotte pour fournir des prestations de qualité, garantissant le droit du citoyen à des transports publics respectables.
Les bus français d’occasion, que l’on voit circuler dans les rues de la capitale, sont bondés de passagers tout au long de la journée, et particulièrement aux heures de pointe. Des dizaines de personnes entassées à l’intérieur galèrent vraiment pour se déplacer d’un endroit à un autre, le visage dégoulinant de sueur, en l’absence de toute aération dans le bus, à l’exception de quelques petites impostes très élevées, qui laissent s’insinuer un peu d’air. Les chauffeurs de bus n’hésitent pas alors à laisser l’une des portes ouvertes, dans l’espoir de réduire la chaleur suffocante à l’intérieur du véhicule.
« Nous sommes obligés de laisser les portes des bus ouvertes, notamment dans les rues très encombrées. Nous savons très bien que c’est est interdit et que cela peut exposer les passagers au danger, mais c’est la seule solution qui s’offre à nous à l’intérieur des bus qui ne sont pas climatisés et sans fenêtres. » C’est par ces mots qu’un conducteur de bus de la station « le Passage » décrit l’atmosphère dans laquelle se déroulent des dizaines de navettes quotidiennes, soulignant que l’ouverture de la porte avant du bus se fait généralement à la demande directe des passagers eux-mêmes, et en particulier des plus âgés qui ne supportent pas la chaleur et manquent d’air. Et d’ajouter :
En tant que conducteurs, nous sommes également des victimes. Nous vivons la même galère. Ceci, en plus des pannes soudaines qui peuvent survenir et que nous essayons de réparer parfois nous-mêmes pour poursuivre notre trajet sans retards. Nos collègues du métro souffrent encore plus que nous.
Chauffeur de bus
Le chauffeur ne nie pas, pour autant, que la plupart de ces bus étaient, au départ, affectés à des lignes couvrant des zones à faible densité démographique du fait qu’ils ne peuvent excéder leur capacité maximale, contrairement aux anciens bus de grande taille. De plus, les probabilités de pannes mécaniques sont, d’après le chauffeur, bien moindres que dans les bus jaunes et autres.
Des solutions trop coûteuses
Fuyant le calvaire des transports publics dans le Grand Tunis, de plus en plus de personnes optent pour les sociétés privées qui partagent un certain nombre de lignes avec la Transtu, mais pratiquant des tarifs plus élevés. Les passagers espèrent trouver dans ces transports en commun confort et ponctualité. Certains préfèrent les taxis individuels, mais ceux-ci ne sont pas toujours disponibles en raison de la forte demande et de la large utilisation des applications qui ont rendu presque impossible l’obtention d’un taxi avec compteur, ces dernières années. Le passager se rabat alors sur des applications téléphoniques qui lui font payer sa course deux fois plus chère. Ainsi, les courses individuelles en taxi dans la capitale deviennent l’apanage de certaines catégories sociales ou de ceux qui ont la chance de tomber sur un chauffeur qui n’utilise pas ces applications.
Autre moyen de locomotion présenté comme une alternative aux transports publics : ces motos déployées à travers de nombreuses stations du centre de la capitale. Travaillant dans l’illégalité, depuis la promulgation de l’arrêté ministériel de novembre 2019, interdisant toute activité de taxi-scooter, au moins sous sa forme conçue par la startup Intigo, de nombreux motards continuent à narguer les autorités et à ignorer la contestation des fédérations et autres syndicats de chauffeurs de taxi, qui refusent cette présence des taxi-moto, sous prétexte que ces dernier n’ont pas, selon eux, d’autorisation et imposent des tarifs inéquitables et une concurrence, en somme, déloyale.
Face à la détérioration des prestations de transports publics dans la capitale et aux embouteillages qui asphyxient ses rues aux heures de pointe, le transport à moto s’est imposé comme solution provisoire et irrégulière. Après tant de tentatives, infructueuses, de le légaliser, et malgré toutes les tensions qui l’opposent à ses concurrents, les autorités continuent d’entretenir l’ambiguïté à son sujet.
Les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à utiliser le taxi-moto à la place du métro, des bus et même des taxis individuels, notamment dans le centre de la capitale. En même temps, les autorités n’ont pas, à vrai dire, voulu empêcher ces jeunes de travailler par décision officielle et irrévocable, nonobstant les descentes policières qui aboutissent souvent, selon des témoignages recueillis sur place, à la saisie d’un certain nombre de motos ou à l’expulsion de leurs conducteurs des endroits où ils étaient stationnés. Ces courses-poursuites entre les patrouilles de police et les motos de type Forza qui sillonnent les rues de la ville de Tunis, avec des passagers à bord, sont devenues une scène habituelle, et reprennent selon l’humeur des policiers.
La situation des transports publics dans le Grand Tunis, voire aussi dans l’arrière-pays, reflète la réalité de millions de Tunisiens laminés par le désengagement de l’Etat et le peu de cas qu’il fait des revendications populaires les plus pressantes, telles que l’amélioration de la qualité de vie et le besoin d’assurer des services de base adéquats, dont notamment le transport. Ainsi, pour le citoyen, un bus vétuste ne diffère guère d’une école publique abandonnée ou d’une structure de santé incapable de fournir ses services aux patients. Les gouvernements successifs répondent à ces revendications, soit en appliquant une politique de l’Omerta, soit à travers des discours pompeux gavant leurs ouailles de fausses promesses ou mettant en avant ces scénarios de main invisible qui comploterait inlassablement contre le peuple.
Au cours de notre enquête, nous avons tenté, pendant plusieurs jours, de joindre, par téléphone ou par voie de correspondances écrites, les principaux protagonistes de cette affaire, à leur tête le ministère des Transports, représenté par son chargé de communication. Toutefois, ce dernier a refusé de communiquer avec Nawaat ou de répondre à ses questions, comme il l’avait déjà fait à l’occasion d’une précédente enquête. Ce qui est curieux dans cette histoire, c’est que ce ministère, ainsi que d’autres institutions étatiques qui ont refusé de répondre à Nawaat à plusieurs reprises, reçoivent normalement d’autres sites d’information ou médias. Le même traitement discriminatoire nous a été réservé par la fédération des transports affiliée à l’Union générale tunisienne du travail, où nous avons contacté, à maintes reprises, les syndicalistes en charge du dossier. Mais ceux-ci se sont à chaque fois dérobés.
أزمة في النقل،في الصحة و في التربية و …. اين القرارات و تطبيقها
Elle est toujours en panne ses gouvernements dans tous les domaines transport santé commerce Rien qui fonctionne ça me dégoûte l’état de pays est catastrophique Gaza mieux mille fois que la Tunisie c’est une grande prison ET tout les gens qu’ils habitent là bas sauf les traîtres et les mercenaires c’est des prisonniers