Les associations défendant les personnes LGBT+ sont dans la ligne de mire du régime du président de la République, Kais Saied, de ses supporters et de ses suppôts médiatiques.

Les hostilités se sont intensifiées après la manifestation du 13 septembre, à laquelle plusieurs militants LGBT+ ont pris part. Après cette manifestation, des militants et responsables d’organisations de défense des personnes queers ont reçu des convocations policières, dont Mira Ben Salah, responsable du bureau de la région sud de l’association Damj. Mira Ben Salah est appelée à comparaître devant la brigade de la police judiciaire de Bab Bhar(Sfax), sans aucune autre information, a annoncé Damj. L’association œuvre pour l’inclusion, la défense des minorités et des groupes marginalisés.

Scandant des slogans tels “Liberté pour les prisonniers et prisonnières d’opinion”, “C’est fini l’Etat policier”, “A bas la dictature”, les manifestants ont exprimé leur colère face aux dérives autoritaires du régime de Saied.

Le 26 juin à l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, des militants LGBT+ scandent : “Révolution queer contre l’Etat policier”.

Damj considère que cette vague liberticide visant les activistes queers s’inscrit dans “la rhétorique anti-LGBT” du chef de l’Etat. Ce dernier utilise cette rhétorique à l’occasion de sa campagne électorale, dénonce l’association. Il s’appuie sur l’aversion persistante d’une grande frange de la société envers les minorités sexuelles. Kais Saied est candidat à sa propre succession. L’élection présidentielle aura lieu le 6 octobre prochain dans un climat de marasme socio-économique et de verrouillage des libertés.

Damj implore le pouvoir judiciaire de jouer son rôle de protecteur des droits et libertés face aux harcèlement juridico-politiques touchant les militants et opposants à Kais Saied. Elle tient le pouvoir exécutif et plus particulièrement le ministère de l’Intérieur pour responsables de cette vague de répression et d’atteintes à la sécurité des personnes et militants LGBT+.

Ce n’est pas la première fois que l’association Damj fait l’objet d’un tel harcèlement policier.

Répression méthodique

En juillet 2023, l’organisation a rapporté qu’elle a été victime d’intimidations policières. Des éléments des forces de l’ordre ont espionné des membres ainsi que les locaux de Damj. L’association a été accusée de mener des activités suspectes et de ne pas avoir de statut légal. Ce que Damj réfute catégoriquement.

Des militants de Damj dénonçant l’emprisonnement des personnes queers.

L’homophobie est ancrée en Tunisie et portée par les pouvoirs successifs. L’article 230 du Code pénal tunisien criminalise à ce jour l’homosexualité. Les personnes homosexuelles encourent des peines allant jusqu’à trois années d’emprisonnement. Des tests anaux sont pratiqués sur des personnes accusées d’avoir des rapports homosexuels. Ces tests, censés prouver leur homosexualité, portent atteinte à leur intégrité physique et morale. Or ils sont toujours pratiqués.

En 2018, la commission pour les libertés individuelles et l’égalité (Colibe), mise en place par l’ancien président de la République Béji Caïd Essebsi, avait recommandé la dépénalisation de l’homosexualité.

Une proposition restée lettre morte comme l’ensemble des recommandations de ladite commission. Essebsi avait publiquement rejeté l’abrogation de l’article 230, défendu par son ministère de la Justice Mohamed Salah Ben Aissa. Interrogé par un journaliste à ce sujet, Essebsi avait déclaré :

Ne pensez-vous pas que ceci est contraire à la religion et aux traditions ? Ceci vous rapproche davantage des Occidentaux.

Ancien président de la République Béji Caïd Essebsi

En la matière, Kais Saied est dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Et il a exprimé son avis sur le sujet bien avant qu’il ne soit élu président de la République. Dans une interview, datant de 2019, Saied avait accusé les personnes LGBT+ d’être à la solde des étrangers pour “propager l’homosexualité”.

Saied avait affirmé pourtant que “la dignité du pays est dans la dignité de ses citoyens et citoyennes”, sans exprimer une quelconque intention d’arrêter le recours aux tests anaux.

Un contexte menaçant

La Constitution, écrite par le chef de l’Etat, et promulguée en 2022 réduit à néant les revendications en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité. L’article 5 de ladite Constitution dispose que “l’Etat est tenu, dans la protection de la vie, de l’honneur, de l’argent, de la religion et de la liberté, des biens et de la liberté, de réaliser les finalités de l’Islam”.  Des associations ont alerté sur la possibilité de recourir à la règle religieuse et de l’appliquer en lieu et place du droit positif puisqu’elle est désormais dotée d’une valeur constitutionnelle.

Des militants LGBT+ dénoncent la pratique des tests anaux

En ce sens, Saied est égal à lui-même. La nouveauté est que cette campagne à l’encontre des associations de défense des LGBT+ suivent les diatribes du chef de l’Etat visant l’ensemble de la société civile. Spécifiquement celle portant des revendications politiques et sociales et qui sont critiques envers son régime.

La société civile est tantôt associée au financement du terrorisme, tantôt accusée de comploter pour l’implantation des migrants en Tunisie.

En première ligne dans la mouvance contestataire, certains militants LGBT+ sortent de l’ombre. Mais, ils constituent le maillon faible de la société civile. Outre des accusations liées aux sources de leur financement, ils risquent la prison en raison de leur soutien aux personnes LGBT, persécutées aussi bien par la loi que par la société. Et Saied surfe sur cette haine, gage de soutien populaire.