Malgré une légère brise automnale, le soleil tape fort en cette fin de matinée. Une lumière dorée inonde la cour, où une dizaine d’enfants, installés aux pieds des arbres, attendent gaiement le prochain cours. D’autres, se défoulent en courant dans tous les sens. Nous sommes à l’école Bou Awaj, à une dizaine de kilomètres de Sejnane, dans le Nord-Ouest du pays. « Ritej, ne reste pas au soleil, mets-toi à l’ombre », avertit le directeur, Mondher El Abassi.

Nous sommes fiers de cette verdure qui permet à nos élèves d’être dans un environnement sain où ils peuvent s’épanouir.

Engagé corps et âme depuis 21 ans dans cette école, Mondher El Abassi, est ici comme un poisson dans l’eau. « Un ancien combattant », aime-t-il répéter. Il interpelle les enfants par leurs prénoms, demande des nouvelles des parents, s’assure qu’un tel s’est bien remis de son angine, invite une élève à mettre sa casquette… rien ne lui échappe. Il semble se soucier des 163 élèves comme de ses propres enfants. A peine arrivés, il nous emmène voir le nouveau grillage qui délimite le jardin pédagogique : il vient d’être nettoyé et labouré pour pouvoir accueillir le prochain atelier de plantation. L’école prévoit de cultiver sur les 3000 m2, comme l’an passé, différents légumes et légumineuses, et de planter des nouvelles variétés d’arbres.

L’éducation à l’environnement, un enseignement négligé

En effet, l’Association Tunisienne d’Agriculture Environnementale, partenaire du Programme Alimentaire Mondial (PAM), a organisé au printemps 2024 plusieurs ateliers avec les enseignants et les élèves[1]. L’idée du projet est d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des écoliers, tout en les sensibilisants aux enjeux environnementaux.

De façon théorique, dans un premier temps, en créant une fresque du climat, en observant l’écosystème, en décrivant la biodiversité présente à l’école, en réfléchissant au recyclage des déchets. « En prenant le temps d’observer, les élèves prennent conscience de l’écosystème existant, de sa diversité et de son interdépendance », explique Hamza Ben Amor, coordinateur du projet au sein de l’association. « Et c’est précisément cette prise de conscience qui fait naître chez l’enfant un intérêt pour la question environnementale ». Force est de constater que l’éducation à l’environnement dans les écoles reste dérisoire, et dépend du bon vouloir des enseignants. Pourtant, l’idée n’est pas neuve : plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années sans aboutir à l’intégration de l’éducation environnementale dans le programme scolaire. La question est abordée de façon superficielle dans différentes matières, telles que les sciences ou la géographie, mais jamais de manière systémique.

Sensibilisation des enfants à l’agriculture et aux enjeux environnementaux – ATAE

Selon le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Seniors, 42 actions et manifestations en matière d’éducation environnementale ont été organisées en 2021 au profit de 3456 écoliers.  Des chiffres qui feraient sourire si la situation environnementale du pays n’était pas aussi alarmante. En attendant, des initiatives comme celles de l’Association Tunisienne d’Agriculture Environnementale, et d’autres encore, permettent de pallier les manques. Pour Hamza Ben Amor, l’enjeu est d’amener l’élève à faire le lien entre son environnement et le changement climatique : comment est-il directement impacté par la pollution, par la sécheresse, par le réchauffement climatique ? Des questions auxquelles ils peuvent répondre à travers l’expérience du potager. Des exercices ludiques sont proposés : quelles sont les différentes parties des plantes, les étapes de leur croissance, les techniques de plantations, la fréquence de l’arrosage, les raisons pour lesquelles l’association défend une agriculture sans pesticides ? Une fois la partie théorique terminée, les élèves ont pu expérimenter leurs apprentissages en participant à l’atelier de plantation.

En mettant les mains dans la terre et en manipulant les outils agricoles, les élèves appréhendent de façon concrète une multitude de notions. De nombreuses recherches scientifiques soulignent les bienfaits du jardin potager dans les apprentissages[2] : au niveau de l’alimentation, de la réussite scolaire, du sentiment d’appartenance ou encore du développement psychosocial des élèves. Ce fut également l’occasion de valoriser le métier de l’agriculteur : « plusieurs élèves ont des parents agriculteurs, ils en étaient très fiers ! », raconte Hamza Ben Amor. « Ce fut une belle journée », se souvient-il.

Les élèves étaient très enthousiastes, nous avons planté de nombreux légumes, comme des radis, des oignons, des petits pois, des fèves, qu’ils se sont partagés lors de la récolte.

En effet, l’association a également organisé une récolte participative qui a permis aux élèves de voir le fruit de leur travail. Car entre la plantation et la récolte, les enseignants et les élèves se sont occupés du potager. « Ils ont arrosé et désherbé tout au long de la période, c’était l’occasion de faire classe en dehors des murs, pour le plus grand bonheur des élèves qui ont besoin d’expériences pratiques », se félicite le directeur. Ce potager a ainsi permis de recréer une biodiversité au sein de l’école, loin du modèle des cours bitumées.   

Et la cantine ?

Au delà de sa vocation pédagogique, le potager va servir à améliorer l’alimentation des élèves. Un espace réservé à la cuisine scolaire a été aménagé, et la prochaine récolte servira à répondre, en partie, aux besoins de la cantine. « Plutôt que de donner aux élèves des cakes industriels, nous leur proposerons dans la mesure du possible des plats plus sains », se réjouit le directeur de l’école. « Le jardin potager ne pourra évidement pas produire suffisamment pour nourrir toute l’école. Mais cela permettra aux élèves d’observer les cycles de la nature et d’être sensibilisés à une alimentation équilibrée », précise Hamza Ben Amor.

Radis du potager de l’école Bou Awaj à Sejnane – ATAE

Un défi de taille lorsque l’on sait que seulement 24% de l’ensemble des élèves des écoles primaires publiques bénéficient d’un repas. Repas étant un grand mot : 60% sont des repas froids qui se limitent à un morceau de pain avec harissa et sardines en conserve[3]. Le programme d’alimentation scolaire national est géré par le Ministère de l’Education. L’objectif ? Améliorer l’accès à la scolarisation des enfants des familles les plus démunies, réduire les abandons scolaires, souvent liés à la distance entre l’école et la maison, et « accroître l’attention des enfants en atténuant la faim immédiate »[4].

Le budget alloué à l’alimentation scolaire est estimé à 70 millions de dinars depuis 2019. Par repas et par élève le budget est de 1,600 dinars : avec l’inflation, cette somme ne peut en aucun cas répondre aux recommandations alimentaires de la FAO. D’où l’urgence de créer des alternatives qui permettent aux élèves d’avoir des repas équilibrés de façon régulière. « Nous verrons s’il est possible de compléter la quantité de fruits et légumes nécessaire pour les repas, avec des agriculteurs de la région », s’avance Hamza Ben Amor. Confrontés à la pesanteur de l’administration et à la lenteur des mécanismes décisionnels pour mener à bien le projet, le directeur, ainsi que le coordinateur de projet affirment avec aplomb qu’ils se battront pour que l’initiative s’implante de façon durable au sein de l’école.


[1] Ecoles Vertes, Assiettes Colorées. Association Tunisienne D’Agriculture Environnementale.

[2] Jardin pédagogiques : pourquoi sont-ils si importants ? Carnet de recherche du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AULAB).

[3] Evaluation Approfondie Des Marches Nationaux Et Régionaux De L’alimentation Scolaire (PDF), Programme Appui au Développement Durable dans le Secteur de l’Agriculture et de la Pêche en Tunisie – ADAPT.

[4] Politiques D’alimentation Scolaire (PDF), Banque mondiale.