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Manifestation à Tunis, le 25 janvier 2011 à Tunis. Photo : Fethi Belaid [AFP]
Manifestation à Tunis, le 25 janvier 2011 à Tunis. Photo : Fethi Belaid [AFP]
La fête du Travail est la fête de la Révolution :

À quelques jours de la fête du Travail, voici les différents états-majors des partis au pouvoir ou dans l’opposition qui s’activent pour célébrer la journée sans rien y apporter de nouveau, sinon des slogans creux. La principale centrale syndicale de son côté semble s’en tenir à ses mots d’ordre habituels sans rien de bien concret alors que notre Révolution, dont elle est l’un des acteurs majeurs, dérive en douce vers la dictature du conformisme et la politique de la vacuité d’une pratique immorale de l’exercice du pouvoir.

En effet, bien que notre pays soit pauvre, on assiste dans les allées du pouvoir et de la haute Administration à un étalage honteux de privilèges et d’avantages qui font douter que les représentants du peuple et ses serviteurs parmi les commis de l’État soient vraiment là où ils sont, après avoir goûté aux délices du pouvoir, au service du peuple, mais plutôt pour leurs intérêts propres.

Bien sûr, les intéressés le nient farouchement et ne manquent ni de serments appuyés ni de professions de foi réitérées que leur souci premier reste de servir la Révolution et le peuple. Or, ce dernier ne les croit plus à force de voir leur comportement au jour le jour et les émoluments qu’ils se font servir, sans parler des manifestations extérieures du luxe que certains arborent et auxquels ils s’accrochent.

C’est d’ailleurs un signe qui ne trompe pas celui d’avoir assisté à l’Assemblée Nationale Constituante à cet acte courageux, à l’écoute enfin de la conscience, de renonciation aux salaire, prime et avantage de député. C’est bien symptomatique de la mauvaise conscience qui ronge certains députés écartelés entre leurs privilèges et ce qu’ils voient de la misère du peuple.

Pourquoi donc tous les députés ne reproduisent-ils pas pareil acte juste ? Et plus généralement, pourquoi les femmes et hommes politiques, les ministres et les hauts fonctionnaires ne font pas de même ? N’éviteraient-ils pas, ce faisant, d’aller là où l’on sera amené fatalement, soit vers une loi pour les y contraindre, imposant pareil acte de salubrité publique au nom de la Révolution et de l’état de délabrement économique de notre pays ?

Or, voici venue une occasion pour nos élus et nos hauts responsables politiques pour apporter la preuve de leur désintéressement au service du peuple, la fête du 1er mai. Car le travail est à la base de la dignité; et celle-ci a été la marque de la Révolution en Tunisie, qui a été en quelque sorte celle du travail ! Aussi, la fête du 1er mai est bel et bien une autre façon de fêter notre Révolution.

La journée de l’abolition des privilèges :

Que la célébration cette année du 1er mai fêtant habituellement les vertus du travail, ce dont nombre de nos compatriotes sont privés, manquant même cruellement de quoi vivre — et donc de leur droit à la dignité —, soit celle des retrouvailles avec l’esprit de la Révolution !

Que la première qualité pour servir l’État et le peuple en Tunisie Nouvelle République soit enfin l’humilité et la culture de la sobriété, de la modestie et de la simplicité !

Que tous les responsables politiques décident à l’unanimité que cette journée sera celle de l’abolition de toutes les manifestations de privilèges, d’avantages et de fastes au sein des institutions de notre pays. Ce qui contribuera assurément à la nécessaire et salutaire moralisation de la pratique du pouvoir en conformité avec les exigences de la Révolution.

Que l’exercice du pouvoir en Tunisie ne s’accompagne plus du décorum habituel, aussi insultant pour la majorité pauvre de ce pays qu’inutile pour une saine gestion publique ou une quelconque efficacité politique. Ce n’est pas parce qu’on y a pris habitude que l’on doit fermer les yeux sur son coup et surtout son effet néfaste eu égard aux exigences de la Révolution de la dignité.

Que les serviteurs d’un peuple pauvre soient à son image en se contentant du strict nécessaire dans l’accomplissement de leur mission; où alors qu’ils s’abstiennent de se proposer à son service, les patriotes compétents prêts à servir leur pays sans lui demander rétribution ne manquant pas !

Que nos responsables vraiment épris du bien de ce peuple ne manquent pas à l’honneur en laissant passer cette occasion pour démontrer leur patriotisme et leur sens du service de la Révolution qui est d’abord et avant tout celle de la dignité ! Or, il n’est nulle dignité pour un peuple pauvre et démuni d’avoir des serviteurs croulant dans le luxe.

Qu’ils en fassent donc un moment majeur de la Révolution de mise hors la loi de tous les privilèges dans le service de l’État à dépouiller de tout apparat, somptuosité et luxe ! Qu’ils décrètent une austérité généralisée dans tous les services publics pour que l’Administration et le personnel politique donnent l’exemple d’un train de vie aussi modeste que celui de la majorité du peuple !

Et que l’UGTT, en tant que représentant éminent et qualifié de ce peuple, appelle à une telle moralisation urgente de l’exercice du pouvoir en ce pays, en faisant même un motif sérieux de grève générale !

Dans un pays pauvre, le luxe est à mettre hors la loi :

Après les flashs, le strass et les paillettes qui continuent à marquer le train de vie de l’État, une cure de dépouillement est donc nécessaire, sinon obligatoire; ce sont les serviteurs de l’État eux-mêmes qui doivent commencer à se l’imposer dans le cadre d’une pratique politique moralisée en ce pays.

En effet, au moment où le pays est sur le point de conclure un emprunt susceptible de limiter sa souveraineté, il est inadmissible que l’on ne tente pas tout ce qui est de nature à limiter les dépenses d’apparat de l’État, autant inutiles que dispendieuses, à commencer par les signes extérieurs du luxe en passant par les indemnités et les privilèges des agents d’un pays au bord du gouffre économique et financier !

Certes, on a pris l’habitude de singer dans l’exercice du pouvoir ce qui se fait ailleurs, avec les solennités et le décorum jugés indispensables à l’Autorité comme partie prenante de son prestige. Or, pour être efficiente et efficace, la politique n’a pas nécessairement besoin de se parer des solennités qu’on connaît, même pas pour une question de prestige, car le standing véritable de l’État est d’abord et avant tout celui du peuple.

Et quel prestige peut être celui du peuple à part son honneur dont il ne se dépare jamais malgré sa pauvreté ? Aussi, et tout pareillement à lui, ses serviteurs doivent se suffire de l’honneur de le servir et se priver de tout ce qui constitue actuellement le charme du pouvoir, ses privilèges et ses avantages. Car ceux-ci sont souvent la raison principale, sinon exclusive, motivant nombre de politiciens, bien avant ce qui devrait être leur seule motivation : le service désintéressé du peuple.

Notre pays est pauvre et ne peut mener grand train à la manière des pays riches; et notre peuple étant humble et de modeste condition, il est immoral que les agents de l’État censés le servir affichent un faste outrageant.

Il est donc temps d’innover en politique en dépossédant l’État de tout son faste indu et son coûteux décorum qui n’a pour conséquence que de l’éloigner du peuple. Les élus de ce peuple, les ministres et grands commis de l’État doivent se distinguer de la minorité privilégiée du pays par la modestie de leur train de vie qui ne peut se calquer que sur l’état de la majorité dans notre pays et non celui de ses riches.

Ainsi, outre les exigences à modérer en matière de traitement et de ses composantes, outre les commodités superflues absolument inutiles pour l’efficacité du service à oublier, ils ne doivent plus se laisser aller à l’ostentation du moindre luxe, même s’ils s’y sont habitués, et ce dans tous les aspects de leur vie, surtout en vêture, bijoux et autres vanités de la nature humaine, l’apparence du serviteur du peuple devant être sobre, en harmonie avec la condition du pays.

Être révolutionnaire, c’est savoir sacrifier ses intérêts :

Il ne s’agit pas ici de vue de l’esprit ou de pur slogan d’utopiste et encore moins de populisme, mais d’acte nécessaire de salubrité publique qui a tardé à venir. Il s’agit de comportement hautement moral au moment où l’on met la morale à toutes les sauces, consistant à être logique avec notre affichage idéologique. Il est nécessaire de sacrifier les mauvaises habitudes reprises à l’ancienne dictature ou copiées à l’étranger pour fonder et consolider notre nouvelle culture révolutionnaire. Ainsi s’incarne véritablement le patriotisme réel, loin des slogans creux, où l’acte de servir le peuple est de fusionner avec lui, y compris dans l’apparence et le mode de vie quotidien.

C’est seulement ainsi que ce qui touche la population pourra toucher vraiment ses représentants; et c’est ainsi qu’on aura une réelle chance d’arriver à limiter l’écart énorme existant encore actuellement entre le peuple réel dans sa terrible misère et son staff politique qui en est coupé, séparé de sa condition modeste par le luxe honteux dans lequel il vit.

Soyons donc ce que nous prétendons être : patriotes et révolutionnaires, et ce en faisant en sorte que la fête du Travail soit digne de son esprit d’origine. Celui-ci était bien de célébrer les réalisations des travailleurs, notamment par le levier de la grève, fêtée aussi par cette journée annuelle, pour les combats des travailleurs, surtout dans le domaine de l’inégalité majeure du temps de travail et de sa nécessaire réduction.

Aujourd’hui, les inégalités sociales en notre pays sont manifestées par l’apparat de l’État et le standing du personnel politique, et le combat des travailleurs doit se porter sur ce terrain en s’attaquant notamment aux privilèges des élus du peuple qui ne peuvent continuer à cultiver leurs avantages quand ils sont censés représenter un peuple pauvre sans la moindre prime ou le plus banal avantage pour une vie décente.

Les travailleurs aussi, en ce jour de leur fête, doivent interpeller notre classe politique, et à sa tête celle que le peuple a élue, afin que soit adopté au plus vite un texte juridique contraignant instaurant l’austérité dans les allées du pouvoir en vue de les assainir et de mieux servir enfin la Révolution.

Dans la Tunisie révolutionnaire, il ne peut plus y avoir lieu au moindre enrichissement pour activisme politique, car le service du peuple est censé relever du sacerdoce. Ainsi, l’élu au service de son peuple — et pour le moins, en ces moments difficiles pour le pays — doit garder le même train de vie qu’avant; et s’il doit percevoir un salaire, celui-ci ne doit en aucune façon être supérieur à ce qu’il percevait jusque-là. C’est de la sorte qu’on évite d’attirer en politique les profiteurs. Surtout, il ne doit y avoir aucune indemnité et nul avantage pour le service du peuple sauf nécessité impérieuse et absolue dûment prouvée.

On est dans une situation exceptionnelle dont il nous faut prendre conscience et tirer toutes les conséquences. Et ce n’est pas parce que la Révolution tunisienne a été paisible qu’elle n’emporte pas les conséquences nécessaires d’une Révolution classique : la coupure avec un ordre périmé. L’un des aspects de cet ordre est la pratique politique dont l’inspiration est l’idéologie libérale dans ce qu’elle a de plus honteux : un laisser-faire de la loi du plus fort économiquement et un laisser-aller aux abus de toutes sortes afin de s’assurer le profit le plus grand à tout prix.

Or, même si cela convient à certains, y compris au gouvernement, il ne convient nullement à la majorité de notre peuple, et il est impératif de rompre au plus vite avec pareil vestige du passé ayant nourri ses maffias.

Pour la rénovation de notre pratique politique :

Il est vrai qu’en Tunisie, réputée par sa douceur de vivre et sa tolérance, on ne coupe pas les têtes ni on n’y élève des potences; mais la modération tunisienne ne doit pas empêcher d’y couper les privilèges dans le service de l’État et d’y élever les bûchers aux vanités dans la haute Administration publique. Il suffit donc de s’attacher aux honneurs factices et de se gaver de lâches faveurs !

Quand on prétend servir la patrie, l’honneur de son service est suffisant; et il ne peut revenir aux vaniteux en ce pays. La marque du patriote véritable doit être non pas l’appartenance à un parti ou l’affichage d’une idéologie, mais sa disponibilité totale et entière à servir le pays sans rétribution ni privilèges. Et qu’on se le répète : on ne peut plus désormais se prétendre révolutionnaire si l’on ne sert pas son pays sans aucune rétribution, indemnité et avantage, à part l’honneur de le servir.

Que le 1er mai soit donc une fête véritable du travail humble ! Que le pays abolisse enfin les privilèges qui pourrissent la vie politique et qui y sont indignes eu égard à l’état de notre société pauvre et endettée.

Innovons en travaillant à la Révolution tout en fêtant le Travail ! Renouvelons l’exercice politique en notre pays pour qu’il soit une pratique révolutionnaire en décrétant le principe du bénévolat pour le service du peuple dans le cadre d’une nécessaire austérité devant caractériser le pouvoir et ses représentants, et ce tant que la majorité du peuple n’aura pas cessé d’être pauvre.

Parallèlement, et si on veut aller jusqu’au bout dans la preuve de notre patriotisme et notre esprit révolutionnaire, agissons aussi en vue de faire du 1er mai la fête du travail pour les libertés publiques en décidant l’abrogation immédiate de toutes les lois liberticides toujours en vigueur en notre pays bien qu’héritées de la dictature déchue. Le 1er mai 2013 sera bien ainsi une fête du Travail, le travail comme action révolutionnaire pour la moralisation de la vie publique et pour la consolidation des libertés du peuple par une rupture définitive avec l’arsenal obsolète de l’ancien régime honni.

Que les vrais révolutionnaires soient alors au rendez-vous du 1er mai pour réactiver l’esprit révolutionnaire en allumant à nouveau la flamme de la Révolution ! En effet, aussitôt allumée, elle a été éteinte par le dogmatisme des uns, le conservatisme des autres et le conformisme de la majorité de la classe politique incapable de sortir des sentiers battus de la politique à l’antique pourtant mise au rencart par le peuple.

Mais le peuple porte toujours en lui sa Révolution, dans l’écrin de sa volonté désormais indomptable. Qui sera donc avec lui en cette fête du Travail ? Qui sera révolutionnaire en ce 1er mai 2013 ?

Farhat OTHMAN