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La violence, aujourd’hui, s’est fortement renouvelée dans les significations de ses expressions les plus concrètes, et nous insisterons ici, pour l’essentiel, sur les changements qui l’informent depuis la Révolution Tunisienne.

L’idée d’un nouveau paradigme est donc confortée par l’examen des changements qui renvoient aux significations, aux perceptions et aux modes d’approche de la violence. Elle n’est pas pour autant totalement établie ou démontrée, ne serait-ce qu’en raison des inflexions et des renversements de tendance qui peuvent toujours survenir dans une évolution historique. C’est pourquoi elle appelle des investigations complémentaires, à commencer par celles qui peuvent porter sur les changements relatifs aux principales sources de la violence.

Il est classique, dans l’analyse de la phénoménologie du comportement violent, de distinguer des niveaux, mais depuis quelques années, beaucoup de spécialistes commencent à parler de la montée de la violence au nom du sacré.

Cette idéologie de la violence messianique est revendiquée par des groupes radicaux religieux qui en usent pour dénoncer le caractère « impie » de la société. À cet égard, les mécanismes de fabrication de l’ennemi sont assez proches de ce que l’on trouve dans les idéologies totalitaires, tel que le culte du chef infaillible (Amir Al-Jama’a), l’identification d’ennemis globaux soutenus par ce qu’ils appellent « les traitres de l’intérieur » et le processus de dénonciation-épuration réguliers.

Ainsi, l’autre devint un ennemi diabolisé voire ratifié ; et le sentiment de détenir la vérité cachée des choses donne la certitude d’appartenir à un groupe « élu » légitimant une nouvelle forme d’inquisition. Pour ces groupes d’extrémistes, les « autres » ne sont pas définis politiquement mais par des termes agressifs tel que : « hypocrites », « apostats » ou encore « hérétiques ».

Il s’agit d’une violence au sein de laquelle le symbolique importe autant que l’objectif stratégique, ce qui nous amène à dire que la violence pour ces sectesest vécue comme un acte purificateur, comme on le constate dans les attaques contre le patrimoine mondial tel que le cas des sanctuaires des saints à Tombouctou ou encore dans la destruction des statues des Bouddhas de Bâmiyân, en 2001.

En effet, la violence religieuse infligée à la société civile prend souvent le caractère d’une cruauté choquante. Le djihadiste qui s’autoproclame serviteur de Dieu se lance dans une guerre totale contre ceux qu’il considère comme ennemis de la foi. En d’autre terme, le djihadiste se montre impitoyable avec ceux qu’il considère comme hétérodoxeou commeennemis de la norme théologique.

L’acte offensif a pour enjeu le terrain moral qui veut montrer la supériorité spirituelle de ses combattants, le terrain psychologique qui veut démontrer la faiblesse de l’adversaire et le terrain religieux par des promesses eschatologiques.

Actuellement, ce que nous observons dans la violence pratiquée au nom de la religion est d’abord la vengeance d’un individu ou d’un groupe qui réagit contre un ordre défavorable ; cette violence est aujourd’hui chargée de réparer le préjudice par le sang ! Dans cette démarche, on peut remarquer l’absence de la piété car la violence apparaît plutôt comme un mode de socialisation d’une catégorie en marge de la société. C’est la raison pour laquelle lorsque l’État répond lui aussi par la violence, il déclenche un cycle infernal qui ne peut se rompre qu’avec l’épuisement de l’une des deux forces.

La violence vécue sur l’Agora est révélatrice d’une résistance au changement pour contester l’influence culturelle, sociale et politique de la philosophie de la pluralité et de la démocratie. La bataille contre les « autres» trouve dans les derniers attentats de Djebel Châambi un prolongement paroxystique qui provoque une fracture y compris parmi les islamistes, dont la majorité continue à agir en utilisant le temps comme outil stratégique pour parvenir à leurs fins. L’extraordinaire violence générée depuis l’assassinat du leader Chokri Belaïd a désorienté de nombreux penseurs qui se sont penchées sur la question pour tenter de trouver une issue à ce fléau.

Considérons, à la suite d’Alain Finkielkraut, que la modernité relève d’un dualisme sous tension entre la raison et la culture, entre le monde objectif et le monde de la subjectivité, entre la rationalisation et la subjectivation . Dans cette perspective, la Tunisie postrévolutionnaire peut être appréhendé comme soumis à des risques croissants de déchirement entre les deux pôles qui définissent notre quotidien.

D’un côté, le monde de la Raison, de la technique et de la science, de l’autre celui des identités communautaristes ou sectaires ; d’un côté, le règne de la tolérance, de l’égalité et de la liberté, de l’autre celui des cultures malmenées ou agressives, de l’arbitraire et de la superstition.

De ce point de vue, la violence actuelle peut être analysée comme un vaste ensemble d’expériences qui, chacune à sa manière, traduisent le risque d’un éclatement sociale. Et, dans ces déchirements, une hypothèse première mériterait d’être explorée : celle d’un éclatement des espaces politiques et d’une distorsion du spectre général de la violence à partir de ses dimensions politiques.

Ainsi, la violence matérielle et immatérielle reste couramment installée au niveau social ; mais nous devons être sensible aux dimensions qui font qu’elle se complète, plus peut-être qu’auparavant, par des formes qui la débordent par le bas et par le haut. Depuis presque une année, la violence politique, mettant en cause l’existence de l’État moderne, revêtait en effet une importance considérable. Sans base sociale réelle, ce « radicalisme » relevait de projets de prise du pouvoir d’État.

Il existe certes, aujourd’hui comme hier, de nombreuses et importantes expériences de violence politique dans notre histoire contemporaine ; mais une tendance non négligeable est à l’œuvre ce qui déplace le phénomène vers des orientations d’une part infra-politiques, d’autre part métapolitiques. Certes la forme de résistance, juridique, politique et étatique à la violence constituera une alternative efficace et puissante à cette nouvelle « doctrine offensive » aveugle et coûteuse à long terme. Des stratégies politico-culturelles s’imposent pour retracer des chemins rassurants afin de protéger notre contrat social et notre « Tunisianway of life ».