Partenariat-mobilite-UE-Tunisie

Il n’a échappé à personne que le 3 mars dernier un partenariat de mobilité a été signé entre la Tunisie d’une part, l’Union Européenne (U.E) et les Etat membres participants de l’U.E à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, la France, la Pologne, le Portugal, le Royaume Uni et la Suède. Tel que signalé, ce partenariat de mobilité vise « une meilleure gestion de la circulation des personnes » entre les deux rives de la méditerranée. Tel que résumé dans la plupart des médias, ce partenariat prévoit une facilitation d’obtention de visas pour les Tunisiens et une meilleure lutte contre la migration irrégulière. Qu’en est-il réellement ?

Le cadre légal 

Il est rappelé dans le dit partenariat que celui-ci découle des accords euro-méditerranéens d’association entre la Tunisie et l’U.E, entrés en vigueur en 1998 et du plan de partenariat privilégié, bien que l’idée d’un partenariat de mobilité n’ai réellement vu le jour, dans sa forme actuelle, qu’en 2007. Tel que mentionné dans ces deux plans d’actions, le contrôle de la migration est un principe affirmé à de nombreuses reprises comme suit :

  • «  Faciliter la mobilité et la circulation des chercheurs et personnels impliqués dans les actions de collaboration scientifiques et technologiques tuniso-européennes. »
  • « Promouvoir la participation de la Tunisie aux programmes de soutien à la réforme du système d’enseignement supérieur et de partenariat et de mobilité universitaire existants et aux futurs programmes européens dans ce domaine »
  • « Renforcement des programmes de co-diplômes et de cotutelles des thèses entre la Tunisie et les pays de l’UE et favoriser la mobilité des étudiants, enseignants et chercheurs »
  • « Soutenir le développement d’un système de certification facilitant la reconnaissance des qualifications et favoriser la mobilité, le développement de carrière et l’employabilité; »
  • « Soutien de l’UE à la Tunisie pour le développement et la mise en œuvre d’une législation nationale, ainsi que pour le renforcement des capacités d’une administration spécialisée dans le domaine de l’asile, y compris à travers la mise à disposition de conseil, formation et appui technique. »
  • « Développer des actions de prévention de l’immigration illégale notamment à destination des groupes les plus vulnérables et ce notamment par la mise à disposition d’un appui, y compris européen visant à favoriser le co-développement, la création des moyens de subsistance et d’emploi et l’amélioration des conditions et cadres de vie dans les régions à forte pression migratoire »
  • « Coopérer dans le domaine de la migration, de la mobilité et de la sécurité Développement d’un Dialogue sur la migration, la mobilité et la sécurité ayant pour but de conclure un Partenariat pour la Mobilité. Mise en œuvre des mesures qui seront prévues au titre du Partenariat pour la Mobilité »

Bien que le partenariat de mobilité, en tant que tel, ne soit pas juridiquement contraignant, il le devient indirectement à travers le plan de partenariat privilégié qui pose le socle de cette réforme comme une des conditions à l’obtention d’aides financières présentes et à venir. En d’autres termes, au vu de la situation quelque peu titubante de l’économie tunisienne, une forme de chantage « argent contre réformes » est affirmé.

Aussi, dans un cadre de coopération, de dialogue et de réciprocité, cet accord prévoit-il plusieurs volets :

Mobilité, migration régulière et intégration

Tel que prévu par le partenariat de mobilité, la simplification des procédures d’accès au territoire de l’Union Européenne est le gage le plus profitable à la Tunisie, bien qu’entouré de quelques zones d’ombres. En effet, seuls les séjours de courtes durées seront inclus dans cet accord. En sont donc exclus les tentatives de regroupement familial ou tentatives d’établissement sur le territoire européen.

Par ailleurs, est aussi prévu la facilitation pour « certaines catégories de personnes » sur la base de directives arrêtées par le Conseil. Le Conseil n’ayant pas encore définies ces catégories, une question peut donc se poser quant aux fins de cette facilitation. Se baseront-elles sur des critères économiques ? Sociaux ? Professionnels ? Un élément de réponse est apporté dans l’accord qui prévoit une étroite collaboration entre les agences d’emplois des Etats membres de l’UE et de la Tunisie en matière d’employabilité et de mobilité professionnelle « temporaire et efficace ».

Concernant les diplômés de l’enseignement supérieur, une meilleure certification des diplômes Tunisiens conformément à la certification communautaire doit avoir lieu et ce afin de donner un meilleur accès aux études dans les pays membres de l’U.E.

De plus, une politique d’intégration réciproque doit être mise en place pour les ressortissants en situation régulière. Cette politique d’intégration s’appliquera, tant aux tunisiens résidant à l’étranger qu’aux résidents de pays tiers en Tunisie. La question de la politique d’intégration est un domaine vaste et sensible dans plusieurs pays membres de l’Union Européenne, lesquelles ne sont toujours pas arrivé à un consensus sur les moyens à mettre en œuvre. L’exemple français en est une preuve concrète.

Enfin, la « portabilité des droits de sécurité sociale » y est prévue, laquelle est une innovation permettant aux travailleurs tunisiens d’en jouir dans leurs pays d’accueil. Cependant, cette portabilité est soumise à la conclusion d’accords bilatéraux dont le cadre général sera défini par le Conseil Européen.

Lutte contre la migration irrégulière et traite des êtres humains, réadmission des migrants, sécurité des documents d’identité et de voyage, gestion des frontières

Dans le cadre du partenariat de mobilité, la lutte contre la migration irrégulière occupe une part conséquente. En effet l’U.E dotera la Tunisie de moyens nécessaires (équipements, matériaux et expertises), afin de mieux contrôler ses frontières. Pour ce faire les capacités des autorités tunisiennes seront renforcées, notamment en matière de lutte contre la corruption, mais surtout dans la détection, le démantèlement et la poursuite des structures à l’origine de cette migration irrégulière qualifiée dans l’accord comme « criminelles ». Tel est déjà le cas dans le cadre du projet FRONTEX. Par ailleurs, une coopération sera menée sur la surveillance et le sauvetage en mer avec l’intégration et la participation de la Tunisie au réseau méditerranéen SEAHORSE sur la base du modèle déjà appliqué au Maroc. De plus, une procédure de réadmission des migrants irréguliers doit être effective, à travers un renforcement des procédures de délivrance des documents de voyages et d’identités. Ce même renforcement étant prévu afin de rendre plus difficile la falsification et la duplication illicite des dits documents.

Enfin une assistance aux victimes de traites d’êtres humains (ici assimilés donc aux migrants irréguliers), de nationalité tunisienne ou autres appréhendés sur le territoire de l’UE, doit être fournie ainsi qu’une réintégration « socio-économique ». La forme de cette assistance n’est pas spécifiée et laisse ouverte au Conseil Européen les modalités de cette assistance, bien qu’elle spécifie une réintégration « socio-éducatives » des mineurs. En d’autres termes, tous les ressortissants tunisiens ou pas, en situation irrégulière, seront reconduits en Tunisie qui aura à charge leur réintégration dans sa société. Un programme dans ce sens a déjà été établi au profit des migrants irréguliers Egyptiens et Libyens. Gageons qu’il en sera de même au profit des migrants tunisiens.

Migration et développement

Les communautés tunisiennes à l’étranger doivent jouer un rôle prépondérant dans le développement mais aussi dans la migration. Selon l’Office des Tunisiens à l’Etranger (OTE), il y’a en 2012, 1.223,213 tunisiens établis à l’étranger dont 1.033,414 (soit 84,5%) en Europe. Ces communautés aux termes du partenariat, doivent être renforcées et valorisées, afin de contribuer, à leur retour, au développement économique et social, à la suite des compétences acquises à l’étranger. Précédant leur potentiel retour, la mise en place d’un dispositif légal permettant une réduction des coûts de transfert de fonds des tunisiens à l’étranger doit voir le jour. Cette législation permettra d’encourager un investissement productif. Selon l’OTE, en 2012, un transfert de 3539 millions de dinars de la communauté tunisienne à l’étranger a été observé.

En outre, est prévue une assistance aux autorités tunisiennes en matière d’aide au retour volontaire des migrants légaux, en développant un système de réinsertion professionnelle et sociale de qualité. Enfin, un programme d’appui aux personnes vulnérables (enfants et personnes âgées) impactés par la migration doit se concrétiser.

Asile et protection internationale 

Etant donné le vide juridique entourant le droit d’asile, une collaboration est prévue entre les autorités tunisiennes et européennes afin de développer le volet législatif en la matière, conformément à la convention de Genève de 1951 et de son protocole additionnel de 1967. Une fois le cadre législatif posé, la création d’une instance administrative garante de son application devra se mettre en place. Le principe de non refoulement aux ressortissants des pays tiers doit être appliqué par la Tunisie qui devra fournir à ces ressortissants toutes les protections nécessaires. En liant ce principe à celui de la lutte contre la migration irrégulière (voir plus haut), la Tunisie sera amené, non seulement à recevoir les ressortissants des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, conformément aux accords de Cotonou de 2000, mais aussi à leur conférer la protection nécessaire et une intégration dans la société.

Ici se pose la principale crainte de nombreuses associations. A la suite de la révolution Libyenne, plusieurs réfugiés se sont établis en Tunisie et dont les droits ne sont pas encore garantis, n’ayant pas de permis de séjour et étant dans l’impossibilité de circuler ou de se réinstaller ailleurs, et n’ayant pour seule solution que d’immigrer illégalement au péril de leurs vies, de l’autre coté de la méditerranée. Dans ce contexte, ces associations appellent l’Assemblée Nationale Constituante à ne pas ratifier l’accord en question.

En effet, le droit des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asiles ne seront pas forcement respectés dans le pays d’accueil. L’exemple marocain en témoigne. Tout dépendra donc des moyens mis en œuvre par les autorités tunisiennes et de la volonté politique de respecter ses engagements internationaux en la matière.