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Source : loqmanvues.

Sommes-nous condamnés à crouler sous les déchets que nous produisons ? La mauvaise gestion des déchets solides et ses retombées sur l’environnement impacte, plus que jamais, notre quotidien. Avec une population de 10,9 millions, dont 7 millions vivent en zone urbaine, la Tunisie génère environ 2,5 millions de tonnes/an de déchets ménagers et assimilés (DMA). Ce qui est énorme. En réalité, le cadre juridique et institutionnel relatif au secteur s’avère insuffisant pour un développement durable, sur le moyen et le long termes.

Ainsi, un rapport de la Sweep-net relève que « le découplage entre les services de collecte par les municipalités et le services d’enfouissement par l’ANGED est peu propice pour une gestion intégrée et durable des déchets ». Cette approche intégrée s’impose d’urgence pour gérer le problème des ordures, qui s’est aggravé, au lendemain du 14 janvier 2011, avec le laxisme des services de collecte et la contestation par les citoyens des installations de traitement et des décharges contrôlées.

Mais, alors que les institutions tardent à enclencher des solutions viables, les « barbéchas » (les chiffonniers) pourraient venir au secours de la salubrité de nos villes. En effet, si les barbéchas, ces marginaux qui fouinent dans les poubelles et récupèrent nos rebuts, entrent dans un système intégré, opérationnel et durable, ils pourraient améliorer la Gestion des Déchets Solides (GDS), aux niveaux local et national. C’est ce que propose la GIZ (la Coopération allemande au développement), dans le cadre de son projet Sweep net, réseau régional d’échange d’informations et d’expertises dans le secteur des déchets solides, dans les pays du Maghreb et du Machreq.

En mettant en œuvre une stratégie d’Intégration structurelle du secteur informel pour la gestion des déchets solides municipaux, la GIZ s’est fixée deux objectifs généraux : tout d’abord (1) la lutte contre la pauvreté et surtout (2) la contribution à l’assainissement des villes.

Notre projet vise à atteindre deux objectifs fondamentaux, tout d’abord l’amélioration de la situation de vie et de travail des barbéchas, et puis l’amélioration de la gestion des déchets au niveau municipal, affirme Julia Koerner, chargée de la communication et du suivi des projets de Sweep-net.

L’intégration structurelle des barbéchas dans la gestion des déchets municipaux entre dans un cadre de formalisation de ce secteur. Légalement parlant, les collecteurs des déchets doivent avoir une patente, mais, concrètement, on ne peut pas les forcer à en avoir, étant donné qu’ils auront à gérer des exigences financières et fiscales qui les dépassent.

Les barbéchas sont tellement hésitants à propos de la patente. On essaye, en fait, de trouver des alternatives légales pour une formalisation complète,poursuit Julia Koerner.

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Cette proposition a été avancée en janvier 2014. Depuis, la GIZ a fait appel au savoir-faire de spécialistes rôdés dans ce domaine, en l’occurrence les experts de la RWA (Resources and Waste Advisory Group). Cette tâche est menée en coopération avec l’Agence National de Gestion des Déchets (ANGED), qui est son partenaire principal, avec l’assistance du ministère de l’Environnement et du Développement durable et du ministère de l’Agriculture, et l’intervention des ONGs et des médias.

A la fin du mois d’avril 2014, les experts se sont installés sur les lieux, avec pour mission d’enquêter et d’analyser le secteur. Ils se sont déplacés, ensuite, vers les quartiers et les municipalités pour rencontrer les barbéchas et cerner leurs besoins, leurs problèmes et leurs visions.

Au début, ce n’étaient pas évident de contacter les barbéchas, car, ils étaient méfiants et embarrassés. Il faut comprendre, aussi, que ces ramasseurs de déchets sont discriminés, socialement, harcelés par la police et rejetés par les citoyens. Donc, il y avait, vraiment, des tensions entre eux, d’une part, et les associations publiques et les citoyens, d’autre part. Mais grâce à l’aptitude et à la persévérance des membres de l’équipe de travail et leur maitrise de la communication avec ces gens, nous avons réussi à leur expliquer la finalité de ce projet, qui est justement dans leur intérêt, raconte Julia Koerner.

Selon le rapport-diagnostic, les problèmes essentiels que rencontrent ces personnes se résument en l’absence d’une couverture sociale et de retraite, le risque sanitaire et d’accidents, l’arrêt de la scolarité et le travail des enfants, l’absence de soins préventifs, l’absence de délimitation de zones de collecte, le manque de moyens financiers et donc de matériels et le risque de ne plus pouvoir trouver et vendre des déchets valorisables.

L’équipe de consultants s’est intégrée dans les quartiers afin de contrôler le circuit et le système local. Avec le temps, elle est parvenue à affecter un groupe de barbéchas aux municipalités en question, qui fonctionnent, actuellement, comme vis-à-vis du GIZ. On a commencé par choisir deux municipalités pilotes, à savoir El Mnihla et La Marsa. Ces deux communes étaient les mieux désignées par rapport aux critères de sélection fixés. En effet, il y a une inégalité notable entre les budgets des municipalités en Tunisie, mais là on a fait le choix de deux municipalités qui ont des fonds très différents, la Marsa a un budget appréciable et El Mnihla a un maigre budget; et cela, dans le but d’évaluer ce projet pilote, aussi bien économiquement, que socialement,affirme la chargée de communication.

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Discussion organisée par la GIZ du projet sur l’intégration du secteur informel dans la gestion des déchets pour les deux municipalités pilotes, la Marsa et Ettadhamen-Mnihla. Source de laphoto: la page facebook de GIZ Tunisie.

Le projet a été lancé officiellement à la fin du mois d’avril 2014. En juin et juillet 2014, un rapport-diagnostic a été réalisé.

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Le circuit des barbéchas est très compliqué. Il y a ceux qui bénéficient de patente, mais la majorité n’en bénéficie pas. Généralement, ce sont les recycleurs privés qui traitent avec les barbéchas, puisqu’ils peuvent avoir des conventions dans un cadre légal, comme avec l’ANGED, par exemple. Les recycleurs assurent aux barbéchas des points de collectes locaux, ce qui leur facilite la tâche et leur garantit la matière première, nous explique Julia.

La récupération informelle des déchets est, évidemment, illégale. Selon la loi, le secteur informel étant l’ensemble des activités irrégulières dont l’exercice échappe aux normes fiscales, à la législation du travail et au droit commercial. La GIZ est, donc, intervenue dans le but de trouver un cadre de reconnaissance professionnelle et sociale pour cette activité. En effet, organisée en métier, cette activité peut contribuer, efficacement, à la protection de l’environnement, tout en favorisant l’économie verte, et réduire, effectivement, le taux de pauvreté. En outre, ce projet vise au développement social des barbéchas, qui font partie de la catégorie la plus démunie de la société et qui n’ont pas d’autre alternative pour survivre.

La Coopération Allemande au Développement s’emploie à introduire le métier des barbéchas dans le jargon de l’UTICA. Car leur reconnaissance est une phase importante dans ce projet. S’ils sont acceptés par les citoyens et enregistrés aux municipalités, ils auront une fonction, même si ce n’est pas, tout à fait, un emploi. Mais ils auront, malgré tout, un « statut » bien déterminé.

Nous voulons faire avec leur approche, sans changer leur stratégie. Nous tenons juste à améliorer les conditions-cadre de ce boulot parce que si on veut, vraiment, augmenter le taux de recyclage, qui est notre but environnemental fondamental, nous devons leur permettre d’accéder aux micros crédits, ils pourront, alors, certainement, augmenter le taux de recyclage, assure Koerner.

Pour cela, la GIZ a instauré un dialogue, à l’échelle nationale, avec les ministères, les institutions et les acteurs concernés, y compris la société civile qui joue un rôle important au niveau local. En plus, le site Sweep-net s’ouvre à un échange d’informations et d’expériences entre les pays du Maghreb et du Machrek.

En fait, ce projet pilote apporte de l’eau au moulin des municipalités. Un rapport de la Banque Mondiale, intitulé What a Waste: A Global Review of Solid Waste Management, relève que « dans les pays à faible revenu, la gestion des déchets représente souvent le plus gros poste budgétaire pour les municipalités, et ce secteur est l’un des employeurs les plus importants. Une ville qui ne parvient pas à gérer efficacement ses déchets est rarement capable de gérer des services plus complexes, comme la santé, l’éducation ou les transports. L’amélioration de cet aspect est l’un des moyens les plus efficaces de renforcer la gestion municipale dans son ensemble ».

L’intégration et la sensibilisation des barbéchas est une opportunité pour diminuer la pression financière et améliorer la gestion des déchets au niveau local. Cette activité pilote contribue, automatiquement, à une collecte porte à porte, et donc au processus de tri sélectif des foyers. Les autorités locales pourront, ainsi, installer un intermédiaire avec les citoyens et tous les partenaires pour garantir la propreté des zones visées et l’augmentation du taux de recyclage.

En outre, cette stratégie ne nécessite pas de grands fonds financiers, ce qui présente un avantage de taille pour les municipalités.

On a beaucoup travaillé sur la durabilité de cette approche. Au cas où cela marche, correctement, dans ces zones pilotes, on compte la dupliquer dans d’autres zones. C’est vrai que c’est un projet financé par la coopération allemande, mais les activités pilotes ne demandent pas beaucoup d’argent, conclut notre interlocutrice.

En attendant la réévaluation de ce projet en mai 2015, on signalera la signature de la charte de constitution du Réseau National de la Gestion des Déchets « WAMA Net », le 13 novembre dernier, à Tunis, par la Fédération Nationale des Villes Tunisiennes (FNVT) et le programme de renforcement des structures municipales « CoMun – Coopération des Villes et des Municipalités au Maghreb » de la coopération allemande GIZ. Cette charte officialise le réseau constitué de 20 municipalités tunisiennes, de Bizerte à Ben Guerdane, qui ont élaboré ou élaborent leurs Plans Communaux de Gestion des Déchets (PCGD). Ce réseau est géré et modéré par la Fédération Nationale des Villes Tunisiennes (FNVT) dans le cadre de sa mission de représenter les intérêts des municipalités, de consolider l’intercommunalité et de fournir un appui à ses membres