Nadia El-Fani. Image  Ester Paredes.
Nadia El-Fani. Image Ester Paredes.

En marge des Journées Cinématographiques de Carthage, une lettre ouverte signée par Nadia El Fani a été adressée à la direction du festival. La réalisatrice controversée accuse le festival de censure et les cinéastes tunisiens de silence à propos de ce qu’elle appelle son « combat contre les obscurantistes ». La cinéaste essaye encore une fois, d’attirer les lumières médiatique, loin du cinéma.

Dans sa lettre, Nadia El Fani accuse le directeur du festival, Ibrahim Letaïef, d’avoir ignoré son film « Même pas peur », grand prix du documentaire au festival Fespaco 2013 et d’avoir censuré sa projection aux JCC. La réalisatrice affirme que « les organisateurs m’avaient contactée pour passer le film en projection spéciale. Ensuite, quand ils reculent, sans doute par peur de la polémique, ils avancent l’argument qu’il est hors délai… Mais quand un festival veut projeter un film en séance spéciale, il peut choisir n’importe quel film de n’importe quelle année, car il ne s’agit pas d’une sélection ».

Ibrahim Letaïef, directeur des JCC, nie en bloc ces accusations. « Elle n’a pas fait l’inscription, obligatoire pour toutes les sections et pour tous les réalisateurs. Si nous sommes dans cette logique de censure de films à polémique, nous ne projetterons pas le film « Much Loved » aussi controversé que le film de Nadia ». Ltaief rappelle que « Nadia sait très bien combien nous avons été solidaires et présents à ses cotés contre les extrémistes » avant d’ajouter que le festival a invité la cinéaste pour « s’intégrer à nouveau dans le milieu du cinéma tunisien ».

Après la polémique de son film, « Ni Allah ! Ni maître ! », en 2011, Nadia El Fani réalise un documentaire « Même pas peur» sur la même problématique : laïcité VS islam politique. Dans ce film, elle raconte son double combat contre le cancer du sein et contre les extrémistes « qui ont poussé à la censure de ses films en Tunisie », d’après elle.

La polémique « Ni Allah ! Ni Maître ! »

« Ni Allah ! Ni Maître ! » changé en « Laïcité Inch’Allah ! » est un documentaire où la réalisatrice s’interroge sur la place de la religion dans la vie quotidienne. « Audacieux » disaient les uns,« provocateur> » disaient les autres, la polémique autour de ce documentaire avait marqué les débuts de la polarisation de la Tunisie entre « progressistes » et « conservateurs ».

Fin avril 2011, lors de la clôture des JCC, la projection de « Ni Allah ! Ni maître ! » passe, presque, inaperçu. Après la diffusion d’un reportage sur la chaîne privée Hannibal TV, la polémique éclate. Indignations, critiques et menaces de mort jaillissent de tout bord, non pas pour le contenu du film mais pour son titre et les propos de la réalisatrice avouant son athéisme.

Le 27 juin 2011, un groupe se réclamant du salafisme attaque la salle du cinéma « Africa » lors d’une projection du documentaire en signe de soutien à la cinéaste. En plein centre de la capitale, à quelques mètres du ministère de l’Intérieur, le petit groupe fanatisé agresse les spectateurs, malmène le directeur de la salle et saccage les lieux. Les agresseurs ne sont pas inquiétés et la salle du cinéma ferme ses portes à tout jamais.

Juste après cette attaque, quatre avocats, Raja Haj Mansour, Ahmed Ben Hassana, Monem Turki et Imed Saadia, portent plainte contre la réalisatrice pour blasphème, atteinte à la pudeur, appel à la haine contre les religions et atteinte à la personne de Dieu. Raja Haj Mansour, a été rayée du bureau des avocats, en mars 2013, après avoir qualifié les membres du Front Populaire de « mécréants ». Monem Turki, avocat et animateur à la chaîne Zitouna TV, s’est rendu célèbre pour avoir déchiré en directe une décision de la HAICA contre sa chaîne.

Dans son dernier film, Nadia El Fani reprend tous ces événements ainsi que d’autres pour croiser un récit à la première personne avec l’histoire récente du pays. Des extraits de l’agression de l’Africa avec son groupe d’excités mimant le signe de l’égorgement, ou des extrait de la campagne électorale de 2011 où Rached Ghanouchi accuse la cinéaste d’hostilité à l’islam mêlés à des images de séances de chimiothérapie. Nadia El Fani utilise le discours direct et ne craint pas de tomber dans la métaphore facile : le propre combat de la cinéaste contre la maladie EST le combat de la Tunisie contre l’obscurantisme.

Malgré la tempête médiatico-judiciaire, la réalisatrice est libre de ses mouvements selon Ghazi Mrabet, l’un de ses avocats. Elle est rentrée cette année en Tunisie sans qu’elle soit inquiétée par la justice. Rappelons qu’elle est soutenue par un nombre considérable d’associations et d’avocats. On peut se demander sur l’utilité d’une telle victimisation alors que la réalisatrice possède une des armes les plus redoutables : le cinéma.