« Prestige de l’Etat », le concept est signé Béji Caïd Essebsi. Il l’adore et le répète à tort et à travers depuis son retour en scène politique en février 2011, durant sa présidence de Nida Tounes et même après son élection à la fonction de chef de l’Etat. Ce concept prôné par Caïd Essebsi se focalise sur le paraître et en fait une priorité. Exit l’Etat de droit. Le plus important demeure l’image de l’Etat, sa perception par les autres et non pas sa capacité à garantir aux citoyens leurs droits et à protéger leurs libertés. Une conception où l’Etat ne gagne pas la légitimité d’exercer son autorité en remplissant ses fonctions et ses devoirs auprès des citoyens. Il a de l’autorité sans conditions, ni obligations. Et l’autorité est belle. Donc, elle doit avoir du « prestige ».

La visite du président de la République à Sousse, le 04 octobre, rappelle son souci de l’image et l’adoption totale de cette valeur par ses partisans. Drôle de sens des priorités. La ville, une des trois les plus dynamiques du pays, se retrouve paralysée avec des artères bloquées et des services publics inaccessibles. Les élèves ont quitté les bancs des écoles à la demande de la délégation régionale du ministère de l’Education pour aller applaudir le président. Le chantre du « prestige de l’Etat » s’y est rendu pour célébrer l’inauguration des laboratoires d’Unimed, propriété de son camarade de Nida Tounes, Ridha Charfeddine, le député le moins assidu de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Une question d’appartenance partisane mais aussi familiale puisque Hafedh, le fils de Béji Caid Essebsi, dirige actuellement  le parti représenté par Charfeddine à l’ARP.

« Prestige de l’Etat », dites-vous ? Plutôt, démonstration sans vergogne du clientélisme et du népotisme qui le rongent. Confrontée aux faits, cette vitrine mensongère vole aux éclats. L’Etat se porte mal. En témoigne ce qu’il a récemment entrepris en matière de lutte contre la corruption et de projets de réforme sociétale. Il doit recourir à des moyens tordus pour mener sa « guerre contre la corruption ». Compromission de sa justice oblige. Il doit créer des commissions sans fondement légal pour ses réformes sociétales. Inefficience de son instance législative oblige. D’ailleurs, celle-ci est quasiment réduite à un instrument du pouvoir exécutif. Le processus de démocratisation de l’Etat se porte aussi mal. Statisme au niveau de l’implémentation des institutions de gouvernance locale. Les élections municipales prévus pour le 17 décembre 2017 ont été reportées. Il a fallu trois semaines pour fixer une nouvelle date, celle du 25 mars 2018. Et le principal responsable est l’ARP, incapable de combler le vide au sein de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) et inapte à traiter avec la rapidité nécessaire le projet de loi du Code des Collectivités Locales (CCL). Une performance « prestigieuse » !

Ce même Etat dont le chef revendique tant de « prestige » a des préoccupations indignes. Fouiller les anus de ses citoyens, par exemple. Résolu à abolir le test anal servant à définir les orientations sexuelles des citoyens, l’Etat, représenté par le ministre chargé des droits de l’homme, dit avoir besoin de 4 ans pour se retirer de l’anus des Tunisiens. On imagine la profondeur de son introspection pour avoir besoin de 4 ans pour quitter les lieux. D’ailleurs, même un flirt à l’intérieur d’une voiture après quelques verres dans une zone touristique nécessite une intervention de l’Etat et de ses institutions : la police, le ministère public, les tribunaux et les établissements pénitenciers. Chambres à coucher, sièges de voitures, anus, l’Etat est finalement partout là où il ne doit pas être. En même temps, il est peu présent là où il doit être. Et ça n’a rien de prestigieux.