Dessin de Tawfiq Omrane pour Nawaat

Le déficit budgétaire, tel que prévu dans la loi de finances 2022, s’élève à 8,548 milliards de dinars. Les recettes étant nettement inférieures aux dépenses, l’Etat est incité à chercher des solutions à court-terme. Et une fois de plus, le recours à l’endettement extérieur est présenté comme étant l’unique solution. Des rounds de négociations se tiennent depuis le début de l’année avec le Fonds Monétaire International (FMI), pour signer un éventuel accord de financement. Pour les différents gouvernements successifs, le recours à l’endettement s’impose, en vue de réduire le déficit budgétaire et payer le service de la dette. Tandis que d’autres acteurs, notamment des ONG, estiment que l’endettement est un choix politique de facilité. De ce fait, ils suggèrent des alternatives pour sortir de la spirale de l’endettement.

A la fin de l’année 2021, des associations locales et internationales, dont le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), Al Bawsala et Oxfam, ont lancé une campagne visant à mettre fin au recours automatique à l’endettement extérieur et à lutter contre les politiques d’austérité initiées par l’Etat. La campagne a publié une pétition dans laquelle elle définit les lacunes des politiques mises en œuvre par les gouvernements consécutifs :

Pour sortir de la crise, les gouvernements précédents se sont appuyés sur l’emprunt comme solution pour combler le déficit, et sur l’austérité pour payer le service de la dette, mettant en avant les intérêts des créanciers au détriment de l’intérêt des Tunisiens et des Tunisiennes, victimes de l’augmentation des taux de pauvreté et de chômage,

indique le document.

La dette en chiffres

D’après le rapport du ministère des Finances relatif aux « résultats provisoires de l’exécution du Budget à fin Février 2022 », l’encours de la dette publique a atteint 106,3 milliards de dinars. Tandis que la loi de finances rectificative de 2021 a prévu un montant de 101,8 milliards de dinars. Le volume de la dette extérieure est à son tour passé de 62,1 milliards de dinars dans la loi de finances rectificative à 63,4 milliards de dinars.

Le rapport de la dette publique du ministère des Finances (page 16) indique que le volume de la dette a représenté, en juin 2020, environ 80% du produit intérieur brut (PIB). C’est-à-dire que l’argent qu’on emprunte de l’étranger représente 80% de la richesse créée tout au long de l’année.

Concrètement, la crise de la finance publique résulte, entre autres, de la fraude fiscale, de la faible croissance économique, et de l’augmentation du service de la dette extérieure, selon l’observation de Kais Attia, analyste des politiques publiques à l’ONG Al Bawsala. Pour lui, les recommandations du FMI ne permettent pas à l’Etat tunisien de lancer des investissements publics etde créer des projets, d’où la baisse du taux de croissance économique. Selon les chiffres récents de l’Institut National des Statistiques (INS), le taux de croissance a progressé de 0,7% par rapport au premier trimestre de 2021, mais « ce dernier taux est en ligne avec le régime de croissance de l’économie durant les années récentes », note l’institut.

Fraude et évasion fiscale

De plus, les problèmes d’évasion et de fraude fiscales semblent persistants. Ce phénomène concerne principalement les professions libérales. Contrairement aux salariés qui sont soumis à un paiement direct de leurs impôts à travers la retenue à la source, « une grande majorité des contribuables industriels et commerciaux se réfugient dans un régime d’imposition qualifié de forfaitaire qui consiste à une véritable prime à la fraude cautionné par l’Etat », peut-on lire dans le rapport publié par Al Bawsala sur la justice fiscale en Tunisie. Cette frange de la population enregistre un nombre élevé de défaut de déclaration. « 40% du nombre total des redevables de l’impôt sur le revenu au titre de cette catégorie omettent de faire leur déclaration et n’apportent donc aucune contribution fiscale », ajoute le rapport.

D’après les chiffres de l’Association des Economistes Tunisiens (ASECTU), le taux de défaut de déclaration des avocats s’élève à 50%, contre 40% pour les comptables et 18% pour les dentistes et les chirurgiens-dentistes. En somme, les salariés supportent la plus grande part de l’effort fiscal au titre de l’impôt sur le revenu.

Quid des alternatives ?

Pour remédier à la crise financière et économique, l’ONG Al Bawsala préconise l’établissement d’une imposition progressive des revenus à travers la création de nouvelles tranches d’imposition. Actuellement, l’impôt sur le revenu est décliné en cinq tranches variant entre 0% et 35%. La proposition élaborée par ladite ONG prévoit la création de 18 tranches avec un taux d’imposition variant entre 0% et 68%, pour assurer une répartition plus équitable de l’impôt sur le revenu.

En outre, l’augmentation du taux d’impôt sur les sociétés (IS) à 25% et la taxation des « profiteurs de la crise sanitaire », dont les cliniques privées et les sociétés de vente en gros du matériel médical et médicaments, parait selon l’ONG indispensable pour assurer une justice fiscale et alléger le fardeau imposé à la classe moyenne.

Dans la même optique, Al Bawsala recommande l’établissement d’une liste des produits de première nécessité exonérée de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes et l’affectation des recettes de droit de consommation au budget de la santé publique. Le droit de consommation étant une taxe imposée sur certains produits qui sont généralement nuisibles à l’environnement ou à la santé comme le tabac ou le vin, ou les produits de luxe comme les yachts et les bateaux de croisière.

Selon le constat des initiateurs de la campagne « Yezzi ma rhentouna », les politiques publiques établies depuis 1986 à travers le Plan d’Ajustement Structurel (PAS) ont affecté le modèle économique tunisien, qui s’oriente progressivement vers la levée de la compensation, le gel des salaires et la privatisation des institutions publiques. Au final, le rôle social de l’Etat est réduit à la portion congrue, tandis que les mesures préconisées pèsent de plus en plus lourd sur la classe moyenne.