La semaine politique s’ouvrait sur une note insolite. Lundi, le mystère du « 3ème homme » est élucidé. Les effets personnels remarqués sur la table parisienne autour de laquelle se sont assis Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi appartiennent au milliardaire Slim Riahi. La crise politique se « peoplise ».

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Riahi arbitre les playoffs

L’homme d’affaires n’avait donc jamais abandonné la politique. Celui que d’aucuns appellent le Bernard Tapie ou encore le Berlusconi tunisien, c’est aussi un style décomplexé, du lobbying qui s’affiche allègrement. Sur les réseaux sociaux, l’homme peut parader : il se prévaut en quelque sorte d’avoir évité au pays une chute en division d’honneur. Rien que ça.

Pour le Front populaire, l’honneur est sauf cependant : Hamma Hammemi se mue presque en porte-parole du chef de Nidaa Tounes, le temps d’un entretien : « Béji Caïd Essebsi m’a assuré que… », « Béji Caïd Essebsi sait ce qu’il fait »… qui l’eût cru ?

Côté troïka, le message est le même, mais cette fois pour assurer que Rached Ghannouchi n’a pas court-circuité ses alliés : « Il est naturel de dialoguer avec ses adversaires politiques, voire ses ennemis », se justifie Samir Ben Amor lors d’une rencontre avec des citoyens, organisée par l’ONG al Bawsala mercredi.

Il semble que l’étape étant celle de la realpolitik, les idéaux révolutionnaires sont mis en veilleuse.

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Ennahdha, ou l’art de jouer de la sémantique

Acceptera, acceptera pas… Grand cafouillage jeudi lorsqu’à la mi-journée, le chef d’Ennahdha annonce avoir « accepté l’initiative de l’UGTT comme base au dialogue national ». Subtil subterfuge langagier immédiatement sujet à un branle-bas de combat interprétatif par médias interposés.

Dans les jours qui suivent, la complexité des enjeux, explicitée par des membres du Conseil de la Choura plus loquaces, permettra de comprendre rétrospectivement les précautions sémantiques prises par Ghannouchi.

En clair, il s’agit pour les belligérants de s’assurer d’une certaine supervision du processus pré-électoral, crucial pour la suite des événements.

Isolé et traumatisé par le scénario égyptien, Ennahdha n’a pas encore confiance en un gouvernement de compétences potentiellement allié officieux de l’opposition, sous couvert de technocratie. D’où le non renoncement à Ali Larayedh jusqu’à ce qu’une alternative ne se dégage en tant qu’aboutissement des négociations, et non comme « humiliant » prérequis.

Or, le Front du salut national exige comme préalable à toute négociation le renoncement à Larayedh. Résultat : nous sommes en présence d’un authentique non événement dans la mesure où le blocage se poursuit, malgré les effets d’annonce de part et d’autres.

Au milieu de ce flot d’informations, une info passe presque inaperçue. Plus de 2 ans et demi après la révolution, le bloc Ennahdha annonce que le texte de loi relatif à la justice transitionnelle est prêt…

La dernière semaine d’août, décisive… ou pas !

L’inaction n’est qu’apparente cependant. Le gouvernement a discrètement alterné cette semaine la carotte et le bâton. Le 21 août, la présidence du gouvernement se fend d’un communiqué au ton étonnamment ferme : « Il sera fait face sans hésitation ni répit à quiconque s’en prend aux institutions de l’État », peut-on lire sur la page officielle du Palais de la Kasbah.

Contrairement à ce que laisse présager l’intransigeance de ce texte, 72 heures plus tard, un tiers des gouverneurs seront changés ou mutés. Le pouvoir aura ainsi attendu la toute dernière minute, soit le même jour du coup d’envoi de la campagne du « Rahil » samedi, pour tenter de couper l’herbe sous les pieds des contestataires, en procédant de son plein gré à un remaniement partiel dans le corps des gouverneurs.

Un total de 7 gouvernorats est concerné, avec notamment le changement des gouverneurs controversés de Kairouan et de Tunis (Bizerte, Sfax, Jendouba, Zaghouan et Nabeul sont les autres gouvernorats sur la liste). Pour Samir Taieb qui y voit une faiblesse, le gouvernement « a reculé sous la pression exercée par le Bardo ».

Surfant sur cet état de grâce, Taieb lancera sur la tribune du sit-in : « le 31 août, si rien n’est fait pour déloger Larayedh, nous marcherons sur la Kasbah ». Ce sera là le point d’orgue de la soirée du 24, coup d’envoi de la semaine éponyme du Rahil, celle de la radicalité.

Pourtant, la mobilisation semble s’essouffler : 50 000 manifestants samedi selon les chiffres les plus optimistes, soit moitié moins que le 13 août.

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En milieu de soirée, le morceau de Pink Floyd entonné par les haut-parleurs allait céder la place à Fadhel Jaziri, maître d’orchestre. Tout un symbole. Les « pros » de la politique reprennent la main.

Politiquement, cela se traduit par une bataille de chiffonniers entre staffs et autant de clans qui montraient au grand jour des divisions que l’on suspectait déjà. On refuse le micro à Mohsen Marzouk d’abord, qui finira par monter sur scène pour « transmettre les salutations de Béji Caïd Essebsi » finalement absent. Spéculations là aussi sur l’état de santé de l’octogénaire qui revenait de Paris où il subissait des analyses.

Spéculations encore sur les raisons de l’interruption de la retransmission en direct par Nessma TV des « festivités » de cette soirée. Une bagarre éclatera enfin entre un militant Nidaa Tounes et des partisans du Front populaire, ce dont se réjouit la galaxie web du camp pro islamiste, alors que des tracts partisans étaient à nouveau distribués par al Joumhouri, al Jabha et Nidaa.

Ces escarmouches entre l’aile droite et l’aile gauche du Front supposément uni dit du « Salut » laissent augurer d’une aggravation des luttes fratricides, résultat prévisible d’un dénominateur commun a minima et de divergences idéologiques non résolues.

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