A peine deux jours après son adoption à l’ARP, la loi de l’investissement a valu à Béji Caid Essebsi éloges et félicitations de John Kerry. En accueillant le président de la République à New York, le 19 septembre, le secrétaire d’Etat américain a estimé que le vote de la loi régissant l’investissement privé était aussi important que la sécurité régionale, la lutte contre le terrorisme et le développement économique. Important tant par son contenu que par son évolution, le texte de loi est un épisode principal du développement de la politique économique du pays.
Points marqués
La loi de l’investissement a été adoptée, samedi 17 septembre, en présence de Fadhel Abdelkéfi, ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale. Avec 114 voix favorables, 4 voix contre et 16 députés qui se sont abstenus, cette ultime plénière a clos une longue série de 16 réunions en commission de finance, plusieurs concertations en commission des consensus et deux autres plénières. Associations, think tanks et organisations professionnelles ont essayé d’influencer, chacun à sa manière, le débat. C’est notamment sur la résistance des agriculteurs que s’est brisé l’article 5 de la première mouture lequel aurait permis à des personnes et des sociétés étrangères d’accéder au foncier agricole. Le chômage chronique qui sape tout effort de croissance (15,2% en 2015) a par ailleurs contribué au changement de l’article 6 de la première version. Autorisés au début à recruter jusqu’à 10 cadres étrangers, les étrangers ne pourront dépasser plus de 30% de la masse salariale. Dès la quatrième année de l’investissement, les investisseurs doivent diminuer ce pourcentage jusqu’à 10%.
Conflit d’intérêts
Décidément alignée sur les choix du gouvernement, la majorité a rejeté plusieurs amendements et propositions qui auraient rapproché le texte adopté de la réalité économique nationale et des normes internationales en matière de développement durable et de transparence.
Dans l’article 12 qui définit les prérogatives du Conseil supérieur de l’investissement, la loi confère à cette institution la tâche d’évaluer la politique de l’Etat en la matière. Chapeauté par le Chef du gouvernement, le Conseil aura donc à évaluer sa propre politique, ce qui pourrait induire un risque de conflits d’intérêt et une prédisposition à l’autosatisfaction. L’amendement qui a demandé la séparation de l’évaluation de l’exécution a été rejeté, au grand dam de ses porteurs et des experts en évaluation.
Dans un ouvrage dédié à l’évaluation des politiques publiques (EPP) en Tunisie, publié en avril 2016 par l’Institut Arabe des Chefs d’entreprise (IACE), six universitaires tunisiens estiment que l’indépendance des évaluateurs est une condition nécessaire à toute évaluation crédible. Ils mettent en garde contre les conflits d’intérêts, tout en insistant que « l’administration en charge de la mise en place de la politique ne peut être juge et partie ». Ces experts en EPP estiment également que l’équipe en charge de l’évaluation devrait être multidisciplinaire afin d’appréhender le sujet abordé, en l’occurrence l’investissement privé, dans toutes ses composantes (expertise administrative, expertise technique). Or, la nouvelle loi a réduit la composition du Conseil au Chef du gouvernement et aux ministres impliqués dans l’investissement. L’amendement qui a appelé à ouvrir les délibérations aux ministres en charge de la gouvernance et la lutte contre la corruption a été écarté. Pourtant, des organisations internationales telles que Transparency International et U4 Anti-corruption resource centre, s’activent depuis des années pour montrer la corruptibilité du secteur privé, souvent éclipsée par la prévalence de la corruption dans le secteur public. Dans son Global Action Menu pour la facilitation des investissements, discuté lors du Forum mondial de l’investissement à Nairobi au mois de juillet, la CNUCED (Commission des Nations Unies pour le commerce et le développement) a expressément préconisé l’implication et la collaboration des instances de lutte contre la corruption dans tout processus d‘investissement.
Développement régional passé à la trappe
Côté incitations financières au profit des investisseurs, les députés de l’opposition ont proposé d’octroyer la prime de développement régional selon l’indicateur de développement des délégations plutôt que celui des gouvernorats. Certes, les écarts de développement sont très prononcés entre les régions de la côte et les régions intérieures, mais la disparité est parfois tout autant aigue au sein d’un même gouvernorat. Au gouvernorat de Bizerte, Bizerte Nord se positionne 33ème sur l’échelle de développement des 264 délégations du pays, tandis que les délégations de Sejnane et de Joumine sont larguées aux 225ème et 235ème places. Cette réalité n’a pourtant pas convaincu la majorité qui a voté contre l’amendement de l’article 19. Cette majorité n’a pas non plus estimé utile de conditionner l’octroi de la prime des « projets d’envergure nationale » par la création d’emplois stables et le transfert technologique. De telles conditions auraient contribué à la mise à niveau de la main d’œuvre nationale et à l’amélioration du tissu économique national.
Le texte de loi entrera en vigueur le 1er janvier 2017. Il devra être complété par d’autres textes réglementaires fixant, entre autres, la liste des autorisations ou encore la composition des nouvelles institutions gouvernant l’investissement. La loi de l’investissement devra se frayer un chemin dans le labyrinthe juridique national : loi sur le partenariat public-privé (PPP), Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, nouveau Code des collectivités locales – non encore adopté – , Code des changes et du commerce extérieur, ou encore la loi relative à la production de l’électricité à partir des énergies renouvelables. La loi complète aussi un arsenal de conventions internationales relatives à l’investissement. La Tunisie a signé depuis les années 60, plus de 60 conventions bilatérales de promotion et de protection des investissements. Elle est engagée dans 9 accords comportant des dispositions d’investissement et signataire de 21 instruments internationaux.
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