Suite à l’appel de 27 organisations de la société civile, quelques dizaines de personnes se sont regroupées, mercredi matin, devant le ministère de l’Intérieur, pour protester contre la torture et la violence policière en Tunisie. Face à la démission collective de tous les partis politiques et une bonne partie de la société civile, seuls quelques militants ont entouré les familles venues exposer le drame de leurs fils perdus, à jamais, dans les geôles.
Il y a quatre ans, des milliers de Tunisiens étaient debouts devant ce même vieil immeuble pour exiger le départ du régime policier. En ce jour mémorable, la foule a défié les uniformes et les matraques en les accusant de terrorisme. Des milliers de bras ont été levés répétant la fameuse chorégraphie sonore « Dégage! Dégage! Dégage! ». Aujourd’hui, seuls les coups de gueule des opprimés, les larmes des mères des victimes et les discours de quelques militants investissent la scène. Le nombre des manifestants a spectaculairement diminué, alors que le bâtiment marron foncé est toujours là, lugubre, implacable et intouchable, malgré toutes les tentatives de réforme.
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Le nombre des victimes de la torture dans les centres de détention et les prisons ne diminue pas. L’Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT) a révélé, il y a quelques jours, deux nouveaux cas de torture. Les victimes meurent dans des circonstances mystérieuses et le ministère de l’Intérieur nie en bloc les accusations.
Avant de décider ce rassemblement, Radhia Nasraoui, présidente de l’OCTT et avocate de plusieurs victimes de torture a rencontré Moncef Marzouki, président de la République, pour exposer les derniers cas de torture et tirer la sonnette d’alarme sur la répression policière qui revient en force. Marzouki a déclaré son soutien aux familles des victimes, à travers un communiqué plein de phrases bateau sur la volonté de la Tunisie de respecter les droits de l’homme, tout en luttant contre la criminalité. Et Pourtant, l’engagement politique est quasiment inexistant, en ce qui concerne la réforme de la police et la prévention contre la torture.
La petite foule constituée, essentiellement, de femmes expose des dizaines de portraits de jeunes morts dans les geôles ou les prisons. « Rien n’a changé! La police de Ben Ali est encore là! Ils tuent nos enfants et déchirent nos cœurs! Qui pourra nous rendre justice? », s’interroge, tristement, une des mamans, à haute voix, au milieu des manifestants. Elle tenait le portrait de son fils, Ali Louati, mort dans la prison de Mornaguia, il y a quelques jours.
Venues de Mallassine, Bab Jedid, Jebal Ahmer, Sidi Hssine et Sijoumi, les familles des victimes sont issues d’une classe sociale très fragile. D’après Radhia Nasraoui, les victimes de la maltraitance policière sont souvent les plus démunis. Elles sont, en majorité, des femmes qui exposent le drame d’un fils, d’un mari ou d’un frère. Leur point commun, selon Emna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie, est l’impunité des policiers qui pratiquent la torture.
Ça commence par donner des excuses à la torture comme la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Ensuite, ça continue avec les enquêtes judiciaires qui ne sont pas encore indépendantes et bien sur ça se renforce par l'absence de l'avocat, lors des premiers interrogatoires de la police. Plusieurs réformes doivent avoir lieu, et cela dépend essentiellement de la volonté politique que nous essayons de créer chez les prochains élus, explique Emna Guellali.
Dans la foule, deux hommes âgés observent la scène en silence. Rached Jaidane et Mohamed Jaibi sont deux ex-prisonniers politiques torturés, durant des années. Condamnés en 1993 à 26 ans de prison, ils ont passé la moitié de la sentence, dans les geôles tunisiennes, pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Après la révolution, ils ont porté plainte contre leurs tortionnaires mais le procès traine, et ce depuis trois ans.
La transition politique ne sera jamais réussie sans une justice transitionnelle. La répression policière étouffe l’élan populaire et sera néfaste, certainement, pour l’avenir du pays. Je déplore l’absence des partis politiques dans ce combat et je trouve vraiment scandaleux leur absence dans ce rassemblement, dénonce Rached Jaidane.
Le portrait de Nabil Barakati (militant politique torturé jusqu’à la mort sous Bourguiba) imprimé sur son tee-shirt blanc, Ayoub Amara, militant de gauche, torturé à plusieurs reprises dans les prisons tunisiennes, faisait le bilan de la torture devant les présents. Plus de 400 cas ont été enregistré après le 14 janvier. Aucun procès n’a abouti et les policiers soupçonnés des crimes, d’hier et d’aujourd’hui, sont encore en liberté.
« Comment oublier que, dans ce même immeuble, la cave et le 4ème étage étaient consacrés à la torture sous toutes ses formes et ses couleurs ? Aujourd’hui, nous sommes ici pour dénoncer la continuité du même système. Les derniers cas de Louati et Snoussi ne sont que la partie apparente de l’iceberg… », affirme Ayoub, avant d’ajouter « les policiers n’étaient pas seuls! Ils étaient aidés par les médecins qui continuent, aujourd’hui, à falsifier les autopsies ». De son côté, Radhia Nasraoui précise, concernant ce même point, que les rapports des médecins légistes doivent être vérifiés; rappelant que certains médecins légistes sont, eux-mêmes, impliqués dans des affaires de torture durant et après l’ère de Ben Ali.
En attendant la création de l’Instance nationale de prévention conte la torture, la société civile, ainsi que les familles des victimes continuent à revendiquer l’ouverture de vraies enquêtes sur tous les cas de torture, afin de rendre justice aux victimes, pacifier les mémoires et arrêter la pratique de torture.
Les politiques (hommes et femmes) sont entrain de faire une campagne électorale !!! ;)
Notre police, comme l’ensemble de notre administration, traîne un héritage de système, la bureaucratie au niveau de l’état et de l’intervention publique en générale, la torture chez la police. Je ne nie pas certaines évolutions et certains efforts. Mais la torture est une honte, c’est le DAECH de l’action policière.
Sans une justice transitionnelle, une réconciliation nationale, sans la pause d’une nouvelle culture pour l’action publique Co-construite par l’ensemble des acteurs publics et privés (politiques, associatifs, simple citoyen), la Tunisie ne pourra se débarrasser de cet héritage qui nuit à la révolution et à ses objectifs, si nobles qui sont (liberté, dignité, démocratie, droits de l’homme).
Nous avons besoin de dépasser nos limites et nos frontières qui demeurent très très rigides, malgré la révolution, et cela fait beaucoup de mal à notre société.
Ben Ali harab
Tarek MANDHOUJ