L’appel de la résistance démocratique Pour un boycott actif des élections présidentielles et législatives du 24 octobre 2004 diffusé le 28 mai 2004 que je me suis réservé de signer en expliquant oralement à ses promoteurs les principaux raisons de cette abstention a amené certains amis à se poser des questions sur la signification de cette attitude. Au risque de causer du tort à cette initiative citoyenne militante et de laisser planer le doute quant à mon attachement à mon engagement dans l’action pour un changement démocratique en Tunisie et à ma ferme opposition au système totalitaire et autocratique qui régit notre pays aujourd’hui, je voulais par ce texte approfondir le débat et expliquer en toute franchise et transparence mon point de vue.

Je conçois que toute action politique démocratique doit s’insérer dans une œuvre collective d’action et de réflexion qui doit procéder par un processus d’accumulation des expériences et des acquis et que les remises en cause et les révisions qu’on peut être amené à faire comme les nouvelles initiatives ne doivent jamais se détacher du processus conducteur initial qu’on s’est fixé dés le départ.

Partant de ces considérations, la nouvelle initiative n’est que la résultante logique de nos anciens engagements signés en commun suite aux réunions tenues à Tunis et à Paris pour dénoncer le complot contre la constitution et l’appel de Tunis diffusé suite à la rencontre d’Aix concernant une plate-forme commune de 12 points pour notre lutte commune pour un Etat de droit et des institutions. Cette initiative ne s’est pas placée dans la ligne de ce courant et n’avait pas été élaborée en commun ce qui lui fait perdre beaucoup de son impact et nous laisse perplexe sur les raisons de tels procédés et sur cet empressement qui fait peu de considération de la préservation nécessaire des acquis déjà atteints.

D’autre part la formulation du texte de l’appel indépendamment du grief précédent empreinte exclusivement de la terminologie d’un groupe déterminé (Le CPR) qui personnalise à l’excès la grave crise que connaît notre pays en la réduisant à la présence de l’actuel président à la tête du pays. Cet avis n’est pas partagé unanimement ; pour plusieurs le statut de l’actuel président n’est que le produit d’un système et c’est ce système qui a fait de Bourguiba ce qu’il était devenu et peut faire du prochain président ce qui est devenu B. Ali. Notre combat est global contre tout un système qu’il s’agit de démonter sur la base des 12 points déjà élaborés le 17 juin 2003. Par la lutte démocratique que nous avons choisie comme moyen d’action, notre objectif ne se réduit pas à la destitution d’un président qui n’a plus le droit de se représenter et nous n’avons aucune illusion sur la suite des événements jusqu’au 24 octobre 2004. Par contre nous inculquons une éthique à l’action politique, nous diffusons des principes et nous défendons des causes justes dont nous avons la ferme conviction qu’ils sont dans l’intérêt de notre pays et qu’ils répondent aux besoins de notre société. Nous sommes confrontés à un défi de maturité, d’endurance et de patience pour convaincre tous les honnêtes gens incrédules et encore découragés pour qui nos revendications apparaissent encore comme des rêves difficiles à réaliser à se mobiliser pour tracer les contours définitifs de notre projet d’avenir. La démocratie n’est pas le projet d’une minorité : seule leur participation et leur engagement à assumer leurs responsabilité peuvent la réaliser.

Enfin, le texte aborde deux sujets qui n’ont pas fait encore l’objet de concertation et d’échange de réflexions pour aboutir à des positions communes au sein du pôle d’action démocratique que nous cherchons à constituer. Leur introduction dans le texte de l’appel n’était pas indispensable à son objet et ne peut s’expliquer que par un réflexe antidémocratique d’anticipation pour faire prévaloir des positions qui ne peuvent pas à la libre discussion.

Le premier concerne la question sociale abordée dans la perspective de la mondialisation pour aboutir à une position marginale de lutte anti-mondialisation contraire à l’esprit libéral de société ouverte et de libre marché que nous aspirons à instaurer dans notre pays comme complément et garantie au projet démocratique pour lequel nous oeuvrons.

Le second concerne la position à adopter vis-à-vis des pressions étrangères exercées sur l’autocratie qui gouverne notre pays pour l’amener à adapter son mode de gouvernance avec les normes de l’Etat de droit et le respect des libertés. Je pense personnellement qu’il serait une grave erreur politique de prendre une position qui aboutirait à nous trouver dans le même camp de la dictature qu’on combattait et de se placer objectivement comme ses alliés. Nos passions ne doivent pas nous conduire à tirer de fausses conclusions de faits ponctuels d’actualité. La dictature n’est pas un fait inhérent et propre à notre pays et à notre région comme spécificité à laquelle nous sommes condamnés. Sans le soutien occidental elle n’aurait jamais résisté aussi longtemps, C’est un système qui nous a été essentiellement imposé de l’étranger au mépris de nos propre intérêts et c’est de ce soutien qu’elle tire sa force et sa légitimité. Ce n’est pas à nous alors que ce même occident se rend enfin compte que c’est un système archaïque dangereux à sa propre stabilité et qu’il s’apprête de lui enlever l’écharpe de plomb qui la maintient collée au destin de nos sociétés qu’on doit venir l’en empêcher. Il est du devoir des super puissants d’assumer leurs responsabilités internationales dans le maintien de ces systèmes d’oppression et de pillages qui constituent un affront à l’humanité comme il est de notre devoir de préparer notre société aux évolutions dont elle a besoin et qui répondent à ses intérêts.

Pour terminer j’ai remarqué que l’appel a été diffusé au nom de « La résistance démocratique » introduisant ainsi une nouvelle entité dans le paysage politique de notre pays sans préavis ni concertation. Ce procédé n’augure pas d’une maturité à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés. Je me suis toujours arrêté devant l’antinomie entre les notions d’opposition et de dictature que le discours officiel cherche à nous imposer pour cacher sa véritable nature autocratique et de domination, mais le summum de l’abjecte est atteint quand les tyrans se payent le confortable loisir d’avoir des partis d’opposition qui se disputent avec acharnement le droit d’être introduit dans les cours des tyrans pour subir chaque fois leur quota d’humiliation. Dire qu’on s’est débarrassé de notre sombre passé.

Nous ne pouvons être que des contestataires et des résistants mais faut-il se détacher aussi brutalement de ceux qui sont amenés à devenir nos alliés. Je pense qu’un front démocratique ouvert reste la meilleure structure pour asseoir notre lutte même si on doit modérer la cadence des plus pressés au rythme des retardataires.