Des militaires turkmènes surveillent un café Internet à Achgabat. (Reuters)

La Birmanie arrive en tête d’un classement des dix principaux pays au monde réprimant les chroniqueurs en ligne, selon une étude du CPJ. En effet, l’essor des blogs dans beaucoup de nations d’Asie et du Moyen-Orient a conduit à une répression sévère par les gouvernements.

La Birmanie, dirigée par une junte militaire qui limite sérieusement l’accès à l’Internet et emprisonne des citoyens pendant des années pour l’affichage de critiques, est le pire pays au monde pour les bloggeurs, selon une étude du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ). Ce rapport intitulé « Les 10 pays qui oppriment le plus les bloggeurs » identifie également un certain nombre de pays du Moyen-Orient et d’Asie, où l’épanouissement de l’usage de l’Internet s’accompagne d’une répression croissante des gouvernements.

« Les bloggeurs sont à l’avant-garde de la révolution de l’Information et leur nombre est en pleine croissance », a déclaré le directeur exécutif du CPJ, Joël Simon. « Cependant, les gouvernements ont très vite appris à tourner la technologie contre les bloggeurs en appliquant la censure et le filtrage de l’Internet, la limitation de l’accès à la Toile et l’extraction de données personnelles. En dernier recours, les autorités jettent tout simplement certains bloggeurs en prison afin d’intimider le reste de la communauté en ligne et les réduire au silence ou les pousser à l’autocensure ».

Sur la base de pratiques comme les détentions, les règlementations et les mesures d’intimidation, les autorités de l’Iran, la Syrie, l’Arabie saoudite, la Tunisie et l’Egypte apparaissent comme les principaux oppresseurs de bloggeurs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La Chine et le Vietnam, où l’essor des blogs est confronté à de vastes mesures de surveillance et de contrôle, sont parmi les nations qui oppriment le plus les bloggeurs. Cuba et le Turkménistan, des pays où l’accès à l’Internet est très limité, complètent le tableau de déshonneur.

« Les gouvernements qui figurent sur la liste tentent de faire reculer la révolution de l’Information et, pour l’instant, ils sont en train de réussir», a ajouté M. Simon. «Les organisations de défense de la liberté d’expression, les gouvernements concernés, la communauté en ligne et les entreprises du secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication doivent s’unir pour défendre les droits des bloggeurs dans le monde »

, a-t-il martelé.

Le CPJ a publié son rapport afin de marquer la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, et d’attirer l’attention sur la répression des bloggeurs, qui constitue une grande menace à la liberté de la presse dans le monde entier. Le CPJ considère les bloggeurs – des gens qui affichent des analyses et des commentaires basés sur des reportages ou des faits – comme des journalistes. En 2008, le CPJ a découvert que les bloggeurs et autres chroniqueurs en ligne étaient la catégorie professionnelle la plus emprisonnée parmi les journalistes, dépassant même la presse écrite, pour la première fois.

Pour établir cette liste, le CPJ a étudié les conditions de travail des bloggeurs dans plusieurs pays à travers le monde entier. Son personnel a consulté des experts d’Internet afin d’élaborer huit critères, notamment l’utilisation du filtrage, de la surveillance et de la réglementation par les gouvernements. D’autres critères comprennent l’emprisonnement, et le harcèlement juridique pour décourager les bloggeurs aux opinions dissidentes. Enfin, le rapport a considéré le niveau de pénétration de l’Internet et l’accès au Réseau.

LA LISTE

1. LA BIRMANIE

Le bloggeur Zarganar purge actuellement une peine d\'emprisonnement de 59 ans. (AP)Dans le sillage de sa forte censure de la presse écrite et des medias audiovisuels, la Birmanie, applique également de grandes restrictions sur les blogs et d’autres activités sur la Toile. La pénétration de l’Internet comme outil d’utilisation privé est très faible: seulement 2% environ, de sorte que la plupart des citoyens accèdent au Réseau dans des cybercafés selon l’Open Net Initiative, un groupe de recherches étudiant le filtrage et les pratiques de surveillance en ligne. Les autorités réglementent lourdement ces cybercafés, les obligeant par exemple à appliquer des règles de censure. Le gouvernement, qui avait complètement bloqué l’accès à l’Internet pour étouffer un soulèvement populaire en 2007, a la capacité de contrôler les courriers électroniques et d’autres méthodes de communication, et de bloquer l’accès des usagers à certains sites politiques de l’opposition, selon l’Open Net Initiative. Au moins deux bloggeurs sont actuellement en prison.

Illustration: Le bloggeur Maung Thura, plus connu sous le nom de Zarganar, est en train de purger une peine d’emprisonnement de 59 ans pour avoir diffusé des séquences vidéo, après le passage du cyclone Nargis en 2008.

2. L’IRAN

Régulièrement, les autorités jettent en prison ou harcèlent des bloggeurs affichant des billets critiquant les propos des personnalités politiques ou religieuses, la révolution islamique et ses symboles. Le gouvernement exige que tous les bloggeurs déclarent leurs sites au ministère de l’Art et de la Culture. Les responsables du gouvernement affirment avoir bloqué l’accès à des millions de sites Web, selon les médias. Un bureau du procureur, nouvellement créé, est spécialisé dans les questions relatives à l’utilisation de l’Internet et travaille directement avec les services de renseignement. Une législation imminente pourrait rendre la création de blogs promouvant « la corruption, la prostitution et l’apostasie » passible de la peine de mort.

Illustration: Le bloggeur Omidreza Mirsayafi, emprisonné pour avoir insulté les dirigeants religieux du pays, est décédé dans la prison d’Evin en mars dernier dans des circonstances qui n’ont pas été expliquées de façon détaillée.

3. LA SYRIE

Le gouvernement utilise des méthodes de filtrage pour bloquer les sites politiquement sensibles. Les autorités jettent en prison des bloggeurs pour la diffusion de textes et même d’articles de tiers dont les contenus sont considérés comme « faux » ou portant atteinte à « l’unité nationale ». L’autocensure est omniprésente dans ce pays. En 2008, le ministère de la Communication a ordonné aux propriétaires de cybercafés de procéder à l’identification de tous les clients, d’enregistrer leurs noms d’utilisateur et les heures d’utilisation, et de remettre régulièrement les documents aux autorités. Des organisations de défense des droits de l’homme ont indiqué que les autorités harcèlent et emprisonnent les bloggeurs considérés comme étant antigouvernementaux.

Illustration: Waed al-Mhana, un défenseur des sites archéologiques menacés, est jugé pour un article qui a critiqué la démolition d’un marché dans le Vieux Damas.

4. CUBA

Génération Y de Yoani Sanchez figure parmi un petit groupe de blogs indépendants cubains qui émergent actuellement. (CPJ)

Seules les autorités gouvernementales et les personnes ayant des liens avec le parti communiste ont accès à l’Internet. La majorité de la population accède à la Toile dans des hôtels ou des cybercafés contrôlés par le gouvernement au moyen de cartes d’abonnement coûteuses?. Un petit nombre de bloggeurs indépendants, tel que Yoani Sanchez, exposent en détail la vie quotidienne et donnent un point de vue critique sur le régime. Leurs blogs sont basés à l’extérieur du pays mais leur accès est largement bloqué au niveau national. Deux bloggeurs indépendants ont déclaré au CPJ avoir été harcelés par les autorités du pays. Seuls les bloggeurs progouvernementaux peuvent diffuser leurs articles sur des sites à l’intérieur du pays, sites pouvant être aisément consultés.

Illustration: Actuellement, le gouvernement cubain détient 21 auteurs qui étaient à la pointe du journalisme en ligne au début de la décennie. Ces écrivains, qui ont tous été emprisonnés en 2003 à l’exception d’une personne, avaient envoyé leurs articles par téléphone ou par fax à des sites Web étrangers.

5. L’ARABIE SAOUDITE

Environ 400.000 sites sont bloqués à l’intérieur du royaume, notamment ceux qui traitent de questions politiques, sociales ou religieuses. L’autocensure est généralisée. Outre les articles « indécents », l’Arabie saoudite bloque l’accès à « tout ce qui est contraire à l’État ou son système », une norme qui a été interprétée libéralement. En 2008, des guides religieux influents ont demandé des peines sévères, notamment la flagellation et la mort, contre les auteurs en ligne coupables de diffusion d’articles jugés hérétiques.

Illustration: Le bloggeur Fouad Ahmed al-Farhan a été maintenu en détention sans inculpation pendant plusieurs mois en 2007 et en 2008 pour avoir défendu la réforme et la libération des prisonniers politiques.

6. LE VIETNAM

Les bloggeurs ont audacieusement tenté de combler les lacunes laissées par les médias classiques contrôlés par l’état en matière d’informations indépendantes. Cependant, le gouvernement a réagi avec davantage de mesures réglementaires et les autorités ont appelé des entreprises de technologie internationales telles que Yahoo, Google ou Microsoft à fournir des informations sur les bloggeurs qui utilisent leurs plateformes. En septembre dernier, l’éminent bloggeur Nguyen Van Hai, également connu sous le nom de Dieu Cay, a été condamné à 30 mois de prison sur des accusations de fraude fiscale. Les recherches du CPJ démontrent que ces accusations ont été formulées en représailles à son blog.

Illustration: En octobre 2008, le ministère de l’Information et de la Communication du Vietnam a créé une nouvelle agence chargée de contrôler l’Internet.

7. LA TUNISIE

Les fournisseurs de services Internet sont tenus de soumettre régulièrement des adresses IP et d’autres informations d’identification au gouvernement. Tout le trafic Internet passe par un réseau central, ce qui permet aux autorités de contrôler et de filtrer le contenu des courriers électroniques. Le gouvernement emploie une gamme de techniques visant à harceler les bloggeurs, notamment la surveillance, la restriction des mouvements des bloggeurs, et le sabotage électronique. Les chroniqueurs en ligne Slim Boukhdhir et Mohamed Abbou ont été emprisonnés pour leur affichages.

Illustration: Dans un discours en mars dernier, le président Zine El Abidine Ben Ali a mis en garde les bloggeurs qui portent l’attention sur les « erreurs et les abus » du gouvernement, disant qu’ils se livraient à des « pratiques qui ne sont pas dignes de la société tunisienne et n’ont rien à voir avec la liberté et la démocratie ».

8. LA CHINE

Avec près de 300 millions d’internautes, la Chine a, plus que tout autre pays au monde, une forte culture numérique. Cependant, les autorités chinoises possèdent le plus vaste programme de censure de l’Internet au monde. Ce réseau de surveillance est imité par d’autres pays comme le Vietnam. Le gouvernement s’appuie sur des fournisseurs d’accès Internet pour filtrer les recherches, bloquer les sites Web de ses détracteurs, supprimer les contenus désobligeants et surveiller le trafic des courriels. Puisque la presse traditionnelle en Chine est étroitement contrôlée, les nouvelles et commentaires diffusés par les bloggeurs laissent rarement indifférent. Les blogs, par exemple, ont joué un rôle clé dans la diffusion d’informations sur le tremblement de terre au Sichuan en 2008. Mais les bloggeurs qui vont trop loin dans la promotion des opinions impopulaires ou dans la diffusion d’informations sensibles peuvent se retrouver en prison. Les recherches du CPJ ont révélé qu’au moins 24 chroniqueurs en ligne sont actuellement en détention.

Illustration: En 2008, le Bureau national de lutte contre la pornographie et les publications illicites a annoncé qu’il avait retiré plus de 200 millions de billets en ligne jugés « nuisibles» au cours de l’année précédente.

9. LE TURKMÉNISTAN

Le président turkmène, Gurbanguly Berdymukhammedov a promis d’ouvrir son pays jusqu’alors isolé du monde en assurant un accès public à l’Internet. Mais lorsque le premier cybercafé du pays a ouvert en 2007, il était sous surveillance militaire. En plus, les connexions étaient irrégulières, le tarif horaire trop élevé et les autorités contrôlaient ou bloquaient l’accès à certains sites. L’entreprise de télécommunication russe MTS, qui avait pénétré le marché turkmène en 2005, a commencé en juin 2008 à offrir un accès au Web à partir de téléphones mobiles, mais les règlementations du service exigent que les clients évitent les sites critiquant le gouvernement turkmène.

Illustration: Turkmentelecom, le fournisseur public de services Internet, bloque systématiquement l’accès aux sites des dissidents et de l’opposition, tout en contrôlant les comptes e-mail sur Gmail, Yahoo et Hotmail.

10. L’ÉGYPTE

Karim Amer est emprisonné pour avoir insulté l\'Islam et le président égyptien. (Reuters)

Les autorités égyptiennes ne bloquent qu’un petit nombre de sites Web, mais elles contrôlent régulièrement l’usage de la Toile. Le trafic de tous les fournisseurs de services Internet passe par l’opérateur Egypt Telecom contrôlé par l’Etat. Les autorités emprisonnent régulièrement des bloggeurs aux opinions dissidentes pour des durées indéterminées. Les organisations locales de défense de la liberté de la presse ont documenté la détention de plus de 100 chroniqueurs en ligne pour l’année 2008 seulement. Bien que la plupart des bloggeurs aient été libérés après de courtes périodes, certains ont été incarcérés pendant des mois et beaucoup ont été maintenus en détention sans ordonnance judiciaire. La plupart des bloggeurs déclarent avoir été maltraités, et certains ont été torturés.

Illustration: Le bloggeur Abdel Karim Suleiman, connu en ligne sous le nom de Karim Amer, purge actuellement une peine d’emprisonnement de quatre ans sur la base d’accusations d’insulte à l’Islam et au président égyptien, Hosni Moubarak.

METHODOLOGIE

En collaboration avec des experts d’Internet, le CPJ a élaboré les huit critères suivants afin d’évaluer les conditions de travail des bloggeurs dans le monde entier, notamment:

* Un pays emprisonne-t-il des bloggeurs?
* Les bloggeurs font-ils l’objet de harcèlement, de cyber-attaques, de menaces, d’agressions ou d’autres représailles?
* Les bloggeurs pratiquent-ils l’autocensure pour se protéger?
* Le gouvernement limite-t-il la connectivité ou restreint-il l’accès à l’Internet?
* Les bloggeurs sont-ils tenus de se déclarer auprès du gouvernement ou d’un fournisseur de services Internet ou de donner un nom et une adresse vérifiables avant de lancer un blog?
* Un pays possède-t-il des règlements ou des lois pouvant être utilisés pour censurer les bloggeurs?
* Le gouvernement surveille-t-il les citoyens qui utilisent l’Internet ?
* Le gouvernement utilise-t-il la technologie de filtrage pour bloquer ou censurer l’Internet?

Sur la base de ces critères, les experts régionaux du CPJ ont désigné des pays qualifiables pour cette liste. Le classement final est déterminé par un sondage effectué par le personnel du CPJ et des experts externes.

New York, le 30 avril 2009

Source : Committee to Protect Journalists