En prélude au débat public au Parlement Européen, le 19 janvier 2010, sur les relations UE-Tunisie et l’état des libertés et des droits de l’homme en Tunisie.

Comme prévu, et en dépit des pressions multiformes exercées par le gouvernement tunisien depuis plusieurs semaines pour tenter d’entraver ce projet, la question des relations UE-Tunisie et l’état des libertés et des droits de l’homme en Tunisie fera l’objet, le 19 juin 2010, d’un débat public au Parlement européen lors de sa session ordinaire à Strasbourg du 18 au 22 janvier 2010.

Les principaux groupes parlementaires – PPE, Socialistes, Libéraux, verts et gauche Unie- en avaient décidé le principe dés le 10 décembre 2009 et les multiples démarches diplomatiques tunisiennes auprès des Etats membres ( de l’Union européenne –UE), du Conseil, de la Commission et du Parlement n’ont pas abouti à une « dé-programmation » de cette proposition décidée conformément à l’article 110 du règlement intérieur du Parlement européen.

L’Etat-RCD : « enfant gâté » de l’Euromed : appuis économique et financier considérables et un bilan plutôt médiocre en matière de réforme politique.

Au-delà de la question d’un éventuel « rehaussement »( «le statut avancé ») des relations UE- Tunisie, ce qui n’est toujours pas de facto immédiatement à l’ordre du jour et qui suppose des avancées et des engagements réels en matière de réforme politiques, c’est la dérive policière et répressive très marquée en Tunisie depuis le début septembre, à la veille des « élections » présidentielle et législatives du 25 octobre 2009, à ce jour, qui justifie ce débat public . Ce débat a , de surcroit , été rendu nécessaire par la crispation politique et diplomatique provoquée par cette dérive dans les rapports avec l’UE et ave certains Etats membres pourtant, connus jusqu’ici par leur soutien inconditionnel à la politique de l’Etat-RCD ( rassemblement constitutionnel démocratique, parti au pouvoir depuis 1956). Celui-ci , cédant de façon outrancière à la logique despotique qui en est l’une des principales caractéristiques, n’a pu tolérer les réserves ou les prises de distance- pourtant le plus souvent modérées- manifestées par ses partenaires européens privilégiés. Des partenaires à qui il était parvenu à imposer, au cours des 15 dernières années ( 1995, amorce du processus Euromed et Accords d’association, puis politique européenne de voisinage –PEV…), ses « diktats » en matière de « dialogue politique » en contre partie d’un engagement sans faille et même zélé dans a mise en ouvre de l’accord d’établissement d’une zone de libre échange (des biens et des services mais pas des personnes) ! Mettant en avant , et instrumentalisant, les thèmes de « stabilité », des « performances économiques » présumées, des acquis en matière d’égalité hommes-femmes et de la « lutte contre le terrorisme » , le gouvernement tunisien a bénéficié d’une connivence et d’une complicité d’autant plus marquées, du coté européen, que les intérêts commerciaux et économiques des principaux Etats membres de l’UE en Tunisie ne sont guère négligeables.

« Enfant gâté de l’Euromed », l’Etat-RCD a ainsi bénéficié d’appuis financiers considérables (programmes MEDA pour lesquels il a enregistré un record de soutiens financiers rapportés au nombre d’habitants (10 millions et demi d’habitants). Cet engagement économique et financier s’est doublé, dans le même temps, d’un bilan pour le moins médiocre s’agissant des réformes politiques (démocratie, Etat de droit, droits humains, gouvernance et lutte contre la corruption) ; les autorités tunisiennes mettant en avant – en dépit de leur soumission aux exigences de la libéralisation économique- et à des fins de consommation inférieure, le thème usé jusqu’à la corde du « refus de l’ingérence étrangère » pour justifier leur politique frileuse voire hostile à toute réforme politique substantielle et effective.

La mise en œuvre de certains programmes importants de la coopération UE-Tunisie- notamment en matière de justice et de médias- a été ainsi marquée par de graves dérives politiques et financières (l’objectif en matière de renforcement de l’indépendance de la justice a été pervertie), qui devraient faire l’objet d’investigation parlementaires européennes, aujourd’hui rendues possibles avec l’élargissement, dans le cadre du «Traité de Lisbonne », des prérogatives du Parlement européen.

A la veille de l’organisation de ce débat au Parlement européen une délégation parlementaire tunisienne s’est rendue à Bruxelles accompagnée de hauts fonctionnaires du ministère tunisien des affaires étrangères. Délaissant toute retenue, cette délégation qui sera probablement présente à Strasbourg, a fait les couloirs de la Commission , du Conseil et du Parlement, oubliant les grands discours démagogiques et de circonstances sur le thème de la « souveraineté tunisienne» au dessus de toutes les tractations, pour implorer compréhension et sollicitude. Le plus graves et que les deux députés RCD ( parti gouvernemental) ont tenu des propos moins indignes que ceux de l’ «opposition» de décor : Ismaïl Boulahya, président du MDS, Hichem Hajji, du PUP, Khadija Mebaziaa, transfuge du PUP, ralliée au Parti des Verts (parti officiel) et membre du comité directeur de la LTDH

Le remaniement ministériel : un « relookage » et un « lifting » ne règlent en rien les problèmes de fond

Le remaniement ministériel tant attendu et qui n’avait pu être « concocté » depuis le 4 novembre 2009, a eu lieu le jeudi 14 janvier 2010. Le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, voit son bail renouvelé alors que certaines rumeurs avaient prédit un départ programmé pour Abou Dhabi. Les trois principaux « prétendants», Mondher Znaïdi (Santé), favori de Madame Leila Trabelsi, épouse du Président ben Ali, est maintenu. Mais les deux autres « poulains présidentiels » sont promus : Kamel Morjane aux Affaires étrangères et Ridha Grira à la Défense nationale. L’âme damnée du « Clan Trabelsi » (celui de l’épouse du Président), grand Chamberlain de la diplomatie tunisienne depuis 2005 et exécutant de toujours des basses besognes de la presse à caniveau et de la diffamation, Abdelwahab Abdallah, fait les frais de ce remaniement.

Nul doute que ce « relookage » et ce « lifting » technocratique, doublés du « départ du bouc émissaire » et du « fusible » de circonstances, est destiné à convaincre les alliés internationaux – européens et nord américains notamment- que ce remaniement constitue l’amorce d’un commencement d’ouverture !

Rien n’est pourtant moins sûr. Le ministre de l’intérieur est toujours en place et la permutation Tekkari-Bououni entre le ministère de la justice et des droits de l’homme et celui de l’enseignement supérieur ne règle rien car le «cœur du système » de coercition, de répression et de traque des défenseurs des droits humains et des démocrates » est bel et bien à Carthage (Palais présidentiel). Et pour le moment aucun indice n’est venu inciter les plus attentifs et les plus complaisants des observateurs à un optimisme raisonné.

La crise entre la LTDH (ligue tunisienne de défense des droits de l’homme) et l’Etat est toujours là. La situation des prisonniers politiques( dont certaine comme Sadok Chourou sont détenus depuis près de seize ans) est toujours aussi inquiétante; les tracasseries policières et le harcèlement des associatifs indépendants et des oppositions non vassalisées toujours aussi insupportables ; les «charrettes» de procès de ces trois dernières semaines parmi les étudiants et étudiantes aussi graves et préoccupantes ; les procès préfabriqués contre d’anciens prisonniers islamistes se chiffrent à 14 procédures depuis le 15 décembre 2009 ; la situation de Hamma Hammami (porte parole du PCOT, contraint à la clandestinité par crainte de représailles policières et judicaires) et de femme Radhia Nassraoui demeure aussi préoccupante et, last but least, les conditions de détention de Zouheir Makhlouf ( qui risque d’être séquestré en prison à partir du 18 janvier 2010 date à laquelle il aurafini de payer sa peine) et Taoufik Ben Brik dont l’état de santé est alarmant, sont aussi déplorables . La condamnation du journaliste Fahem Boukadous (qui reste en liberté contrairement à ce que nous avons indiqué dans notre communiqué joint en date du 14 janvier 2009) est venue, le 13 janvier 2010, confirmer ce tableau menaçant.

Des questions incontournables pour le débat public du mardi 19 janvier 2010 au Parlement européen.

Face à cette situation le CRLDHT rappelle à l’attention des députés européens les termes de la « feuille de route » qu’il avait avancée il y a plus de deux mois en évoquant l’éventuel « rehaussement » en « statut avancé » des relations UE Tunisie

(…) « Il n’est pas trop tard que le gouvernement prenne des initiatives et des mesures urgentes d’apaisement et d’ouverture qui puissent être considérées comme des signaux positifs et significatifs, préludes, à moyen terme, aux indispensables et inéluctables réformes politiques et institutionnelles que les démocrates et les défenseurs des droits humains appellent de leurs vœux. Ces réformes ont trait à la libération des détenus politiques, à une amnistie générale, au retour des exilés, à la confusion entre le parti RCD (Rassemblement constitutionnel et démocratique) et l’Etat, aux garanties d’indépendance de la justice, à la torture et à l’impunité, à la liberté et au pluralisme de la presse, à la réforme en profondeur du code électoral, à l’institution d’une commission électorale indépendante, à l’abrogation des lois, décrets et circulaires scélérats en matière de législation sur les associations, sur le droit de réunion ou sur la lutte contre le terrorisme ainsi que des mesures effectives pour enrayer une corruption galopante et un népotisme ravageur.

Quant aux mesures d’urgence et à court terme, elles concernent la libération des journalistes Tawfiq Ben Brick et Zouhayr Mekhlouf, celle de Mr Sadok Chourou détenu depuis près de 16 ans, la cessation des tracasseries, des agressions ( Slim Boukhdhir, Sihem Ben Sédrine ) et du harcèlement dont sont victimes des opposants et des défenseurs (Khémaîs Chammari, Sihem Ben Sedrine, Omar Mestiri, Hamma Hammami, M° Radhia Nasraoui, M° Raouf Ayadi, Ali Laaridh, Abdelkrim Harouni, M°Mohamed Nouri, Lotfi Hidouri etc…),la cessation des campagnes de diffalation det « d’appel au meurtres » orchestrées par les journaux à la soldes du pouvoir, la libération des étudiants arrêtés début novembre et arbitrairement condanés, la levée des mesures arbitraires de retrait ou de non renouvellement de passeports et d’interdiction de sortie sous des prétextes judiciaires fallacieux, la réintégration professionnelle des militants de Redeyef libérés le 5 novembre 2009 et le recouvrement de leurs droits ainsi que l’annulation des procédures ayant entrainé dans l’affaire de Redeyef la condamnation arbitraire par contumace de Mohieddine Cherbib, président de la FTCR (fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives) , et l’avis de recherche lancé contre Fahem Boukadous, correspondant à l’époque de la chaine tunisienne Hiwar.

Dans le même temps, se pose la question des conditions de vie et/ou de survie des associations et de composantes autonomes de la société civile. A la crise des relations entre le pouvoir et la LTDH- ligue tunisienne de défense des droits de l’homme- qui a, entre autres conséquences de blocage, le fait que le siège central de cette dernière n’est accessible qu’aux seuls membres du comité directeur et que onze sections locataires de locaux ne peuvent s’y réunir ; s’ajoutent les situations créées par les « coups de force » contre les directions légitimes de l’association des magistrats et du Syndicat national des journalistes. Par ailleurs, Toutes les associations autonomes et reconnues légalement ne peuvent tenir de réunions dans les lieux publics (hôtels, maison des jeunes, maisons de la culture…). Les militantes de l’ATFD –association tunisienne des femmes démocrates- (Sihem Ben Sedrine , Zakya Dhifaoui… ) sont interdites d’accès au siège de leur association qui déplore, de surcroît, que depuis l’intervention de la police à l’université féminine «Ilhem Marzouki » (à l’occasion de la session de formation au « monitoring » le 20 octobre 2009, le siège de ce programme novateur est cerné en permanence par la police qui en filtre l’entrée. La demi douzaine d’associations autonomes actives mais non reconnues subissent, quant à elles, d’incessantes tracasseries (Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), Liberté-Equité (EL), Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), OPELC, Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT)…) ; les sièges d’E.L. et surtout du CNLT étant soumis à un strict contrôle policier pour en interdire l’accès aux visiteurs.

Il y a enfin les engagements pris par les autorités tunisiennes, et jusqu’ici restés lettre morte, concernant les visites en Tunisie des rapporteurs spéciaux thématiques des Nations Unies en matière de droits humains et d’exercice des libertés ainsi que la présentation des rapports périodiques de la Tunisie devant les instances des Nations Unies de suivi de la mise en œuvre des pactes et des traités relatifs aux droits humains. Ces rapports, notamment ceux sur la torture, la liberté d’expression, l’indépendance de la justice, les défenseurs des droits de l’homme et les droits économiques et sociaux, accusent un retard de plusieurs années!

Ce sont là autant de questions incontournables pour le débat public du mardi 19 janvier 2010 au Parlement européen ainsi que pour la négociation des conditions de l’octroi éventuel à la Tunisie de ce « statut avancé » tant convoité. »

Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme
Paris, le 17 janvier 2010