Dans l’article publié par Attariq Aljadid il y a cinq semaines, je concluais mon propos sur la confusion autour du «statut avancé» en annonçant la tenue d’un «débat contradictoire en séance plénière du Parlement Européen programmé, conformément à l’article 110 du règlement intérieur du parlement, pour la prochaine session de janvier 2010 : Une première , avec adoption de recommandations».

Les milieux «autorisés» (comme toujours) proches de l’ancien ministre des affaires étrangères s’étaient alors empressés de démentir – en aparté et par des «fuites» calculées – cette information. Et pourtant ce débat s’est bel et bien tenu le 19 janvier 2010 …

Dans l’intervalle, la diplomatie tunisienne s’est activée – mais en vain – pour essayer d’en obtenir la «déprogrammation» puis, une délégation composée de hauts fonctionnaires des AE et de cinq députés (RCD, MDS, PUP et Verts dits pour le Progrès) a été dépêchée à Bruxelles et à Strasbourg pour une opération de «lobbying» et de communication de dernière minute .

Mettant à profit le calendrier, « hyperchargé » en raison des tragiques évènements de Haïti et des débats institutionnels tendus suite aux auditions des futurs commissaires de la Commission de l’UE ; le «lobby» pro-gouvernemental tunisien a même pris le risque le lundi 18 janvier de pousser à un vote (sur le point de l’ordre du jour relatif au débat UE-Tunisie) en séance plénière. Le débat a été maintenu, mais reporté au Jeudi 21 Janvier 2010!

Des rumeurs fantaisistes …

Comme prévu, Mme Azza Zarrad – Ben Brik, invitée par le «Groupe des Verts / ALE» s’est rendue le mardi 19 janvier à Strasbourg où elle a été, notamment, conviée à la tribune du «point de presse» des «Verts» aux côtés de Daniel Cohn Bendit et en présence d’une soixantaine de journalistes.[1]

Contrairement aux rumeurs – plus ou moins fantaisistes et/ou téléguidées – il n’a jamais été question de la présentation et encore moins de l’adoption d’une «résolution de défiance». Cette procédure, qui se réfère à l’article 120 du R.I. du parlement, nécessite en effet l’accord explicite – dans la forme et quant au fond – des présidents des principaux groupes politiques, et en particulier celui du principal groupe de la droite, le Parti Populaire Européen. Or, en dépit du malaise suscité – y compris à droite –depuis le début du mois de septembre 2009, le PPE et une partie des libéraux, mais aussi des socialistes espagnols, n’étaient pas favorables, à ce stade, à une telle proposition.

Les enjeux du « statut avancé »

Au-delà de cette donnée résultant de la configuration politique du P.E, l’intérêt – en réalité – était d’abord que le débat ait lieu. Un débat-bilan sur le partenariat Tunisie-UE, tout particulièrement du point de vue de l’état des droits de l’Homme et des libertés. Un bilan d’autant plus indispensable et urgent que le gouvernement tunisien s’est fait pressant pour obtenir le «rehaussement» de ses relations avec l’UE par l’accès au fameux «statut avancé». La demande de l’octroi de ce «statut» nécessite toutefois une démarche officielle, qui n’a pas été faite jusqu’ici (depuis Novembre 2008) parce qu’elle prévoit des engagements précis et un échéancier indicatif concernant les réformes politiques qui constituent le fondement de ce «statut».

Contrairement à des commentaires tendancieux distillés par une certaine presse, le choix des démocrates tunisiens – qui rappellent que le gouvernement a de lui-même limité sa propre souveraineté en signant l’Accord d’Association avec l’UE en 1995, qui comprend, dans son article 2, une clause sur les droits de l’homme et en le faisant ratifier par le parlement du Bardo – n’est pas de s’opposer à l’accès de la Tunisie à ce «statut», mais plutôt d’obtenir que les dispositions et les critères relatifs au pluralisme, aux droits humains, à l’indépendance de la justice et à l’Etat de droit soient clairement pris en compte.

Telle était bien la finalité de ce débat qui a mis, bien entendu, en exergue la situation de Taoufik Ben Brik et celle de Zouhaïr Makhlouf, arbitrairement déténus.

Ce débat public a été des plus instructifs et des plus utiles.

Les partisans des choix démocratiques, progressistes et de soutien aux droits des peuples étaient, à l’évidence, du côté des militants tunisiens des libertés.

Des recommandations «orales» … et un prochain rendez-vous ?

Au terme de ce débat, Mme Neelie Kroes, prenant acte des arguments développés par les intervenants, a fait un intéressant récapitulatif qui équivaut, en réalité, à des «recommandations orales». Elle a ainsi rappelé les acquis de l’accord d’association Tunisie-UE au niveau économique et social, mais elle a surtout mis l’accent sur la nécessité – conformément aux dispositions de l’article 2 de cet accord, aux lignes directrices de l’UE sur les droits humains, aux Pactes et aux Traités des Nations Unies sur les droits de l’homme et du plan d’action national Tunisie (PEV – politique européenne de voisinage) – de prendre en compte les questions soulevées en matière de procès et de détention politiques, d’allégations de torture, de critères du droit à un procès équitable, du respect de la déontologie de la presse relative aux calomnies et au refus de l’appel à la haine, d’indépendance du pouvoir judiciaire, d’autonomie des associations ( notamment celles intervenant sur les thèmes «sensibles» des droits civils et politiques et de la liberté d’expression), de pluralisme effectif de la presse et du droit à l’information, de la transparence et de la sincérité des consultations électorales et de l’exigence du respect des règles de l’Etat de droit et des principes de la bonne gouvernance.

Ces “recommandations orales” seront portées à la connaissance du Conseil et de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen. Celle-ci, à l’initiative de la conférence des présidents des groupes, pourrait se voir confier la charge de l’élaboration d’un projet de résolution qui serait alors soumis – si aucun élément substantiel et concret n’intervient dans les semaines à venir pour infléchir dans un sens positif l’attitude du gouvernement tunisien – à la plénière du Parlement de la session de février ou de mars pour faire l’objet – à ce moment là – d’un vote. Les conséquences pourraient alors en être des plus fâcheuses pour l’avenir des programmes de coopération UE-Tunisie en cours et, surtout, pour l’issue des tractations sur le « statut avancé », dont les officiels tunisiens nous annoncent l’amorce imminente. Sans doute après la remise de la «note de cadrage» réclamée depuis novembre 2008 au gouvernement tunisien comme acte officiel de candidature à un éventuel «statut avancé» pour le moment bien hypothétique».

A suivre donc … et avec un intérêt accru !

Khémaïs CHAMMARI

[1] Au cours de ce déplacement, elle a été accompagnée par une délégation tunisienne composée de Kamel Jendoubi, président du CRLDHT et du Réseau Euromed des droits de l’Homme (REMDH), de Mohieddine Cherbib président de la Fédération des citoyens tunisiens des deux rives (FTCR) et de moi-même. Cette délégation a eu, en particulier, mardi 19 en fin de matinée, une séance d’information et de travail d’un grand intérêt avec 14 députés européens issus des cinq principaux groupes politiques du Parlement Européen.

Via le blog Les Amis d’Attariq