Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Devant le siège du gouvernement à Tunis. Image par: Fethi Belaid/AFP/Getty Images

La gestion “bourguibiste” des affaires du pays par le nouveau Premier ministre provisoire, les révélations divulguées par l’ancien ministre de l’Intérieur Rajhi un personnage aux motivations pour le moins ambigües, par ailleurs -, l’extrême brutalité de la répression des mouvements de contestation ces derniers temps – tous ces éléments, et d’autres, devraient faire réfléchir les Tunisiens. Ces faits devraient rappeler à ceux qui l’avaient oublié que le système Ben Ali, malgré la fuite honteuse du dictateur, est toujours en place, toujours actif et malfaisant.

C’est l’unité du peuple qui a rendu possible la victoire du 14-Janvier. Pour préserver ce premier succès et le transformer en accomplissement irréversible, le peuple tunisien doit non seulement maintenir, mais renforcer son unité et la traduire en termes politiques concrets. Or ce n’est pas le spectacle que nous ont donnés à voir les structures partisanes ces dernières semaines, mais plutôt celui de la division et de l’exclusion. Certes, des coalitions ont été mises en place, ici et là, mais elles ne concernent que des secteurs particuliers de la scène politique, sans englober l’ensemble des formations désireuses de tourner définitivement la page de l’ancien régime.

C’est la raison pour laquelle nous appelons à la constitution, dans les plus brefs délais, d’un large Front Uni de salut national. Ce front doit être soutenu par les principales composantes de la société civile et englober l’éventail le plus ouvert de forces politiques – de l’extrême-gauche légaliste jusqu’à la droite libérale, en passant par les différentes formations centristes, dont les islamistes d’En-Nahdha. Le front devra également coordonner son action avec les Comités populaires locaux de défense de la révolution, parce qu’ils réunissent les forces vives de la jeunesse, sans compter que les nervis du RCD ont repris du service et qu’il se pose de nouveau un problème de sécurité et de protection des biens et des personnes.

Il faut que tout le monde comprenne un point essentiel, les militants comme les responsables des partis. La nature du combat actuel est d’abord politique, elle n’est pas d’abord idéologique. Ce combat politique vise la conquête du pouvoir, pour édifier une société démocratique et un Etat souverain. Dans un tel combat, il ne faut pas se tromper d’ennemi. L’ennemi principal n’est ni l’islamiste ni le laïque, comme certains voudraient le faire croire. L’ennemi principal, aujourd’hui, c’est le système maffieux que nous a laissé Ben Ali en héritage. Ce système dispose d’hommes, de structures, d’alliances extérieures et de moyens financiers considérables. Et ceux qui le dirigent, qu’ils soient dans le gouvernement ou au dehors, ne reculeront devant rien pour protéger leurs intérêts et tenter de faire avorter la révolution. Nous n’avons aucune chance de l’abattre si nous l’attaquons en ordre dispersé – et encore moins si nous consacrons le plus clair de nos forces à nous affronter les uns les autres.

L’unité est nécessaire pour l’immédiat ; elle sera encore plus nécessaire en prévision des élections du 24 juillet. D’ores et déjà, nous savons que les anciens RCD vont participer à la campagne, sous une étiquette différente. Si nous mêmes y allions de manière éparpillée, la conséquence mathématique sera de leur concéder plus de sièges dans le nouveau parlement. D’autre part, toujours si nous y allions séparés, certaines familles de pensée passeront, d’autres ne passeront pas ou seront très minoritaires. Parmi les forces populaires, nous aurions ainsi des vainqueurs et des vaincus. Pareil scénario serait catastrophique pour le pays. La nouvelle constitution qu’élaborera l’assemblée élue ne sera pas le fruit d’un accord conclu entre tous les courants ayant intérêt à la révolution, mais le résultat d’une entente imposée par des parties aux dépens d’autres parties. Cela installera la population dans des clivages qui épuiseront son énergie pour longtemps.

Si nous voulons que la constituante soit perçue comme légitime par la majorité du peuple, si nous voulons que la prochaine constitution jouisse du soutien du plus grand nombre, si nous voulons qu’elle fasse véritablement l’objet d’un consensus général, il est indispensable qu’il n’y ait pas de perdants parmi nous, il est essentiel que nous sortions tous gagnants de l’épreuve et que seul le RCD soit battu. Si l’on admet qu’un tel objectif est souhaitable, il est impératif d’aller aux élections en étant rassemblés autour d’un programme commun minimum (la démocratie, l’indépendance nationale, la justice sociale et le développement). Pratiquement, cela revient à présenter des listes communes, discutées et négociées par avance, sur une base raisonnable qui rejette toute exclusive. De la sorte, la compétition électorale aura lieu avec la participation de tous les partisans de la révolution, ligués contre leurs vrais ennemis. Et la constitution qui en sortira sera notre bien commun, le produit de notre travail collectif, et non pas le rejeton illicite d’arrangements opportunistes et à courte vue.

Cette constitution établira le cadre de fonctionnement de notre prochaine démocratie. Il sera alors possible d’aller aux batailles électorales suivantes, chacun sous son drapeau, sans trahir les espérances populaires qui ne peuvent se concrétiser aujourd’hui que par notre unité.