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Par Inès Fezzani

Photographie Rhaiti Yunus

Le refus du Ministre des Affaires Etrangères tunisien Rafik Abdesselam de revenir sur la dénomination « Maghreb Arabe » au profit de celle d’ « Union Maghrébine » proposée par son homologue marocain Saâd Eddin al Othmani lors du congrès ministériel des pays du Maghreb Arabe laisse un goût amer aux Amazigh (Berbères) tunisiens, et bien au-delà d’eux, aux Amazigh tout court ainsi qu’aux défenseurs de l’identité multiculturelle du Maghreb. Il justifie cette objection par la dimension « culturelle, civilisationnelle et géographique » du terme « arabe », le Maghreb
étant selon lui « la partie occidentale du monde arabe ».

Par cette dernière affirmation, il avoue donc implicitement placer le référentiel un peu plus à l’Est de Rabat, Tunis ou Tripoli. Au final, nous ne serions que la périphérie de quelque chose, nous ne valons rien seuls; l’Afrique du Nord ne serait pas une entité en soi, elle n’existerait que comme sous-partie d’un tout que l’on veut nous faire croire homogène civilisationnellement et culturellement.

Il suffit pourtant de rappeler que rien qu’en nombre de personnes, les berbérophones sont prépondérants dans le Maghreb: près de 45 millions de locuteurs de la langue amazighe s’étalent sur l’ensemble de l’Afrique du Nord. Ces berbérophones (pour ne pas parler des Berbères tout court) n’ont pourtant jamais fait la demande d’une « Union du Maghreb Berbère ». Le refus d’une étiquette unique (« arabe » ou « berbère ») signifierait pour le Maghrébin, quelle que soit sa langue ou son ethnie, de se reconnaître dans cette Union; plus qu’une union de décideurs, elle deviendrait une union des peuples.

L’argument géographique est certainement celui qui surprend le plus, tant il est bancal. Les pays du Maghreb sont-ils situés sur la Péninsule Arabique ou autour du Golfe Arabique? La Tunisie a-telle dérivé hors du continent africain? Pourquoi faire référence dans la dénomination d’une union régionale à une entité géographique extérieure à cette région? Comme si au lieu de s’appeler « Conseil de Coopération du Golfe », l’union des pays du Golfe devenait « Conseil de Coopération de l’Est de l’Afrique du Nord » ou comme si en lieu et place d’ « Union Européenne » on avait une « Union du Nord de la Méditerranée ».

En affirmant que l’arabité du Maghreb est également géographique, M. Rafik Abdessalem cherche simplement à effacer la réalité africaine du Maghreb, terre de rencontre et d’influences culturelles venues se greffer sur un substrat local préexistant et pérenne.

Le Maghreb a connu depuis l’Antiquité les Romains, les Phéniciens, les Arabes ou encore les Ottomans, mais oublier que le Maghreb c’est avant tout des peuples autochtones qui ont formé leur propre civilisation tout en digérant les influences culturelles d’ailleurs, c’est enlever au Maghrébin la dignité de ses ancêtres en lui signifiant qu’ils n’existaient en tant qu’êtres civilisés que parce qu’on a bien voulu venir de dehors les sortir de leur état « primitif ».

M. Abdesselam imagine-t-il que jusque les Foutouhat (conquêtes islamiques) en Afrique du Nord on en était à tailler le silex et chasser le mammouth?

En offrant une fin de non-recevoir à la proposition du Ministre des Affaires Etrangères Marocain, M. Abdesselam se pose clairement en anti-démocrate; en effet, de quel droit s’arroge-t-il le privilège d’accoler l’étiquette de l’arabité au peuple marocain (peuple qui pèse trois fois la Tunisie sur le plan démographique) qui a récemment fait inscrire par voie de référendum (et 98% des voix) dans sa Constitution son attachement à son identité amazighe? De quel droit fait-il fi de la demande de reconnaissance du peuple algérien, qui paie depuis plusieurs décennies au prix du sang le simple fait de ne pas se soumettre? Et quid des Touaregs et des ethnies noires autochtones de la Mauritanie et de la Libye?

La démocratie n’est pas, telle que la conçois M. Abdesselam, le droit du plus fort d’imposer sa vision du monde mais le droit à la représentation des intérêts tant du majoritaire que du minoritaire. Telle est la démocratie.

En niant la composition culturelle diverse et spécifique du Maghreb, M. Abdesselam démontre sa déconnexion des réalités de cette terre millénaire. Mais pouvait-on attendre autre chose d’un homme honteux de son propre nom de famille au point de se faire désigner autant que faire se peut uniquement par son prénom? Nos origines sont une fierté Monsieur.