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Un homme manifeste devant l’université de la Manouba près de Tunis, appelant à la « solidarité avec les femmes portant le niqab (voile intégral). Par FETHI BELAID/AFP

Le Président Marzouki a haussé le ton. Après avoir décoré Khaoula Rachidi pour son geste remarquable de défense du drapeau tunisien, il a prononcé un discours de près de dix minutes dans lequel il a notamment appelé à des excuses de la part du coupable de l’outrage et sa reddition à la police, ainsi qu’exigé des leaders du mouvement incriminé dans les événements une explication claire de sa position.

Une spirale de la violence semble en marche dans notre pays. Ce qui est inquiétant c’est non seulement que notre gouvernement, qui s’illustre par sa mollesse depuis novembre 2011, a choisi pour réagir non pas les agressions physiques des étudiants et personnel enseignant de la faculté de la Manouba, mais la vandalisation du drapeau – en clair, au niveau des préoccupations le symbole prédomine sur le citoyen – mais qu’en plus il ait complètement négligé l’effet de stigmatisation qu’il est en train d’encourager.

Il ne s’agit nullement de dédouaner les jeunes salafistes des actes graves qu’ils ont commis, mais de les inscrire dans une dynamique globale tendue afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Lorsqu’il y a quelques semaines, le président Marzouki traitait les salafistes de « microbes » à la télévision, il ne pouvait signifier plus clairement qu’une certaine catégorie de citoyens étaient indésirables en Tunisie. Comment s’attendre alors à une autre réaction de la part de ces jeunes qu’une somme d’actes à la fois regrettable et répréhensibles s’attaquant symboliquement à l’entité qui les rejette (la République)?

Le président Marzouki doit pourtant se rappeler qu’à l’époque de son exil français, une polémique similaire avait éclaté, lorsque les jeunes de banlieues, dans un stade, s’étaient mis à siffler la Marseillaise, du cortège de réactions indignées et stigmatisantes qui s’en suivirent de la part des partis les plus à droite de l’échiquier politique français et de l’opprobe jeté par les philosophes tels que BHL et Finkelkraut. D’autres intellectuels français plus attachés aux notions de liberté, d’égalité et de fraternité s’étaient, eux, évertués à contrer les discours accablants en apportant un éclairage lucide sur la responsabilité évidente de la société, des médias et des pouvoir publics sur le sentiment d’exclusion bien réel ressenti par ces jeunes, exprimé de manière malhabile voire répréhensible.

Sommes-nous Tunisiens devenus aussi intransigeants que l’UMP et le FN réunis? Devrons-nous attendre un dérapage grave, comme par exemple une vague de voitures incendiées comme en 2005 en France, avant de nous remettre en question?

Aujourd’hui, en Tunisie, nous voyons ces jeunes salafistes aller à la dérive. Il y a un peu plus d’un an, certainement qu’aucun d’entre eux n’avait même jamais appartenu à aucun mouvement, qu’il soit religieux ou laïc. Il n’est nullement question de leur appartenance idéologique ou politique, car la Tunisie se doit de respecter les libertés d’opinion et d’expression. Il est ici question du fait qu’à partir d’une appartenance donnée, le désoeuvrement face à des dirigeants qui les regarde de haut les ait fait plonger dans la violence (déprédations, agressions de personnes). Leur violence doit être condamnée et la justice doit faire son travail, mais la classe politique doit aussi faire son travail, qui consiste en l’ouverture d’un dialogue et l’élaboration de solutions.

La Marseillaise comme le drapeau tunisien sont, au-delà du symbole national, sont des éléments fédérateurs forts. Mais ils sont également aussi chargés d’Histoire, une Histoire pas toujours clémente. Derrière la rhétorique guerrière de l’hymne français (« que le sang impur abreuve nos sillons ») et le croissant et l’étoile imposés par les colonisateurs d’alors (les Ottomans), ces emblèmes signifient toujours la prédominance du fort sur le faible. Dans certaines situations, l’atteinte à ces symboles est tout ce qui reste à celui qui ne se reconnaît pas dans l’ensemble qu’on nomme Patrie.