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C’est drôle de voir comment les positions des Tunisiens sur la figure de Bourguiba ne peuvent être qu’extrêmes. D’un côté, on voit un clan qui en arrive à souhaiter joyeux anniversaire à un mort, continuant en quelque sorte le culte de la personnalité instauré par le défunt leader lui-même et perpétué à son compte, mais en pire, par son piètre successeur ( bien que Bourguiba au moins était propre, avait une vision pour le pays et avait la légitimité historique, trois facteurs qui ne se vérifient pas chez Zinochet ).

Ceux qui s’obstinent à fêter le jour de la naissance de Bourguiba ne gardent en tête que la première période du Bourguibisme (en gros : 1934 naissance du Néo-Destour; 1974 et l’adoption de la présidence à vie et le début de la course féroce à la succession, ainsi que la mascarade de l’union avec la Libye). Ils passent l’éponge sur la période sombre où Bourguiba n’était plus qu’un despote mégalomane et sénile manipulé par différents clans de son entourage (rappelez-vous Saïda Sassi, Skhiri…) dans une lutte impitoyable pour la succession qui a beaucoup nui aux intérêts du pays et facilité l’avènement du coups d’État medico-légal de novembre.

De l’autre côté, nous avons une partie des Tunisiens qui focalise uniquement sur la période sombre de Bourguiba (les 15 dernières années) en partageant les fameuses scènes du journal télévise où on le voit se baigner à 80 ans à Skanes. Ceux-là focalisent uniquement sur la fin de règne en passant l’éponge sur le parcours militant du grand Bourguiba, sur son charisme extraordinaire, sur sa vision volontariste du développement du pays (en interne : généralisation de l’enseignement, émancipation de la femme, santé publique et en externe : rayonnement de la diplomatie tunisienne malgré la petite taille du pays et les ressources limitées, positions très perspicaces et avant-gardistes aussi bien sur la question palestinienne que pendant la Seconde Guerre Mondiale).

Évidemment, Bourguiba n’était pas seul, son entourage et la génération des ‘pionniers’ (les ministres des années 60 : Messaadi, Mestiri et les autres) ont aussi contribué à mettre en place cette politique. Mais il en était incontestablement le maitre d’œuvre et le principal instigateur. Il est donc très injuste de reléguer tous ces acquis, qui ont façonné le pays et dont nous avons hérité, aux oubliettes et de se concentrer uniquement sur les 15 dernières années avec leur lot de turpitudes de la part du chef sénile et de son entourage.

Au fond, comme pour de nombreux autres sujets politiques, les Tunisiens ont tendance à sombrer dans le parti pris et le manichéisme flagrant (on voit les choses en noir ou en blanc, l’art de la nuance n’existant pas). Pourtant, il est grand temps de faire un bilan historique et objectif du bourguibisme pour en renforcer les acquis et délaisser les côtés obscurs. C’est un travail que les historiens ont déjà entamé (notamment l’excellente contribution de la Fondation Temimi à travers ses innombrables conférences et publications depuis la disparition du Zaim en 2000). D’ailleurs l’ineffable BCE lui-même, qui se définit lui-même comme fervent disciple de Bourguiba, même si on ne l’a pas beaucoup entendu dénoncer sa mise en résidence assignée, qui ne disait pas son nom pendant 13 longues années, mais ceci est une autre histoire, n’a-t-il pas intitulé son ouvrage ‘Bourguiba, la bonne graine et l’ivraie’ ?

Considérer les choses d’une manière rationnelle et objective est peut-être la meilleure manière de rendre hommage à Bourguiba et à son héritage, lui dont l’un des principaux enseignements était d’adopter le rationalisme comme approche et de laisser le passionnel de côté.

À bon entendeur…